Du Temple de Jérusalem au temple du cœur

3e dimanche du Carême
3 mars 2024, Année B, Jean 2, 13-25

D’une conférence de Maurice Zundel, lors d’une retraite aux Franciscaines de Ghazir (Liban) en 1959. Repris dans Je parlerai à ton cœur, p. 83s.

Notre Seigneur était, d’une certaine manière, encore dans l’Ancien Testament. Le Nouveau Testament commence à la mort de Jésus. C’est là que la Nouvelle Alliance est scellée dans le sang, c’est là que le voile se déchire, c’est là que commencent les temps nouveaux. (…)

Comme la Pâque juive était proche,
Jésus monta à Jérusalem.
Dans le Temple, il trouva installés
les marchands de bœufs, de brebis et de colombes,
et les changeurs.
Il fit un fouet avec des cordes,
et les chassa tous du Temple,
ainsi que les brebis et les bœufs ;
il jeta par terre la monnaie des changeurs,
renversa leurs comptoirs,
et dit aux marchands de colombes :
« Enlevez cela d’ici.
Cessez de faire de la maison de mon Père
une maison de commerce. »
Ses disciples se rappelèrent qu’il est écrit :
L’amour de ta maison fera mon tourment.
Des Juifs l’interpellèrent :
« Quel signe peux-tu
nous donner
pour agir ainsi ? »
Jésus leur répondit :
« Détruisez ce sanctuaire,
et en trois jours je le relèverai. »
Les Juifs lui répliquèrent :
« Il a fallu quarante-six
ans pour bâtir ce sanctuaire,
et toi, en trois jours tu le relèverais ! »
Mais lui parlait du sanctuaire de son corps.

Aussi, quand il se réveilla d’entre les morts,
ses disciples se rappelèrent qu’il avait dit cela ;
ils crurent à l’Écriture
et à la parole que Jésus avait dite.
Pendant qu’il était à Jérusalem pour la fête de la Pâque,
beaucoup crurent en son nom,
à la vue des signes qu’il accomplissait.
Jésus, lui, ne se fiait pas à eux,
parce qu’il les connaissait tous
et n’avait besoin d’aucun témoignage sur l’homme ;
lui-même, en effet, connaissait ce qu’il y a dans l’homme.

Conférence, Ghazir (Liban), 1959
Mise en ligne: 29.02.24
Temps de lecture: 2 mn

Le vin nouveau, il jaillira du mystère de la Pentecôte. C’est dans le feu de l’Esprit que toute vérité deviendra éclatante dans le cœur des Apôtres.

Le véritable sanctuaire est au-dedans de nous.

Jusque là, il faut mettre un voile ou plutôt il faut garder le voile du Saint des Saints, qui ne pourra se déchirer que quand tout sera consommé. Et il ne faut pas plus s’étonner que notre Seigneur, à certains moments, parle le langage des Anciens que de le voir aller au Temple, ce Temple qui, bientôt, sera détruit et dont il ne restera pas pierre sur pierre. Et pourtant, il va au Temple, comme il a été assujetti aux rites juifs dès son enfance.

Il ne rompt pas avec le culte traditionnel, il ne rompt pas avec les jeûnes qui engagent toute la nation. Il vit à la juive, bien qu’il sache que tout cela sera condamné. Et, de même, il peut recourir à certaines descriptions, à certaines traditions, parce qu’elles sont courantes, parce qu’elles forment le trésor commun du langage et que, pour atteindre ces gens, il faut bien les accrocher là où ils sont.

Il a dit assez de choses nouvelles et qui ont assez scandalisé, pour que l’on ne s’étonne pas qu’il ait parfois tempéré la nouveauté de son message en se plaçant sur le terrain où se trouvaient ses auditeurs.

Mais il y a des moments où il n’y tient plus et il suffit de se rappeler la scène des vendeurs chassés du Temple. Qu’est-ce que cela veut dire? On sent ici que l’on est sur le seuil de la Nouvelle Alliance, on sent que Jésus n’y tient plus, on sent que, s’il accepte tout cela, c’est par amour, par miséricorde, par adaptation, mais qu’il est tellement, qu’il est infiniment au-delà.

C’est lui qui a annoncé à la Samaritaine que le véritable sanctuaire est au-dedans d’elle-même. Alors, quand il voit que le Temple, que les parvis du Temple sont les lieux du négoce et du change, quand il entend ces troupeaux bêlants, quand il entend les cris des changeurs, alors il n’en peut plus…

Que Dieu ait accepté ces sacrifices sanglants, ces rites barbares et sauvages, toute cette boucherie répugnante et ce sang dont on oignait les cornes de l’autel, il l’a fait par miséricorde, parce que ce geste pouvait, s’il était rempli de piété, signifier qu’on reconnaissait en lui le maître de toutes choses: c’était déjà un pas vers la connaissance et vers l’amour de lui. Mais quand il n’y a plus que le rite sans intention, quand il n’y a plus que le rite sans âme, alors Jésus n’y tient plus.

C’est comme si Dieu était déshonoré et bafoué dans sa propre maison. Alors il s’arme de ce fouet, dont il ne va d’ailleurs pas se servir; la menace suffit, et son autorité. Il va dissiper toutes ces criailleries et faire le silence dans les parvis de la maison de Dieu, pour qu’on apprenne que ces rites ne signifient rien, s’ils ne sont pas parcourus par le souffle de l’Esprit et de l’amour.

«J’ai encore beaucoup de choses à vous dire, mais vous ne pouvez pas encore les porter» (Jn 16, 12). Nous ne serons donc pas étonnés de voir dans l’Évangile, à côté des nouveautés les plus révolutionnaires et qui demeurent à jamais, certaines adaptations qui s’adressent aux auditeurs et qui ne valent que pour un temps, comme la parole qui serait scandaleuse si on la prenait à la lettre: «Je n’ai été envoyé qu’aux brebis perdues de la maison d’Israël» (Mt 15, 24).

Il va de soi que cette parole signifie que, durant sa mission terrestre, c’est à cela qu’il avait à se limiter; il fallait d’abord qu’il tente d’accrocher le peuple qui se prétendait le dépositaire de toutes les vérités. Il voulait le faire entrer dans ce mouvement missionnaire pour le salut du monde entier. Et c’est quand le refus de ce peuple aurait été dûment établi, que la Parole serait portée aux nations.

Mais, bien entendu, dans cette parole, le Christ n’exclut pas tous les peuples de la terre, puisqu’il est venu expressément pour eux et que le dernier mot par lequel il donne à ses apôtres leur mission est de les envoyer précisément faire disciples toutes les nations.

Lisons donc les textes avec ce regard intérieur, en y cherchant partout l’amour de Dieu qui passe dans les textes de l’Ancien Testament, parce que l’Ancien Testament c’est un mouvement qui monte vers Jésus. Il monte lentement, à travers bien des hésitations, bien des reculs, mais il monte. Et c’est là son sens: c’est de conduire à Jésus.

En Jésus, tout cela est dépassé. C’est pourquoi il ne faut jamais lire l’Ancien Testament qu’à travers le Nouveau. C’est à travers le cœur du Seigneur qu’il faut lire tout cela en comprenant, comme on l’a dit magnifiquement que «une des plus grandes pauvretés de Dieu, c’est d’avoir accepté de se faire parole humaine».

Il a accepté de se faire parole humaine. Il a accepté ces caricatures de lui qui sont indignes de lui, mais qui étaient nécessaires à une humanité primitive et barbare, qu’il fallait soulever au-delà de sa misère et de son fumier et qu’il fallait prendre exactement là où elle était.

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