« Nous sommes une cathédrale vivante »

L’humoriste américain Mark Twain raconte cette boutade: son frère et lui étaient jumeaux, personne ne pouvait les différencier. Un jour l’un d’eux s’est noyé. Lui-même n’a jamais su lequel des deux était mort. Cette boutade de taille est très profonde.

Billet de Maurice Zundel écrit à Bex (Suisse)
1950. Inédit.

Mise en ligne: 18.05.20
Temps de lecture: 2 mn

"C’est dans la mesure où nous écoutons sa Présence que nous comprendrons la merveille de notre condition." | DR

Les hommes sont interchangeables. On peut mettre l’un à la place de l’autre, on ne s’en aperçoit pas. Ils naissent, grandissent, se poussent du coude pour se faire une place qui les fera vivre, meurent sans laisser de trace. La boutade de Mark Twain illustre ceci de façon saisissante.

Durant la guerre, les hommes éloignés de leur foyer se sont consolés sur place. Leurs femmes en ont fait de même. Chacun a trouvé une tendresse qui remplaçait l’ancienne.

Sans Dieu, nous sommes interchangeables

Chacun était interchangeable, car il n’y avait personne. Pour que l’homme existe, il doit surmonter ses instincts, ses déterminismes, ses limites, et c’est un travail immense, c’est sans fin.

Dans le sentier de leurs instincts, ils suivent leurs déterminismes, sans se créer eux-mêmes. Etre homme, ce serait chose magnifique si on voulait se créer soi-même.

Saint François, à sa mort, n’était que l’ombre de lui-même, car il s’était consumé d’amour, il était un Evangile transparent, une Croix vivante. Ses frères sont là, ils l’entourent et sont près à le pleurer. Et saint François, sûr de mourir, leur fait chanter le Cantique du Soleil. Le Soleil, la lune, le feu, la lumière, les fleurs, les oiseaux, sont ce qu’il a aimé ! Il sait qu’il va retrouver cela car il le porte en lui. Et voici notre Sœur, la mort. Il souhaite la bienvenue à notre Sœur, la mort qui va l’introduire dans la vie. Il prend des cendres et les répand sur lui et se couche, nu, sur la terre pour mourir. C’est le soir et voici que toutes les alouettes viennent chanter, pour saluer une dernière fois saint François.

Il meurt dans la plénitude de cette vie qu’il n’a cessée de chanter. Il meurt, entouré de ses disciples, en apothéose. Il n’a rien à abandonner, tous ses biens sont en lui, en son âme, en son cœur. Il demeure ainsi parmi nous.

Nous sommes toujours tentés de croire que Dieu est un devoir pénible, une vertu obligatoire. En en faisant un pensum, nous le trahissons. Sans lui, nous sommes interchangeables, un néant.

Avec sa Présence le monde est changé, il devient créateur, un jaillissement, une découverte merveilleuse. Nous réalisons notre humanité, notre liberté en laissant, sur terre, une trace qui ne s’effacera pas. L’homme est plus que lui-même, le porteur de Dieu ? ou zéro.

Nous n’avons qu’à abandonner les non-valeurs, ce moi zéro qui n’intéresse personne. S’approcher de Dieu, c’est se recueillir, écouter. Nous sommes une cathédrale vivante. C’est dans la mesure où nous écoutons sa Présence, en portant ce silence en nous, que nous annonçons que l’Homme existe et comprendrons la merveille de notre condition. L’homme est alors plus que lui-même.

Le Christ demande que nous devenions un visage humain, que nous consentions à notre vocation d’homme, nous comprendrons alors que lorsque l’Homme existe, il est toujours plus que lui-même.

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