Que signifie « évangéliser »?

Pour annoncer l’Évangile, il faut d’abord faire route avec les personnes, leur donner les conditions de possibilité d’accéder à leur profondeur et, précisément, les rejoindre par le plus intime de l’être.

L’auteur de cet article

Marc Donzé est prêtre, fervent disciple de Maurice Zundel à qui il a consacré l’essentiel de sa bibliographie.

Le Sénégal vient de gagner la Coupe d’Afrique des Nations, en football. Immense fierté populaire: «nous avons notre propre génie pour interpréter le jeu».

Cette liesse m’a réjoui, puis elle m’a rappelé un propos qu’avait tenu Maurice Zundel, lors d’une homélie en 1972 à Lausanne, sur le président d’alors du Sénégal. Je ne crois pas que l’abbé se soit beaucoup intéressé au sport; en revanche, il pose une question fondamentale sur la dignité des peuples d’Afrique et d’ailleurs et sur le respect que nous sommes appelés à leur témoigner.

Ne parlez pas trop de Dieu, vous l’abîmeriez

«J’ai entendu à Khartoum, le printemps dernier, le président du Sénégal, Léopold Senghor, un homme cultivé des pieds à la tête, parlant le français le plus pur, agrégé de l’Université, et que ses seuls mérites, car il est chrétien, c’est-à-dire appartenant à une faible minorité dans son pays, que ses seuls mérites ont porté au pouvoir. Un pouvoir d’ailleurs qu’il ne désire nullement garder, et qui lui a été conservé uniquement grâce à son rayonnement personnel, reconnu par tous. Ce grand poète noir nous parlait de la négritude comme d’un humanisme.

Les Noirs, maintenant, et par la bouche d’un de leurs hommes les plus éminents, en face d’une race qui croyait avoir le monopole de la civilisation, rendent désormais témoignage à un humanisme autochtone, un humanisme qui a grandi sur leur propre sol, et qui non seulement ne nous doit rien, mais qui est parfaitement capable de nous enrichir.

Dans ces conditions, la mission doit prendre un visage tout à fait neuf.»

Une respectueuse patience

Dans l’Église, par les temps qui courent, on parle souvent de «nouvelle évangélisation». Et l’on balance entre deux attitudes. D’une part, une manière affirmative, conquérante d’annoncer l’Évangile dans le style de que ses tenants appellent un «christianisme décomplexé»; en des temps plus anciens, cette manière de faire revêtait des accents colonialistes.

D’autre part, une respectueuse patience qui permet de cheminer avec les personnes et les peuples.

L’abbé Zundel se situe clairement dans le champ du respect et de la patience. La raison en est profonde. Les peuples ont élaboré des chemins de sagesse et de culture qu’il importe de connaître, d’accueillir avec douceur et humilité, mais aussi avec une intelligence lucide et critique. Donc, l’estime fraternelle qui est due à chaque homme devrait être à la source de cet accueil.

L’exemple le plus frappant de ce cheminement avec un peuple, c’est pour moi Charles de Foucauld. Vivant au milieu des Touaregs, il a appris leur langue et leur culture avec une telle profondeur qu’il a rédigé le dictionnaire touareg-français qui est encore valable aujourd’hui.

Entre parenthèses, ne rejoint-on pas, par ce mode de faire, l’un des axiomes fondamentaux de la pédagogie dans la formation des adultes? Car, il est vivement conseillé de commencer par découvrir ce que les adultes connaissent déjà, de les rendre conscients de leur expérience souvent riche et de bâtir sur ce socle du vécu.

Accéder à leur profondeur

Donc, pour annoncer l’Évangile, il faut d’abord faire route avec les personnes, leur donner les conditions de possibilité d’accéder à leur profondeur et, précisément, les rejoindre par le plus intime de l’être. Comme le dit l’abbé Zundel, lors d’une retraite en 1971, dans l’un des seuls textes où il emploie le mot football:

«Il y a une valeur éternelle au fond de nous-mêmes, qui nous permet de communier les uns avec les autres dans nos suprêmes profondeurs, sans d’ailleurs violer le secret les uns des autres. Il ne s’agit pas du tout d’un Dieu dont on parle, d’un Dieu qu’on voudrait imposer aux autres en les amenant à une formule qui constituerait comme un dénominateur commun. Il s’agit de toute autre chose : on peut porter ce Dieu en parlant de football, ou en parlant de la musique de jazz, ou de la musique pop. On peut porter ce Dieu dans n’importe quelle situation, à condition que l’on en vive, que l’on soit axé sur un silence assez profond pour être à l’origine de l’homme. Il y a une région du silence où nous avons tous nos racines communes et où nous pouvons nous joindre sans le dire, simplement en vivant suffisamment cette Présence pour que nous en portions le rayonnement».

Une « mission du silence »

Dès lors, pour annoncer l’Évangile, il faut d’abord le vivre. Les paroles ne servent de rien, si elles ne sont pas vécues. Zundel va même très loin dans ce sens: il parle de «mission du silence». Ce qui importe donc, ce ne sont pas les paroles – ne parlez pas trop de Dieu, vous l’abîmeriez – mais le service aimant que l’on donne à ceux qui en ont soif ou besoin. Dans ce sens, le modèle qui doit conduire celui qui veut évangéliser, c’est le lavement des pieds.

«Après tout, le Christ n’est pas une doctrine, le Christ n’est pas un langage, le Christ n’est pas un système, le Christ ne s’identifie pas avec la technique, d’ailleurs admirable, de notre civilisation limitée ; le Christ est une Présence d’Amour, une Présence de lumière, et comme le dit magnifiquement saint Augustin, le Christ est la vie de notre vie.

Eh bien, si le Christ est la vie de notre vie, il faut que cela se voie ! Et si cela se voit, il n’y a pas besoin que l’on en parle! Si notre vie est transfigurée, si elle est énergie, si elle est universalisée par sa présence, n’importe qui serait capable de s’en apercevoir et d’en tirer les conséquences et les conclusions.»

Ces paroles de l’abbé concluent la réflexion, pleine d’admiration et de respect, qu’il avait commencée en écoutant Léopold Senghor. Le Sénégal a encore bien d’autres ressources de sagesse que son art du football. Les autres pays, les autres cultures aussi.

Marc Donzé

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