Craindre le mal comme Dieu le déteste

28e Semaine du Temps Ordinaire, Année A, Mt 22, 1-10

La parabole évangélique de ce dimanche nous laisse un goût amer. Tout commence si bien! Des noces princières, une fête, un banquet, des invitations dans un climat d’élégance et de grandeur. Et puis, tout change. Les invités n’apprécient pas l’invitation, ne l’acceptent pas, et s’en vont à leurs affaires.

Homélie, Lausanne, 1966
Mise en ligne: 09.10.20
Temps de lecture: 3 mn

L'Évangile doit se prendre tout entier comme il est. S'il contient des pages sévères, cela nous concerne, et nous n'avons pas le droit de nous hâter de les tourner.

Suit l’extermination et l’incendie de leur ville; d’une invitation à une noce, nous passons à une tragédie. Finalement, la fête est réorganisée au moyen d’autres invitations, la salle est pleine, tout paraît bien.

Mais voici un autre coup de théâtre: un commensal est sans habits de noces: «liez‑lui les mains et les pieds – nous pensons aux malheureux précipités de la roche tarpéienne à Rome ou aux galiléens rebelles jetés à la mer – et jetez‑le dans les ténèbres extérieures, là où sont les pleurs et les grincements de dents».

L’Évangile doit se prendre tout entier comme il est.

Sans aucun doute, la parabole de la brebis perdue nous plaît davantage. Mais voilà! C’est ce passage qui nous est échu. Nous ne dirons pas: patience. Nous dirons: Seigneur, aide‑nous à comprendre.

L’Évangile doit se prendre tout entier comme il est. S’il contient des pages sévères, cela nous concerne, et nous n’avons pas le droit de nous hâter de les tourner.

Il faut seulement prendre garde de ne pas nous laisser aller, par excès d’imagination ou par défaut d’intelligence, à une réaction pessimiste. L’Évangile est tout entier bonne nouvelle et annonce du salut. Le Seigneur ne veut pas nous épouvanter, mais nous sauver.

Qu’il soit toutefois bien entendu qu’il ne s’agit pas d’édulcorer à tout prix ce qu’il y a d’amer en quelques-unes unes de ses paroles, mais de nous asseoir à la table du Royaume en mangeant et buvant, en compagnie des autres fils de Dieu, les bonnes choses qu’il nous prépare.

Ainsi ce qui est amer ne nous répugne plus autant et nous comprendrons qu’il nous concerne. «L’amour parfait, dit saint Jean, bannit la crainte». (1 Jn 4, 18). Il ne la supprime pas cependant. Il la tient en réserve pour quand il le faudra, comme la gardienne de l’Amour. Dieu sait dans quelle mesure elle est nécessaire, et chacun de nous également le sait, s’il veut être sincère.

La crainte de Dieu est le commencement de la sagesse. (Prov. I, 7). La Sagesse s’entend ici de cette saveur divine dont l’Écriture dit: «Voyez et goûtez combien le Seigneur est bon».

Elle est sainteté, elle est amour de Dieu. La crainte en est seulement le commencement. Cela veut dire que dans la mesure où l’amour grandit, la crainte recule. Elle n’entrave pas sa marche, elle ne freine pas son élan. L’âme est‑elle capable de courir dans les voies de l’amour? Elle la laisse courir. Elle n’est point jalouse.

Elle se veut disponible, et prête à servir quand il le faudra. Les saints, en vérité, ne savent pas qu’ils sont saints. Ils aiment Dieu de toutes leurs forces, mais ils croient l’aimer peu. Leur humilité les persuade qu’ils ne font jamais que commencer, qu’ils sont toujours au premier échelon de la sagesse. C’est pourquoi ils ne perdent pas de vue la crainte de Dieu et ils en font bon usage.

Nous serions bien prétentieux si nous croyions pouvoir l’écarter et ne point devoir craindre la justice divine. Et pourtant cette présomption nous tente, non par l’illusion grossière et stupide de nous croire sans péché, et inaccessibles à la tentation. Mais plutôt par un certain sens de dignité et de perfection.

Il nous semble, en effet, que la crainte de Dieu soit une attitude dépourvue de beauté, qui nous diminue, en nous abaissant au niveau de l’esclave qui obéit à son maître pour éviter les coups de fouet, et en portant un coup mortel au concept même de la religion qui devrait être amour du Père, et non terreur du juge (…).

Sainte Thérèse d’Avila nous raconte dans son autobiographie qu’elle se fit religieuse dans la crainte d’être damnée si elle n’écoutait pas l’inspiration divine qui l’appelait au couvent.

«Je commençai à craindre d’aller en enfer, écrit‑elle au 3ème chapitre de son autobiographie, si je renonçais, et bien que ma volonté ne fût pas encore disposée à embrasser la vie monastique, je vis que cet état était le plus sûr et le meilleur, et ainsi, peu à peu, je me décidai à me faire violence pour l’assumer».

Dans la suite, sainte Thérèse gravit les plus hauts sommets de l’amour de Dieu, mais elle est partie de la peur de ses châtiments. (…)

Craindre le mal comme Dieu le déteste, ne pas le vouloir comme sa volonté s’y oppose, et dans la connaissance de notre propre faiblesse, redouter qu’il nous arrive de le vouloir un jour, voilà une crainte de Dieu d’une haute qualité. Nous atteignons là à un niveau supérieur où l’on entre dans la pensée, le jugement, la volonté du Seigneur, et donc dans son amour.

Ainsi se dénoue l’apparente opposition entre la crainte et l’amour. Entre la parabole des noces royales et celle de la brebis perdue, il n’y a pas de contradiction. Ce sont deux strophes en harmonie de l’hymne unique des élus qui n’aura jamais de fin.

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