La religion n’est pas faite de préceptes, mais d’amour

22e Semaine du Temps Ordinaire, Année B,
Mc 7, 1-23

Le défaut de maint système religieux est de vouloir nous river d’abord à des notions, au lieu de nous apporter un jour, de se poser comme science venue du ciel en encombrant frauduleusement le champ de la science humaine et de transformer la religion en bureau de renseignements apte à satisfaire toute demande, au lieu de nous conduire, à pas d’amour, à la source vivante de toute lumière.

Conférence, Paris, Saint-Séverin, 1950.
Mise en ligne: 27.08.21
Temps de lecture: 3 mn

Je voudrais être sûr que l’on s’est toujours gardé de ces excès en chrétienté, mais ils sont sans doute inévitables dans la mesure même où l’on cesse de vivre ce que l’on pense et chacun, s’il n’y prend garde, y succombe à son tour.

Le Christ, en tout cas, est essentiellement étranger à cet impérialisme notionnel. Il ne vient pas, en effet, ajouter une doctrine aux doctrines innombrables qui l’ont précédé ou qui le suivront.

Il apporte un jour: le jour qu’il est. Il parle sans doute, puisque la parole est indispensable à une action publique. Mais il ne se fait pas illusion sur la portée du langage et sur les limites qu’il oppose à une communication qui défie toute parole.

Le Christ reste insaisissable pour qui ne vit pas de sa présence au plus intime de soi.

On ne peut mettre du vin nouveau dans de vieilles outres. Il s’adapte sans doute aux circonstances. Il entre, autant qu’il le peut, dans les catégories de son peuple et de son temps. Mais il reste beaucoup de choses à dire que ses disciples eux-mêmes ne pourraient porter.

Il remet l’essentiel à l’enseignement de l’Esprit qui se répandra au-dedans, en langage de lumière, ainsi que le requiert la nouvelle naissance qui donne accès à toute vérité.

On constate d’ailleurs, d’un évangile à l’autre, des synoptiques surtout à saint Jean, une transformation des notions: sans aucun dommage, au contraire, puisque c’est dans le sens d’une intériorisation.

Le portrait semble glisser du dehors au-dedans pour devenir, toujours davantage, une présence intérieure à nous-même. Cela prouve, à tout le moins, que les mots ne sont pas chose importante.

La Révélation que Jésus apporte tient essentiellement dans sa personne. C’est lui-même, la Parole qu’il est plus que celle qu’il dit. C’est pourquoi les textes, aussi précieux qu’ils puissent être, ne suffisent pas. Le Christ reste insaisissable pour qui ne vit pas de sa présence au plus intime de soi.

On comprend l’inquiétude des autorités devant cette personnalité qui fait craquer tous les cadres: qu’est-ce qui va sortir de là? Toute tentative d’explication d’ailleurs échouerait car, s’il y eut jamais gens qui crurent aux notions, ce furent assurément ces prêtres avisés et opportunistes et ces docteurs de la Loi qui savaient, sur le bout du doigt, tout ce que Dieu est, tout ce qu’il fait et tout ce qu’il peut faire, tout ce qu’il a révélé et tout ce qu’il prescrit.

Il était déjà suspect et condamnable qu’un charpentier de village, un laïc sans diplôme et sans autorisation et qui n’avait même pas l’accoutrement d’un prophète, se mêlât publiquement des affaires dont ils se réservaient pratiquement le monopole.

Le conflit devait éclater. Il se noua d’abord, autant qu’on peut le voir, sur le terrain des observances légales où la morale était indirectement engagée. Jésus, disait-on, n’observait pas les coutumes des ancêtres, violait le sabbat, dispensait ses disciples des jeûnes de dévotion: il mangeait et buvait sans nulle apparence d’ascétisme et se commettait avec toutes sortes de gens dont le seul contact impliquait déshonneur et souillure.

Un incident minuscule l’obligea, un jour, à s’expliquer. Ses disciples s’étaient mis à table sans pratiquer les ablutions rituelles. Des pharisiens s’émurent et Jésus dit simplement: «Ce n’est pas ce qui entre en l’homme qui souille l’homme et le rend impur, c’est ce qui sort de lui».

Ils furent choqués de cette réponse populaire. Ils l’auraient été davantage s’ils avaient pu comprendre quelle révolution ces simples mots annonçaient.

Elle nous deviendra immédiatement sensible si nous nous rapportons à l’immortel commentaire de saint Paul au 13ème chapitre de la Première aux Corinthiens: «Si je parlais les langues des hommes et des anges, si j’avais le don de prophétie, si je connaissais tous les mystères et toute la science si j’avais toute la foi jusqu’à déplacer des montagnes, si j’émiettais tous mes biens en aumône, si je livrais mon corps aux flammes – et que  je n’eusse pas d’amour, je ne suis qu’airain qui résonne et cymbale qui retentit». A-t-on jamais mieux fait entendre que Dieu, comme dit saint François de Sales, est «Dieu au cœur humain» et qu’en lui «tout est à l’amour, en l’amour, pour l’amour et de l’amour»?

Les théologiens officiels les plus répandus et les plus remuants en avaient fait, dans un sens étroit, un roi et un maître que le respect interdisait de nommer.

Or, on ne donne pas son cœur à un maître: on lui donne ses services. Quand on a fait tout ce qui est prescrit, en ajoutant, par précaution, un surplus qui n’est pas exigé, on est quitte. D’ailleurs, quand on représente ce maître et qu’on a juridiction sur ses serviteurs inférieurs, on porte plus aisément un joug qu’on a le devoir et la joie d’imposer aux autres. On se sent doublement juste en serrant la vis pour soi, tandis qu’en se posant en modèle, on entreprend de serrer la vis aux autres.

Mais c’est précisément ce que Jésus conteste. Cette justice est une caricature et cette vertu est le manteau de l’orgueil. On se retrouve là-dessous, on n’a pas décollé de soi – et Dieu n’est pas atteint. Car Dieu est Amour et il n’a pas besoin qu’on lui paie un tribut et qu’on l’apprivoise avec des bonnes œuvres. Le bien n’est pas quelque chose à faire. C’est Quelqu’un à aimer.

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