Attendre le temps de la moisson

16e dimanche du Temps ordinaire,
Année A, 23 juillet 2023, Matthieu 13, 24-43

Pendant son exil à Rome, Zundel écrivait des lettres à la communauté des oblates qu’il avait fondée à Genève et qui lui était très chère. Dans cette lettre, qui date de 1927, on peut souligner, en lien avec l’Évangile de ce jour, «la confiance en notre Père pour attendre l’heure de la moisson». Il en résulte un art de poser le regard sur les événements de monde, regard de lumière et d’espérance malgré toutes les querelles qui embrasent les vies.

Les choses ont un dedans, elles portent une idée, elles murmurent un secret. Chacune comme un rayon d’en haut nous entraîne vers sa source: «Ce n’est pas nous, c’est lui qui nous a faites».

En ce temps-là,
Jésus proposa cette parabole à la foule :
« Le royaume des Cieux est comparable
à un homme qui a semé du bon grain dans son champ.
Or, pendant que les gens dormaient,
son ennemi survint ;
il sema de l’ivraie au milieu du blé
et s’en alla.
Quand la tige poussa et produisit l’épi,
alors l’ivraie apparut aussi.
Les serviteurs du maître vinrent lui dire :
‘Seigneur, n’est-ce pas du bon grain
que tu as semé dans ton champ ?
D’où vient donc qu’il y a de l’ivraie ?’
Il leur dit :
‘C’est un ennemi qui a fait cela.’
Les serviteurs lui disent :
‘Veux-tu donc que nous allions l’enlever ?’
Il répond :
‘Non, en enlevant l’ivraie,
vous risquez d’arracher le blé en même temps.
Laissez-les pousser ensemble jusqu’à la moisson ;
et, au temps de la moisson,
je dirai aux moissonneurs :
Enlevez d’abord l’ivraie,
liez-la en bottes pour la brûler ;
quant au blé, ramassez-le
pour le rentrer dans mon grenier.’ »

Il leur proposa une autre parabole :
« Le royaume des Cieux est comparable
à une graine de moutarde qu’un homme a prise
et qu’il a semée dans son champ.
C’est la plus petite de toutes les semences,
mais, quand elle a poussé,
elle dépasse les autres plantes potagères
et devient un arbre,
si bien que les oiseaux du ciel viennent
et font leurs nids dans ses branches. »
Il leur dit une autre parabole :
« Le royaume des Cieux est comparable
au levain qu’une femme a pris
et qu’elle a enfoui dans trois mesures de farine,
jusqu’à ce que toute la pâte ait levé. »

Tout cela, Jésus le dit aux foules en paraboles,
et il ne leur disait rien sans parabole,
accomplissant ainsi la parole du prophète :
J’ouvrirai la bouche pour des paraboles,
je publierai ce qui fut caché depuis la fondation du monde
.

Alors, laissant les foules, il vint à la maison.
Ses disciples s’approchèrent et lui dirent :
« Explique-nous clairement
la parabole de l’ivraie dans le champ. »
Il leur répondit :
« Celui qui sème le bon grain, c’est le Fils de l’homme ;
le champ, c’est le monde ;
le bon grain, ce sont les fils du Royaume ;
l’ivraie, ce sont les fils du Mauvais.
L’ennemi qui l’a semée, c’est le diable ;
la moisson, c’est la fin du monde ;
les moissonneurs, ce sont les anges.
De même que l’on enlève l’ivraie
pour la jeter au feu,
ainsi en sera-t-il à la fin du monde.
Le Fils de l’homme enverra ses anges,
et ils enlèveront de son Royaume
toutes les causes de chute
et ceux qui font le mal ;
ils les jetteront dans la fournaise :
là, il y aura des pleurs et des grincements de dents.
Alors les justes resplendiront comme le soleil
dans le royaume de leur Père.

