Jésus et la Samaritaine (Jn 4)

3e Dimanche de Carême | Année A

L’impression d’incomparable autorité qui se dégageait de la Personne de Jésus avait, sans doute, pour fondement ce pouvoir unique qu’il possédait d’atteindre ses auditeurs à la racine de leur être. en suscitant en eux un regard nouveau sur eux-mêmes.

Prédication au Vatican en 1972,
dans Quel homme et quel Dieu,
p. 37-40.
Mise en ligne: 13.03.20
Temps de lecture: 4 mn

"Comment peut-il lui adresser la parole après des siècles d'inimitié entre son peuple à lui et son peuple à elle?" | DR

L’Evangile selon saint Jean nous en offre un exemple dans le récit de la rencontre de Jésus avec une Samaritaine, au puits de Jacob. On a beau connaître ce texte par cœur – son enchaînement est facile à retenir -, on n’en épuise jamais la nouveauté, parce qu’il nous rend intimement présent, chaque fois que nous le relisons, le dialogue toujours actuel entre le Seigneur et cette femme anonyme qui reçut de Lui une suprême révélation (Jean 4, 5-30).

Il est midi. Jésus, fatigué par la route, est assis près du puits. Il est seul et elle est seule. Elle vient peut-être de la ville proche où les disciples du jeune Maître sont allés acheter des provisions. Sa cruche sur la tête, elle ne s’attend aucunement à ce qui l’attend. C’est l’eau du puits qui est l’unique objet de sa quête. Jésus l’interpelle: “Donne-moi à boire” C’est de son âme qu’Il a soif, mais comment le devinerait-elle? Son âme, elle ne la connaît guère. Ce qu’elle voit c’est qu’il est Juif.

« Ô femme: le sanctuaire qui est sa vraie demeure, c’est en toi qu’il doit se construire »

Comment peut-il lui adresser la parole après des siècles d’inimitié entre son peuple à lui et son peuple à elle? Elle ne se prive pas de lui en faire la remarque. Il répond d’une manière énigmatique, pour éveiller en elle cette soif que lui seul peut étancher. Si elle savait qui il est, c’est elle qui lui aurait demandé à boire. Mais, lui dit-elle sans ménagement, il n’a rien pour puiser l’eau vive qu’il se targue de pouvoir lui donner. Il renchérit alors sur son offre, en promettant une eau qui éteindrait définitivement la soif de celui qui la boirait, en devenant en lui une source jaillissant en vie éternelle.

Feint-elle de ne pas comprendre un symbolisme qui voudrait la faire passer du dehors au- dedans, de l’élément matériel à la réalité spirituelle qu’il suggère: Ironise-t-elle avec une pointe d’insolence, en se maintenant obstinément sur un plan sans issue? Eh bien, qu’il lui donne de cette eau miraculeuse qui lui épargnera la fatigue de ses perpétuelles allées et venues entre sa maison et le puits!

Elle n’échappera pas, cependant, à ce coup imprévu qui va la faire tomber dans le filet d’un amour décidé à la sauver, en la ramenant à sa propre intimité: Va, appelle ton mari et reviens ici. La voilà mise en face d’elle-même. Elle vit avec un homme qui n’est pas son mari, après cinq mariages déjà ensevelis dans son passé. Elle tente alors cette dérobade équivoque: “Je n’ai pas de mari.” Jésus démasque cet habile mensonge. Il sait donc tout ce qu’elle a fait. Elle rend les armes: “Je vois que tu es prophète.”

Elle est désormais prête à découvrir en elle-même la source vers laquelle il voulait la conduire. Elle y atteindra par le chemin de la vieille querelle qui sépare Juifs et Samaritains. Quel est le sanctuaire légitime, où faut-il adorer: sur le Garizim tout proche et qu’elle peut montrer du doigt ou à Jérusalem? La réponse éclate dans sa fulgurante nouveauté: “Ni ici ni là – malgré le privilège d’une mission authentique reconnue aux Juifs jusqu’à maintenant -, l’heure vient, en effet, et nous y sommes, où les vrais adorateurs adorent le Père en esprit et en vérité”.

Car Dieu ne se limite ni à un lieu ni à un peuple, comprends-le, ô femme: le sanctuaire qui est sa vraie demeure, c’est en toi qu’il doit se construire par l’ouverture de ton coeur à cette source infinie qu’Il est au plus intime de toi. Tu le situais sur une montagne, comme un être lointain, extérieur à toi et sans rapport personnel avec toi. Et, ne pouvant aimer ce personnage étranger à ton intimité, tu te rabattais sur ce qui te semblait plus proche de toi, en forçant ton âme à se réduire à ce trouble bonheur auquel tu te cramponnais. Tu n’auras plus besoin de te mentir à toi-même, désormais, puisque tu peux trouver en toi le seul amour qui soit digne de toi.

C’est à elle d’abord, en effet, que s’adresse cet appel à l’adoration en esprit et en vérité. Sa faute lui est révélée sur ce fond de grandeur qui en exorcise l’attrait. Elle découvre les profondeurs de son âme dans la lumière du bien qui est seul capable de les combler. Elle pense au Messie qui doit venir, comme s’il s’annonçait dans le jour qui se lève en elle. En réalité elle n’a plus à l’attendre. Il est venu, il est là: “Je le suis, moi qui te parle”

Le retour des disciples met fin à l’entretien. Mais l’essentiel est dit et vérifié, déjà, dans la transformation qu’éprouve cette femme confrontée pour la première fois avec sa propre intériorité. Elle en est si émue qu’elle en oublie sa cruche, qu’elle abandonne sur la margelle du puits, en courant à la ville pour alerter ses compatriotes: “Venez voir un homme qui m’a dit tout ce que j’ai fait. Ne serait-ce pas le Christ?” Beaucoup se laissent convaincre et le prient de s’arrêter chez eux; un plus grand nombre encore, ayant reçu de lui la parole qui les fait naître à eux-mêmes, reconnaissent en lui le sauveur du monde.

Ce récit, axé sur l’unique nécessaire, se déploie dans une sorte de présent intemporel qui lui confère une inépuisable fraîcheur. On demeure stupéfait à la pensée qu’une femme schismatique et engagée dans une union irrégulière ait bénéficié, la première, de cette incomparable initiation. Elle était venue chercher l’eau indispensable à son ménage, sans penser le moins du monde à se mettre en question. Elle repart, révélée à elle-même, en emportant dans son coeur la Source qui jaillit en vie éternelle.

Les temples de pierre peuvent maintenant s’écrouler, ils ne sont plus nécessaires. Les hommes, désormais, sont appelés à découvrir en eux-mêmes le sanctuaire du Dieu vivant. Mais ce sera au prix d’une transformation radicale, d’une nouvelle naissance, qui leur permettra d’atteindre enfin leur propre intimité. Cette exigence absolue tire une ligne de séparation indélébile entre toutes les formes de superstition ou de supercherie et une authentique approche de la Divinité. La religion de l’Esprit, qui s’amorçait déjà chez les grands prophètes de l’Ancien Testament, est définitivement fondée.”

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