Sommes-nous vraiment des croyants?

On entend constamment parler de l’opposition entre croyants et incroyants. Aucune opposition ne me semble plus artificielle. Enfin, qui sont les croyants et qui sont les incroyants? Sommes-nous vraiment des croyants? Et qu’est-ce que cela veut dire?

Conférence, Lausanne,
entre 1955 et 1962

Mise en ligne:
09.06.20
Temps de lecture: 6 mn

"Croyons-nous que chacun de ces petits hommes, qui s’agite à la surface de notre planète, est indispensable?" | DR

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Un évêque de l’antiquité, Saint Théophile d’Antioche, nous rappelle ici l’importance capitale de considérer l’homme avant de parler de Dieu.

C’est ce vieil auteur qui vivait à la fin du deuxième siècle, un évêque syrien, nous dit ce mot capital: « Si tu me dis: montre-moi ton Dieu! Je te dirai montre-moi d’abord quel homme tu es! Montre-moi si les yeux de ton âme voient clair, si les oreilles de ton cœur savent entendre, et je te montrerai mon Dieu! »

Impossible donc de parler de Dieu, sans savoir à quel homme on a à faire. Une femme pauvre me disait: « Comment voulez-vous que je prie et que je médite devant mes marmites vides avec cinq enfants à nourrir?  »

Qu’est-ce qu’elle réclamait? La possibilité justement d’un espace intérieur, car l’homme commence à manifester son essence, sa nature particulière, son privilège d’être raisonnable, dans le survol du temps.

Celui qui ne croit pas en l’homme, ne pourra jamais croire en un Dieu authentique et véritable.

L’homme peut voir au-delà du moment présent. Si vous êtes certains de ne pas pouvoir manger demain, votre repas d’aujourd’hui, déjà, vous reste à la gorge.

L’homme a besoin d’une sécurité à long terme parce que justement, il peut vivre au-delà du moment présent, et que l’insécurité certaine de demain tue toute espèce de repos et de bonheur aujourd’hui.

La femme pauvre, devant ses marmites vides sait très bien que il faut, pour pouvoir penser, prier, méditer, avoir l’esprit libre; il faut pouvoir disposer d’un espace intérieur et cet espace intérieur est conditionné au-dehors par un espace de sécurité.

Mais pourquoi veut-elle absolument disposer d’un espace intérieur? C’est que justement elle est consciente que être humain, c’est être capable de créer, au-dedans de soi un bien si précieux qu’il dépasse tous les biens! Un bien auquel doivent se subordonner toutes les richesses, tous les moyens de production, toutes les lois du travail, toutes les organisations politiques.

La possibilité d’un monde intérieur

Et quel est ce bien? Quelle est cette création intérieure qui fait de l’homme une source, une origine et un Créateur? Voilà toute la question! Croyons-nous vraiment qu’il y ait en nous cette possibilité d’un monde intérieur, d’un univers plus précieux qu’un univers visible? Croyons-nous que chacun de ces petits hommes, qui s’agite à la surface de notre planète, est indispensable? Qu’il apporte avec lui une révélation qu’il est seul capable de commu­niquer?

Qui croira cela? Qui, parmi les hommes politiques, qui parmi les chefs d’état, qui parmi les diplomates qui prennent part aux conférences internationales? Qui parmi les chefs de guerre qui ne cessent de répandre le sang, qui croit qu’il y a dans l’homme, vraiment, un Trésor infini? (…)

Qu’est-ce que nous aurons gagné si nous atteignons la lune et les planètes? Si nous organisons économiquement le système solaire? Si nous gardons notre esprit de clocher, si nous sommes encore esclaves de nos préjugés!

Si nous nous mouvons à l’intérieur de nos ressentiments, de nos haines et de nos compétitions! Il ne suffit pas de construire un monde extérieur gigantesque où s’atteste la puissance technique de l’homme, car le vrai problème c’est: « Qu’est-ce que vous avez fait de ce monde intérieur dont la femme pauvre réclamait le respect et la défense? »

C’est cela croire en l’homme, c’est justement croire qu’il y a au dedans de chacun de nous une initiative possible, une source qui veut jaillir, un univers qui est le bien commun de tous les hommes.

Car quand un homme comme Saint François d’Assise traverse l’histoire et y imprime la trace de sa lumière, il demeure à jamais un ferment de libération, et tous les hommes pourront trouver, jusqu’à la fin des siècles, dans la lumière de sa vie de quoi remonter la pente de leur biologie, de quoi devenir à leur tour une source, une origine, un espace et un commencement.

Mais si d’autre part on apporte une église qui vient du dehors, comme ce jeune patron qui voulait construire une chapelle dans son usine, mais qui ne s’était jamais posé la question: « Est-ce que le salaire de mes ouvriers suffit à les faire vivre? »

Il voulait implanter au milieu d’eux, il voulait leur imposer la croix de Jésus Christ et il ne s’était pas inquiété de savoir si leur croix à eux n’était pas intolérable! Il voulait, avec les bénéfices du travail, importer un message soi-disant évangélique et il ne comprenait pas que l’évangile commence par le respect de l’homme! (…)

l’Eglise ne peut être qu’à genoux

Jésus nous révèle le vrai Dieu, le Dieu bon, le Dieu Amour, le Dieu qui ne s’impose jamais, le Dieu qui vient toujours du dedans, et qui est à genoux au lavement des pieds, devant l’humanité!