Celui qui a des oreilles,
qu’il entende ! »

Lettre, Rome, 1927
Mise en ligne: 19.07.23
Temps de lecture: 2 mn

C’est en s’élevant au-dessus du créé qu’on rencontre le dedans. C’est‑à‑dire en quittant toute image, que seul notre esprit peut reconnaître tout ce qu’il y a d’esprit dans les choses, et notre coeur tout ce qu’il y a d’amour.

Un nouveau regard et de nouveaux yeux.

Les pigeons se posent indifféremment sur le David de Michel-Ange qui domine la place de San‑Miniato à Florence ou sur la balustrade à laquelle le voyageur s’accoude pour regarder l’Arno. Dans l’œuvre géniale comme dans le mur anonyme, ils ne cherchent qu’un appui.

Ils voient la statue comme un perchoir, un peu plus haut que d’autres, c’est‑à‑dire qu’ils ne la voient pas. Ils ne savent pas qu’elle incarne une vision immortelle. Ils ne peuvent entendre son secret, ni percevoir son mystère… Mais nous, par ce rayon d’esprit, qui passe dans notre regard de chair, insensibles à la matérialité de l’œuvre, nous voyons dans tous les muscles du bronze courir la joie du jeune berger, sûr d’abattre l’ennemi du Dieu d’Israël, au nom duquel il se mesure avec le Philistin.

Et pourtant, dans l’ensemble, et par rapport à l’univers et à tous les problèmes que suscite la vie, la vision des hommes ne dépasse guère celle des colombes de San Miniato.

Rivés à la première dimension, enfermés dans les corps comme s’il n’y avait que des corps, ils se disputent pouce à pouce une terre dérisoirement petite, à moins que la royauté de Dieu ne l’investisse de la gloire.

Et leur vie devient une lutte pour la vie, où la mort ne cesse de gagner. Tant de douleurs viennent de là, dans notre vie même que nous, nous ne savons pas voir au-delà de la matérialité du geste ou de la parole: au-delà des apparences des personnes ou des choses.

Alors, tout nous blesse et nous heurte, nous déchire et nous déçoit. Et il en est ainsi, il en doit être ainsi tant que nous ne nous réfugions pas dans l’illimité, dans cette divine lumière, qui est la source et l’origine, la raison d’être et la fin de tout ce qui a été fait

«La lumière de ton visage s’est levée sur nous, tu as versé la joie dans nos cœurs.»

C’est dans cette rencontre que le monde se transfigure. Et sans doute ce qu’il sera n’apparaît pas encore, mais déjà il est vrai de dire: une nouvelle terre et de nouveaux cieux. Un nouveau regard et de nouveaux yeux.

Notre premier devoir est de reconquérir cette vision symbolique et sacramentelle de la nature et de l’humanité, de chercher partout la trace de l’esprit, le nimbe d’immatérielle lumière qui est dans le charme divin des hommes et des choses.

Il nous faut demander d’avoir assez de respect de l’œuvre divine, pour ne pas la traiter comme une production de hasard, assez de patience pour lui permettre une croissance éternelle, assez d’amour pour ne pas violer son mystère, assez de confiance en notre Père pour attendre l’heure de la moisson.

Il y a des moments, le soir où la dureté des choses se fond dans l’air liquide, où tout l’univers semble aspirer d’un même souffle la paix indicible que le silence distille en rosée mystérieuse, quand déjà le soleil a quitté l’horizon.

La terre discrètement embrasée paraît vouloir rendre au ciel la lumière qu’elle a bue tout le jour ou plutôt: on dirait que toute chose se meut dans sa propre clarté, dans une lumière venue du dedans, comme si elle portait le soleil dans son coeur.

C’est quelque chose de semblable, à un niveau plus élevé, qu’opère la foi dans la charité.

A force d’entourer les êtres de lumière divine, elle les pétrit d’éternelle splendeur. Ils deviennent lumière, à leur tour, et ils portent le soleil dans leur coeur.

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