l’Ascension: l’échec de Jésus

L’Ascension ne veut pas dire que Jésus est monté là-haut. Nous savons que le Ciel n’est pas localisable. Jésus nous a dit que le ciel est en nous. 

Extrait de l’homélie Le Caire,
Ascension, 23.05.1963

Mise en ligne:
18.05.20
Temps de lecture: 6 mn

Christ de l’Ascension, Musée d’art et d’histoire, Fribourg (Suisse)

Si les apôtres l’ont vu monter, c’est sous une vue conforme à leur psychologie, à leurs connaissances. Pour nous, l’Ascension veut dire : « Le Christ prend définitivement congé de ses disciples et, s’il prend définitivement congé d’eux, c’est qu’il a complètement échoué. »

Ce que nous voyons, c’est l’échec du côté de Jésus. Et il l’exprime dans ce mot qu’il a dit au cours du dernier entretien après la Cène : « Il est bon que je m’en aille, sinon l’Esprit saint ne viendra pas à vous. » Aucune parole ne peut traduire l’échec de Jésus mieux que celle-là. Il a si bien échoué qu’il faut l’Esprit saint pour que ses disciples découvrent enfin qui il est.

Ils ont limité Dieu. Ils en ont fait un dieu local, un dieu national, le dieu d’une nation comme si Dieu pouvait se monopoliser et ils ont attendu de Jésus qu’il serve à l’exaltation de cette nation, à l’exploitation de ses ambitions. Ils n’ont pas compris ce que Jésus a dit à la samaritaine. Ils n’ont pas compris que Dieu est au-dedans de nous. Ils n’ont pas compris que le véritable sanctuaire de Dieu, c’est l’homme. Ils n’ont pas compris que le ciel authentique, c’est notre âme. « Le ciel, c’est l’âme du juste », comme dit saint Grégoire. Ils ont fait de Dieu une idole. C’est pourquoi il leur est impossible de comprendre leur maître davantage. Il leur est impossible de le voir dans sa réalité authentique. Ils projettent sur lui leurs rêves et ils attendent de lui qu’il accomplisse leurs ambitions.

Le Christianisme n’est pas autre chose que cette présence permanente du Christ silencieux

C’est pourquoi Jésus est profondément seul. Il est seul dans le jardin de l’agonie. Il est toujours seul et il se sent plus à l’aise avec les publicains, avec les schismatiques, avec les hérétiques, avec les femmes de mauvaise vie.

Il y a tout un courant de divine ironie dans l’Évangile où l’on voit Jésus mettre en valeur le païen, canoniser le centurion dont « la foi est plus grande que quiconque en Israël », nous le voyons amener le docteur, un pharisien cousu dans ses propres vertus, convaincu de ses mérites, nous le voyons obliger le docteur à reconnaître dans la parabole du samaritain que le seul homme qui ait été fidèle à l’amour, c’est justement l’étranger, le schismatique, le samaritain. Nous le voyons prendre la défense – et avec quelle puissance d’amour – de la pécheresse qui a beaucoup aimé, de la femme adultère en demandant que celui-là lui jette la première pierre qui n’a jamais péché. Nous l’entendons déclarer que les publicains, des gens méprisés et honnis et détestés, et les prostituées, vous précéderont dans le Royaume des Cieux.

Jésus est seul et c’est pourquoi il faut qu’il s’en aille pour que ses disciples Le reconnaissent. Et c’est ce qui marque le jour de l’Ascension. Ce jour de l’Ascension scelle l’échec de Jésus. Les yeux des apôtres ne s’ouvriront que dans le baptême de feu de l’Esprit et c’est alors qu’ils commenceront à entrer dans la catholicité de l’amour.

(…) Il est donc nécessaire que Jésus s’en aille pour que les disciples ne l’aient plus devant les yeux, mais qu’ils le portent au-dedans d’eux-mêmes. Car c’est au-dedans d’eux-mêmes qu’ils vont découvrir en lui une présence universelle.

Car Jésus n’est pas le roi des juifs. Il n’est pas juif du tout, d’ailleurs puisqu’il est né de la Vierge. Il est né de la Vierge, il est né de l’Esprit. Il n’appartient à aucune race, à aucune nation. Il n’est pas un homme. Il est l’Homme, le Fils de l’Homme, l’Homme, le second Adam, l’Homme, l’origine et la source d’une humanité nouvelle et cette humanité qui naît de l’esprit, cette humanité-personne, cette humanité n’a pas de frontière.

L’appel d’une générosité infinie

Il n’y a pas de peuple élu, il n’y a pas de chrétienté élue. Tous les hommes sont appelés, tous les hommes ont été rachetés, ont été estimés au prix du sang du Seigneur.

Et le Christ est présent à tous sans exception, à tous quoiqu’ils pensent et quoiqu’ils s’imaginent croire. Il est présent à tous comme l’appel d’une générosité infinie et c’est cela que les apôtres avaient à découvrir : ils avaient à découvrir l’universalité du Christ, la catholicité de son amour, ils avaient à reconnaître en lui la présence totale de Dieu dans une humanité entièrement évacuée de soi.

