Quel regard sur le Christ?
3e dimanche de Pâques,
Année B, 14 avril 2024, Luc 24, 35-48
D’une homélie de Maurice Zundel, donnée à Beyrouth le 3 avril 1972.
En ce temps-là,
les disciples qui rentraient d’Emmaüs
racontaient aux onze Apôtres et à leurs compagnons
ce qui s’était passé sur la route,
et comment le Seigneur s’était fait reconnaître par eux
à la fraction du pain.
Comme ils en parlaient encore,
lui-même fut présent au milieu d’eux, et leur dit :
« La paix soit avec vous ! »
Saisis de frayeur et de crainte,
ils croyaient voir un esprit.
Jésus leur dit :
« Pourquoi êtes-vous bouleversés ?
Et pourquoi ces pensées qui surgissent dans votre cœur ?
Voyez mes mains et mes pieds : c’est bien moi !
Touchez-moi, regardez :
un esprit n’a pas de chair ni d’os
comme vous constatez que j’en ai. »
Après cette parole,
il leur montra ses mains et ses pieds.
Dans leur joie, ils n’osaient pas encore y croire,
et restaient saisis d’étonnement.
Jésus leur dit :
« Avez-vous ici quelque chose à manger ? »
Ils lui présentèrent une part de poisson grillé
qu’il prit et mangea devant eux.
Puis il leur déclara :
« Voici les paroles que je vous ai dites
quand j’étais encore avec vous :
“Il faut que s’accomplisse
tout ce qui a été écrit à mon sujet
dans la loi de Moïse, les Prophètes et les Psaumes.” »
Alors il ouvrit leur intelligence à la compréhension des Écritures.
Il leur dit :
« Ainsi est-il écrit que le Christ souffrirait,
qu’il ressusciterait d’entre les morts le troisième jour,
et que la conversion serait proclamée en son nom,
pour le pardon des péchés, à toutes les nations,
en commençant par Jérusalem.
À vous d’en être les témoins. »
Homélie, Beyrouth (Liban), 1972
Mise en ligne: 10.04.24
Temps de lecture: 2 mn
Et c’est pourquoi elles reflètent l’état d’âme de ceux qui en sont les témoins. Rien n’est étonnant comme ces récits qui ne s’accordent pas, précisément parce qu’ils traduisent les sentiments, les hésitations, les craintes, les frayeurs et les joies de chacun, selon la progression de la reconnaissance du Christ en eux.
Le Christ nous apparaît comme il est au-dedans de nous.
Les disciples d’Emmaüs le voient comme un étranger. La Magdeleine le verra comme un jardinier. Les disciples rassemblés au Cénacle croiront voir un esprit. Et pour la dernière vision, racontée par Jean, sur les bords du lac de Galilée, ils hésiteront, jusqu’à la pêche miraculeuse, à reconnaître, dans celui qui les appelle du rivage, à reconnaître le Seigneur.
Il nous apparaît donc d’une manière universelle, comme il est au-dedans de nous. Et c’est pourquoi Il peut prendre le visage d’un étranger, et c’est pourquoi ses traits peuvent se déformer comme ils l’ont été si souvent dans l’Ancien Testament, selon le regard de l’homme qui n’était pas suffisamment éveillé ou purifié pour le percevoir dans sa vérité.
Et d’ailleurs, cette loi de la Révélation que saint Grégoire exprime avec tant de profondeur: «Il leur est apparu au dehors comme il était au-dedans d’eux-mêmes», cette loi gouverne peut-être tout l’ordre de la connaissance: chacun voit l’univers avec son regard, chacun voit les autres avec ses yeux, chacun voit l’univers où les autres lui apparaissent selon la qualité de son regard.
Ils lui apparaissent au dehors comme ils sont au-dedans de lui. (…)
Ce serait donc là, finalement, une des qualités, un des apanages inévitables de la connaissance: la connaissance correspond au regard et, selon que le regard est pur, selon qu’il est droit, selon qu’il est désintéressé, selon qu’il est aimant ou au contraire chargé de haine, le monde prend un autre aspect et l’humanité un autre visage.
C’est ce que le Seigneur sans doute veut nous indiquer lorsqu’il dit: «La lampe de ton corps, c’est ton regard, c’est ton oeil. Si ton oeil est simple, tout ton corps sera dans la lumière» (Mt 6, 22).