Comment comprendre le lavement des pieds, en effet, si on ne voit pas dans l’homme une puissance d’initiative, une liberté tellement sacrée, tellement inviolable, que Dieu même est à genoux devant elle.

Certaines mères connaissent ce drame, ce drame de l’enfant qui se ferme, qui dit « non, non je ne veux pas, je ne veux pas qu’on pénètre dans mon for intérieur ; je ne veux pas qu’on s’occupe de moi, je ne veux pas qu’on contrôle ma conduite, je ne veux pas que l’on sache ce que je pense et ce que je veux « .

Et nous savons bien que la torture d’une mère, qui est ainsi jetée à la porte de l’âme de son enfant, que cette torture est impuissante à forcer le barrage. Elle ne peut rien, parce que si une conscience dit « non », si elle se refuse, rien au monde, pas même Dieu, ne peut la contraindre.

Il s’agit de l’ouvrir, de la conquérir, de l’apprivoiser, de la saisir du dedans, pour que justement elle se donne avec toute sa spontanéité et toute la joie de son amour.

Aussi bien l’Eglise de Jésus-Christ, la véritable Eglise, l’Eglise vécue dans la foi et dans l’amour, ne vient pas du dehors, car l’Eglise est un sacrement, elle est toute entière un sacrement, elle toute entière une réalité mystique qu’il est absolument impossible de comprendre et de vivre, sinon dans une vie intérieure, sinon dans la lumière de la foi et de l’amour, et dans un enracinement authentique en l’intimité de Jésus Christ.

Rien ne serait plus erroné justement que de voir dans l’Eglise une puissance qui s’impose, qui peut s’imposer, qui prétend s’imposer, l’Eglise ne peut être qu’à genoux, comme Jésus au lavement des pieds. Et nous ne pouvons la recevoir, nous ne pouvons la reconnaître que en étant nous-mêmes ouverts à l’intimité du Seigneur, tout pénétrés de sa lumière et tout engagés dans ce mariage d’amour que Dieu veut contracter avec nous.

C’est pourquoi les uns et les autres, finalement sont des incroyants! Aussi bien ceux qui nient Dieu – un faux-dieu – que ceux hélas qui veulent imposer du dehors un Dieu qui n’est pas davantage le vrai Dieu.

Il est absolument nécessaire de dissiper cette équivoque; il faut avant toute chose, proclamer notre foi dans l’homme. Celui qui ne croit pas en l’homme, ne pourra jamais croire en un Dieu authentique et véritable, parce que il ignorera dans l’homme ce mystère d’une liberté inviolable.

Il ne comprendra pas qu’un homme n’est lui-même que lorsqu’il est une autonomie une source, une origine; que lorsque il est le créateur d’un nouvel univers qui est un don merveilleux fait à tous les hommes, comme il est une offrande irremplaçable faite à Dieu.

Et telle est la question: « Croyons-nous en l’homme? » C’est à cela que Jésus veut nous amener, qu’il ne cesse de nous donner comme critère, comme pierre de touche de notre foi: notre amour de l’homme.

Aimez-vous l’Homme? Alors, oui, si vous aimez l’Homme, si vous aimez votre prochain, vous pouvez dire que vous aimez Dieu.

C’est Jésus qui s’iden­tifie avec l’homme, au point de lui dire: « J’ai faim, j’ai soif, je suis prisonnier, je suis malade, je suis dénié dans tous ceux qui souffrent: c’est moi ».

C’est pourquoi la véritable prière du chrétien, l’oraison spontanée du disciple de l’évangile, c’est une oraison sur la vie, c’est une oraison sur l’homme.

Comment voulez-vous vivre à la hauteur de l’évangile, c’est-à-dire à la hauteur du Cœur de Jésus Christ? Comment voulez-vous accueillir un autre comme vous-même? Ou plutôt comme Lui-même.

Comment l’accueillir comme Jésus, si le regard de votre foi ne dépasse pas les apparences, ne franchit pas les limites actuelles de cet homme qui peut être, sous certains aspects, si antipathique, si chargé de chair et de fautes mais qui n’en reste pas moins une capacité de Dieu, qui peut devenir un autre qui peut, comme le bon larron, en un instant, devenir un saint, qui peut, comme la pécheresse, en un instant être archi-vierge, qui peut, comme le publicain, dépasser en un instant, tous les pharisiens par l’ardeur de sa foi, et l’authenticité de son amour.

L’oraison sur l’homme – oui c’est cela – donner à l’homme toute sa taille, toute sa grandeur, faire crédit en lui à l’œuvre de la grâce, savoir que aucun ne peut être en dehors de Dieu, en dehors de Jésus Christ, en dehors de l’Eglise de Jésus-Christ ce qui est la même chose! Aucun ne peut être en dehors de l’Amour qui n’est qu’amour. (…)

Et c’est quand vraiment, nous pourrons dire du fond du cœur: « Je crois en l’homme! » que nous pourrons dire en vérité « Je crois en Dieu », puisqu’il est impossible d’atteindre Dieu sans faire la découverte de l’homme.

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