Car qu’est-ce que le Christ, justement ? La présence totale de Dieu, dans une humanité entièrement évacuée de soi. Dans le Christ, la présence de Dieu resplendit sans ombre et sans frontières parce que l’humanité du Christ n’a pas d’adhérence à soi, parce qu’elle est entièrement pauvre, parce que le Christ dans son humanité ne peut dire ni “je”, ni “moi”, parce que son humanité est l’humanité sacrement, l’humanité diaphane, l’humanité hostie, l’humanité en qui Dieu personnellement se révèle et se communique.

Et ce sera justement l’illumination de la Pentecôte dans le cœur des apôtres, ce sera la découverte de cette présence illimitée, de cette présence sans frontières mais qui ne peut justement se révéler en nous que dans la mesure où nous devenons universels.

Jésus demeure, mais invisible. Il reste avec nous comme il l’a dit à Saul sur le chemin de Damas : « Je suis Jésus que tu persécutes. » Il reste avec nous, il sera toujours avec nous, il sera toujours au-dedans de nous, comme Augustin le découvrira au moment de sa conversion : « Beauté toujours nouvelle, Beauté toujours ancienne, trop tard je l’ai aimée, trop tard je t’ai aimée beauté toujours ancienne et beauté toujours nouvelle, trop tard je t’ai aimée, et pourtant tu étais dedans et moi j’étais dehors, et sans beauté je me ruais vers ces beautés qui sans toi ne seraient pas. Tu étais toujours avec moi. C’est moi oui n’étais pas avec toi. » Dieu est toujours dedans : c’est nous qui sommes dehors. Dieu est toujours là : c’est nous qui sommes absents.

Et les apôtres justement, le jour de la Pentecôte, vont découvrir que leur maître est au-dedans d’eux-mêmes et qu’ils ne peuvent le reconnaître que dans la mesure où ils le perdent de vue, où ils font eux-mêmes le vide en eux-mêmes pour devenir cet espace universel où le monde entier est accueilli.

Le ciel, c’est l’homme lui-même

L’Ascension qui illustre l’échec de Jésus-Christ est la charnière aussi de cette histoire magnifique où l’Esprit se manifeste comme une lumière intérieure à chacun, comme un ferment de libération enraciné en l’intimité de toute conscience humaine. Désormais, il n’y aura plus de divisions, il n’y aura plus de séparations qui l’on puisse authentifier et consacrer au nom de Dieu. Dieu paraîtra comme celui qui fait tomber les murs de séparation, comme celui que l’on ne peut connaître et aimer que dans la mesure où l’on s’ouvre à tous les hommes.

Et c’est pourquoi l’Ascension qui annonce la Pentecôte, annonce aussi cette vocation universelle qui est celle de tout homme et, à plus forte raison, de tout chrétien. Le chrétien ne peut être que celui qui fait de sa vie un don universel. Dès que nous gardons en nous une frontière, dès que nous entretenons en nous le moindre ressentiment, dès que nous conservons le moindre fanatisme, nous limitons Dieu et nous en faisons une idole, nous limitons le Christ et il devient incompréhensible.

Le Christianisme n’est pas autre chose que cette présence permanente du Christ silencieux, du Christ intérieur, du Christ caché au-dedans de nous et qui nous envoie pour porter au monde la Bonne Nouvelle : que les murs de séparation sont tombés et que tous les hommes sont aimés du même amour, vivant de la même vie et sont unis dans le même Christ, non pas un Christ que l’on puisse accaparer, non pas un Christ que l’on puisse s’approprier, non pas un Christ dont on ait le monopole, mais un Christ qu’on ne connaît, que l’on ne rencontre qu’en faisant le vide en soi, qu’en entrant dans cette pauvreté divine qui est le secret de la pauvreté éternelle, qu’en évacuant ce moi propriétaire qui nous empêche d’accueillir la lumière sans la limiter et de témoigner de l’amour sans exclure quelqu’un.

L’Ascension, cela veut dire finalement : le ciel, c’est l’homme lui-même, le ciel est au-dedans de nous, le ciel, c’est aujourd’hui dans la mesure où nous nous ouvrons à cet appel, dans la mesure où nous accédons à notre grandeur et à notre dignité, dans la mesure où nous devenons nous-même une présence réelle.

C’est par-là que nous vaincrons la mort : il n’y a pas de mort finalement pour ceux qui vivent dans la vraie vie. Le corps peut être glorifié, peut être transfiguré, il est appelé à être ressuscité, c’est-à-dire à vivre éternellement. Il s’agit justement d’établir en lui cet ordre de lumière qui peut sans cesse grandir dans le silence et l’harmonie de l’amour. Il faut établir en lui cette dignité qui en fera le temple du Saint-Esprit.

L’Ascension qui semble être – et oui est, sur un certain plan – l’échec le plus éclatant de Jésus-Christ, est le commencement aussi de cette nouvelle histoire qui ne peut pas s’écrire dans des livres, qui ne peut s’écrire que dans des vies, de cette histoire qui est l’histoire de l’Esprit, qui est de toujours, qui rassemble tous les hommes dans un éternel présent, qui fait graviter toute l’histoire en chaque conscience humaine et qui nous appelle aujourd’hui à prendre conscience de cette vocation universelle qui est la véritable signification du moi “catholique”.

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