Dimanche de la Sainte Famille: la famille, «trinité humaine»

Dimanche de la Sainte Famille, Année B,
31 décembre 2023, Luc 2, 22-40

Homélie de Maurice Zundel pour la fête de la Sainte Famille, à Lausanne, en 1966.

La famille humaine, la famille telle que nous la connaissons et la vivons, la famille a un double pôle: un pôle naturel et un pôle surnaturel.

Quand fut accompli le temps prescrit par la loi de Moïse
pour la purification,
les parents de Jésus l’amenèrent à Jérusalem
pour le présenter au Seigneur,
selon ce qui est écrit dans la Loi :
Tout premier-né de sexe masculin
sera consacré au Seigneur.

Ils venaient aussi offrir
le sacrifice prescrit par la loi du Seigneur :
un couple de tourterelles
ou deux petites colombes.

Or, il y avait à Jérusalem un homme appelé Syméon.
C’était un homme juste et religieux,
qui attendait la Consolation d’Israël,
et l’Esprit Saint était sur lui.
Il avait reçu de l’Esprit Saint l’annonce
qu’il ne verrait pas la mort
avant d’avoir vu le Christ, le Messie du Seigneur.
Sous l’action de l’Esprit, Syméon vint au Temple.
Au moment où les parents présentaient l’enfant Jésus
pour se conformer au rite de la Loi qui le concernait,
Syméon reçut l’enfant dans ses bras, et il bénit Dieu en disant :
« Maintenant, ô Maître souverain,
tu peux laisser ton serviteur s’en aller
en paix, selon ta parole.
Car mes yeux ont vu le salut
que tu préparais à la face des peuples :
lumière qui se révèle aux nations
et donne gloire à ton peuple Israël. »
Le père et la mère de l’enfant
s’étonnaient de ce qui était dit de lui.
Syméon les bénit,
puis il dit à Marie sa mère :
« Voici que cet enfant
provoquera la chute et le relèvement de beaucoup en Israël.
Il sera un signe de contradiction
– et toi, ton âme sera traversée d’un glaive – :
ainsi seront dévoilées les pensées
qui viennent du cœur d’un grand nombre. »

Il y avait aussi une femme prophète,
Anne, fille de Phanuel, de la tribu d’Aser.
Elle était très avancée en âge ;
après sept ans de mariage,
demeurée veuve,
elle était arrivée à l’âge de quatre-vingt-quatre ans.
Elle ne s’éloignait pas du Temple,
servant Dieu jour et nuit dans le jeûne et la prière.
Survenant à cette heure même,
elle proclamait les louanges de Dieu
et parlait de l’enfant
à tous ceux qui attendaient la délivrance de Jérusalem.

Lorsqu’ils eurent achevé tout ce que prescrivait la loi du Seigneur,
ils retournèrent en Galilée, dans leur ville de Nazareth.
L’enfant, lui, grandissait et se fortifiait,
rempli de sagesse,
et la grâce de Dieu était sur lui.

Homélie, Lausanne, 1966
Mise en ligne: 26.12.23
Temps de lecture: 2 mn

1) Un pôle naturel, enraciné dans la biologie. Ce pôle est instinctif, cosmique, ayant en lui un esprit de possession. La famille se ferme sur elle-même, elle s’oppose aux autres familles, elle entretient des rivalités qui peuvent être permanentes et elle est divisée contre elle-même: les membres de la famille s’opposent les uns aux autres, la famille devient pour certains une prison et arrache à André Gide ce mot terrifiant: «Familles, je vous hais!». La famille peut être une limite, quand elle veut absorber ses membres, en les opposant les uns aux autres, ou en les opposant aux autres familles.

2) Mais la famille, heureusement, a aussi un pôle surnaturel et ce pôle surnaturel, c’est la Sainte Trinité. Le Christ nous a conduits jusque-là, le Christ nous a révélé Dieu comme une famille. Il n’est pas un être solitaire qui se contemple et se repaît de lui-même. Dieu est une éternelle communion d’amour. Mais cette famille est d’une nature singulière et incomparable, parce qu’elle est fondée tout entière sur la désappropriation. La théologie de la Trinité est le chef-d’oeuvre  des chefs-d’oeuvre.

Cette théologie inspirée, cette théologie divine, cette théologie dans laquelle on ne pénètre qu’à travers l’intimité de Jésus-Christ, la théologie de la Trinité, nous fait  connaître qu’en Dieu la seule propriété, je veux dire le propre de chaque personne, ce qui constitue son caractère – le caractère du Père, du Fils ou du Saint-Esprit – c’est de ne pouvoir rien s’approprier, c’est de n’exister qu’à l’état de relation, c’est-à-dire d’ouverture totale à un autre.

Le Père n’a rien. Il n’a rien que d’être une relation, vivante et éternelle, au Fils, qui se tient dans le même rapport avec lui, comme le Saint-Esprit face au Père et au Fils.

Ici éclate la liberté, une liberté entière, infinie, totale parce que, précisément, ce qui distingue une vie, ce qui en constitue la propriété, la caractéristique la plus intime, est aussi ce qui constitue la communion totale, infinie et absolue. Et il n’y a pas de contrainte possible sur l’autre comme il n’y a pas de possibilité d’être contraint puisque la personne même, la personnalité, est une démission.

Quand on ne peut plus rien que donner, on échappe au voleur, on ne peut rien prendre à celui qui est don par sa personnalité même. Et lui-même ne peut rien prendre non plus, puisque c’est dans la désappropriation de lui-même que son être le plus personnel est constitué.

C’est là le pôle surnaturel de la famille: la Trinité, éternelle communion d’amour entre le Père, le Fils et le Saint-Esprit. C’est par là que la famille s’ouvre, c’est par là qu’elle devient universelle: chacun de ses membres n’est plus crispé sur soi. Il est en état de communion avec les autres, il est offert aux autres. Il est tout tendu vers le bonheur des autres et, puisqu’il s’agit de voir dans le concret le rayonnement de cette vie trinitaire, on peut penser ici à la famille des Martin, où éclot la sainteté de Thérèse de Lisieux.

Toute cette famille axée sur la Présence divine, respire Dieu. Et dans cette famille, le père vénéré ne cesse de prodiguer à ses enfants, après la mort de sa femme, toutes les tendresses qu’une mère est capable de donner. Il suscite ainsi et entretient chez ses filles autour de la plus jeune, Thérèse de Lisieux, un concert de dévouement, de présence attentive et de paternité.

Le foyer d’Emmanuel Mounier, également, mériterait bien d’être canonisé. Emmanuel Mounier, c’est le fondateur d’Esprit, qui a déclenché l’admirable mouvement du personnalisme. Parfaitement conscient de sa solidarité avec les autres, Emmanuel Mounier offrit à Dieu l’épreuve terrible qui le frappa dans son foyer. Sa fille aînée Françoise perdit la raison à l’âge de 6 mois à la suite d’un vaccin désastreux. Elle demeurera jusqu’à sa mort une masse inerte, sans aucune réaction. Frappé dans ce qu’il avait de plus cher, Emmanuel Mounier offrit cette petite fille, en apparence inaccessible et pourtant habitée, il le savait, par la Trinité. Ce petit être informe, amorphe, inerte, qui est quand même le temple de Dieu, cette petite fille, une hostie, il l’offrit en réparation pour tous les désordres dans les foyers désunis et disloqués, car il savait que son foyer, si éprouvé, était éclairé par la présence de la Présence divine; et que si la souffrance est à crier, elle est féconde parce que, justement, elle est unie à la Croix du Seigneur, pour le salut du monde entier.

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