« Je ne vous laisserai pas orphelins » (Jn 14)

6e Dimanche de Pâques | Année A

Qu’est-ce donc que l’Eglise? Pour saisir son apparition, il faut se rappeler que la vie de Jésus se termine par un échec. Il n’a pas fait, avant de mourir, un seul disciple capable de le comprendre.

Extrait d’une conférence, Paris,
église Saint-Sèverin
le 10 décembre 1961
Mise en ligne: 13.05.20
Temps de lecture: 3 mn

Oberrheinischer Meister, Christ en gloire, Augustinermuseum, Freiburg (Allemagne)

Cet échec, nous le lisons, reconnu par lui dans cette parole étrange rapportée en l’Evangile de saint Jean: «Il est bon que je m’en aille car, si je ne m’en vais pas, le Paraclet (l’Esprit Saint) ne viendra pas à vous.»

«Il est bon que je m’en aille.» La présence visible de son humanité serait donc un obstacle à leur foi? C’est qu’ils l’ont ramenée à leur mesure en la chargeant de tous leurs rêves et de toutes leurs ambitions. Ils n’ont pas perçu son caractère sacramentel. Ils l’ont vue devant eux, au lieu de la rencontrer au dedans d’eux-mêmes Jésus est donc entré seul dans son agonie. Les disciples dormaient.

Après avoir vaincu la mort, c’est-à-dire après la Résurrection, il ne les trouvera pas plus ouverts. La dernière question qu’ils lui posent, à la dernière apparition, concerne le rétablissement du royaume en faveur d’Israël. Ils en sont toujours là, ils ne veulent pas en démordre, ils attendent encore qu’il les conduise à la gloire et qu’il les fasse siéger sur des trônes, comme ils l’ont si passionnément rêvé.

Le christianisme est une personne.

En dépit de toutes ces insuffisances, avant même l’illumination décisive par l’effusion de l’Esprit, en dépit de toutes ces limites, Jésus les envoie. Il les envoie «à toutes les nations jusqu’aux extrémités de la terre ». C’est ainsi qu’ils prendront sa mesure qui est d’être universel et illimité. Il faut qu’ils se fassent fils de l’Homme avec lui pour devenir, avec lui, fils de Dieu.

Mais comment rempliront-ils une pareille mission avec les horizons bornés auxquels ils se cramponnent? Ce serait une gageure s’il devait les laisser seuls. Mais, justement, il ne les abandonne pas: «Je ne vous laisserai pas orphelins, je viendrai à vous». Il ne les quitte que pour qu’ils puissent le trouver.

Il revient effectivement dans le feu de la Pentecôte mais, cette fois, il s’établit au-dedans d’eux-mêmes. C’est la première Parousie. Sa présence les remplit et aussitôt leur mission commence qui est de conduire tout homme à ce Christ qui les habite.

Car l’Evangile apostolique n’est pas un discours sur Jésus, ni même un discours – consigné par écrit – de Jésus: l’Evangile apostolique, c’est Jésus lui-même.

Le Christianisme, en effet, est une personne comme Jésus devra bientôt l’affirmer. Aussi bien, la lumière qu’il apporte est-elle inséparable de sa personne. Elle résulte en effet de la transparence de son humanité, de son suprême dépouillement, de l’impossibilité pour elle de limiter le jour divin par aucune espèce d’appropriation.

C’est cette lumière issue de la divine pauvreté qui nous arrache aux limites du langage et à la stérilité des commandements. Malheur à nous si nous n’avions affaire qu’à des discours de lui rapportés par d’autres, qu’à une doctrine séparée de sa personne. Nous savons trop, en effet, que des tonnes de discours n’ont jamais changé rien à rien. Nous savons que le langage est toujours limité parce qu’il devient très vite inadapté à l’évolution de l’humanité et qu’il donne lieu au foisonnement des commentaires qui ne font que diviser les esprits.

Heureusement, l’Evangile c’est Jésus, l’Evangile c’est la lumière qu’il est et que nous sommes appelés à devenir. C’est donc moins un enseignement que la lumière qui discerne tout enseignement, la lumière qui fait voir en éclairant chaque chose par l’innocence incorruptible du regard sans frontière et sans partialité qui réfère toute réalité à un ordre d’amour où elle se situe à son rang de valeur. Elle fait voir plutôt qu’elle ne propose des objets à voir, des constatations ou des notions à enregistrer.

La lumière de l’Evangile, dans le Christ toujours vivant, nous empêche avant tout de nous limiter et de nous arrêter à des vues contingentes. C’est pourquoi, elle peut nous introduire en toute vérité, car la vérité est, en toute chose, cette aptitude à devenir lumière en l’esprit par une référence, comme nous venons de le noter, à un ordre d’amour qui s’identifie avec la transparence de la divine pauvreté.

Toute réalité, dans cette perspective, est ouverte, est une allusion à cette Présence incorruptible, à cette innocence infinie, à cette pauvreté abyssale. Et la foi qui enracine en nous cette divine transparence est très justement définie par le grand poète Coventry Patmore comme «la lumière de la flamme d’amour».

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