Retrouver le sens mystique du christianisme pour surmonter la crise

Père Patrice Gourrier | «Inventer, c’est penser autrement»: Si l’origine de cette affirmation est incertaine, elle n’en garde pas moins sa pertinence, surtout en temps de crise. 

L’auteur de cet article

Patrice Gourrier est un prêtre, psychologue clinicien, éditeur, écrivain et chroniqueur français.
Publié le 14.12.21

Et si à chaque fois, il s’agissait de permettre aux uns et aux autres de «vivre Dieu» plutôt que de parler de Lui? | © Pierre Pistoletti

Et l’Eglise traverse aujourd’hui une nouvelle série de crises… J’écris «nouvelle» car, ne l’oublions pas, l’Eglise au fil des siècles n’a cessé de connaître des crises, qu’elles soient internes ou bien dans ses relations avec le monde dans lequel elle est immergée. Actuellement, il me semble que nous vivons cette double tension de manière particulièrement violente.

«Prêtre de base», je me garderai bien de mêler ma voix aux voix discordantes qui ne cessent de retentir, soit dans des livres, des articles, les réseaux sociaux ou tout autre média.

Tout le monde semble, en effet, avoir «sa» solution pour réformer l’Eglise, son organisation et mettre fin aux scandales de mœurs ou financiers qui font perdre à son discours sur le fond toute crédibilité, ce à quoi nous ne pouvons nous résoudre au risque de perdre notre âme.

La lecture du père Maurice Zundel m’a conforté dans l’idée que mon avenir de prêtre au cœur de l’Eglise que j’aime passerait par la mystique et non par les réformes de structure

La difficulté pour moi aujourd’hui est de me situer, de garder le cap au milieu d’une cacophonie qui illustre de manière nouvelle l’épisode biblique de la tour de Babel (Genèse 11).

Le pape parle, des cardinaux, des évêques le contredisent, se contredisant à leur tour entre eux. De même, au niveau des prêtres et des chrétiens au cœur de nos diocèses… Un peu perdu, j’ai demandé un jour à l’un des responsables d’un dicastère romain à qui je devais obéir en cas de contradiction: A mon évêque, ou au pape? Celui-ci avec un large sourire garda le silence…

Dès lors, il m’a fallu trouver le moyen de tenir debout, de garder le cap au cœur d’une Eglise qui, à l’image de nombreuses institutions semble désorientée, ne montrant plus la direction du soleil qui se lève à l’Orient.

Le hasard, la Providence m’ont alors conduit à lire les mystiques, qu’ils soient orientaux ou occidentaux, qu’ils soient d’hier ou d’aujourd’hui, même s’il me semble plus difficile d’en trouver actuellement de vivants. En effet, où sont aujourd’hui les saint Augustin, les saints Grégoire de Nysse, de Nazianze…

Où sont ces voix qui parlent non seulement à l’intelligence, mais aussi au cœur, unissant les deux et permettant à l’âme de leur interlocuteur de s’élever?

Récemment le départ d’un jeune prêtre, dont l’épuisement physique et spirituel n’a pas été pris en compte, m’a obligé à me poser une question: Que se serait-il passé si les hommes d’Eglise avaient pris en compte l’enseignement de leur vivant des mystiques qui se sont succédés au fil des siècles?

Que se serait-il passé si, pensant autrement, on avait traduit leur pensée dans le quotidien du fonctionnement de l’Eglise? Je n’ai bien entendu pas de réponse à cette question, mais quand même une petite idée…

La lecture du père Maurice Zundel, génie mystique du XXème siècle, selon le pape Paul VI, m’a conforté dans l’idée que mon avenir de prêtre au cœur de l’Eglise que j’aime passerait par la mystique et non par les réformes de structure qui sont aujourd’hui, quasiment quotidiennement proposées…

Ainsi, le père Zundel déclare:

«Si l’Eglise doit surmonter sa crise, elle ne le pourra que par cette voie: il faut retrouver le sens mystique du christianisme[1]

«Si tant de chrétiens s’en vont […] c’est que ces chrétiens n’ont pas découvert, c’est que ces prêtres n’ont pas découvert le Dieu intérieur, le Dieu libérateur, le Dieu qui est la vie de notre vie […] Ils ont préparé des examens sur Dieu. Mais ils n’ont pas fait l’expérience passionnante, inoubliable, inépuisable d’un Dieu qui est la Vie de la vie, qui est une transfiguration de tout l’univers, qui est le cœur de l’Amour et son éternité. Leurs obligations, leur bréviaire, leur célibat: tout cela sont des choses – comme leur théologie – qu’ils ont prises du dehors, sans rien d’élan sentimental et affectif[2]

Ces propos, quand je les ai découverts, m’ont profondément bouleversés. En effet, durant tout mon cursus universitaire en théologie, je n’ai jamais compris que la Trinité, l’Esprit Saint… puissent devenir des sujets d’examens, toute la formation nous préparant non pas à en vivre et à en «faire l’expérience» mais à savoir en parler…

De même lorsque j’ai suivi des cours sur les Pères de l’Eglise, on m’a plus appris à «autopsier» les textes qu’à me pousser à comprendre qu’ils étaient source de Vie pour ma vie spirituelle.

Enfin, et ce n’est qu’un exemple, nos cours sur la spiritualité s’intitulaient «Histoire de la spiritualité» comme si celle-ci faisait partie du passé.

Alors, oui, essayons de penser autrement la formation des prêtres, la liturgie, la lecture de la Parole de Dieu…

Et si à chaque fois, il s’agissait de permettre aux uns et aux autres de «vivre Dieu» plutôt que de parler de Lui.

Et si, à la suite du père Maurice Zundel et de ses précieuses indications, on revoyait tous les sujets aujourd’hui débattus, sous le regard de la mystique, au lieu de se diviser sur des questions de réforme des structures, d’équilibre des pouvoirs, de parité…

Car ne l’oublions jamais:

«L’Eglise c’est Jésus vivant à travers nous, mais à condition que Jésus soit vivant en nous[3]»


[1] Marc Donzé, Témoin d’une présence, Inédits de Maurice Zundel, tome II, p. 9, éditions du Tricorne, 1987.
[2] Idem, p.9
[3] Idem, p. 11.

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