Et si l’urgence était ailleurs?

Le monde s’agite, cogite, s’inquiète. Il s’enfièvre et s’emballe. Il s’embrase, s’enivre, s’emporte, s’embrouille, s’embourbe. Et s’enlise. Croissance en crise! Effondrement en vue et moral en berne.

L’auteur de cet article

Isabelle Perrenoud | Installée dans un petit village proche des montagnes, c’est dans la solitude et la rencontre qu’elle nourrit sa foi, sa quête de sens et son espérance en une humanité réconciliée.

Volonté, pourtant, de garder le cap. Le même. Par tous les vents et coûte que coûte. Ne pas dévier de la trajectoire.

Certes, elle tend à prolonger une sombre histoire de divisions, d’iniquités et d’abus de pouvoir.

Mais peu importe, puisqu’elle multiplie les avoirs. De quelques-uns. Les autres ne comptent pas. Chacun pour soi. Au diable les apitoiements.

A l’heure où la croissance s’essouffle, faiblit, crachote, cahote, tout est bon – rien n’est trop cher ni trop insidieux – pour la gonfler, la doper, la booster. Sans tarder. Par tous les moyens. Quitte à clouer l’humain – et Dieu avec lui – au pilori.

Demain est si vite arrivé. Pas le temps de communier; il faut consommer. Pour la santé des finances. A tout prix et en urgence.

Des sirènes retentissent

En rupture, la terre n’en peut plus. Le ventre à l’air, exsangue, prise de spasmes, elle expectore ses dernières ressources. Ses poumons brûlent. Dans son sang circulent les déchets toxiques d’une société jamais rassasiée. Son cœur bat encore, mais ses veines se bouchent. Inexorablement. La pression monte. Assez pour alerter quelques consciences qui, craignant le pire, tirent la sonnette d’alarme.

Au milieu du brouhaha et des feux d’artifice, des sirènes retentissent. Stridentes. Dérangeantes. Grincements de dents. Les discours s’échauffent. La température s’élève. Plus que quelques degrés et l’homme partira en fumée.

En attendant – hasard ou coïncidences –, il croule sous les urgences. Implacables, elles l’accablent. Elles le talonnent, l’éperonnent, le poursuivent, le cernent, le piègent. Cauchemar!

Qu’il règle son compte à l’une d’entre elles et voilà qu’une kyrielle d’autres déferlent. S’il tente la fuite, elles le rattrapent. Quand il leur oppose l’espoir, elles le renversent. Elles se dressent sur sa route, prolifèrent, poussent de partout. Et l’homme court. En tous sens. Sens dessus-dessous. Il louvoie, atermoie, perd la boussole, fonce droit dans le mur. Démesures. Censure. A quoi bon continuer? Faut-il, sous la rubrique «toujours d’actualité» d’un site où s’atteste une lueur, poursuivre dans l’horreur? Où est l’erreur?

Grandiose et renversante nouvelle

Et si l’urgence était ailleurs? Non à l’extérieur, mais à l’intérieur. De l’homme. Ne serait-il pas lui-même le problème? Question que nous pose l’abbé Zundel ici, maintenant, juste après Noël.

Elle sonne comme un appel, retentit comme une évidence, avant de se prolonger en cette affirmation qui se révèle semence d’une croissance non seulement possible, mais indispensable: «L’homme n’existe pas, il a à se créer; le monde n’est pas fait: il a à se faire!»

Grandiose et renversante nouvelle, dont nul encore ne mesure la portée. L’homme qui l’entend ne peut que s’arrêter. Et se retourner. A tout le moins un instant. Ou peut-être toute une vie. En tous les cas, le temps de se demander: «Qui suis-je? Moi qui croyais être moi, rien que moi, seulement moi, condamné à me satisfaire de moi, à me limiter à moi, serais-je un autre que moi, plus grand que moi? ».

Alors survient la rencontre

Interrogation qui suscite l’émoi. En l’homme. Il se tait. Enfin. Et se penche du dedans. Vers le dedans. Tout paraît soudain différent: désencombré, pacifié, illimité.

Quelle heure est-il? Le temps s’efface. L’homme aussi. Il cède la place. A l’espace qu’il contient; à l’espace qu’il devient. Alors survient la rencontre: celle d’avec l’Emmanuel qui l’ensoleille, d’avec la Beauté qui l’en-visage, d’avec Dieu qui, fragile et sublime, ne possédant rien qu’un amour tout donné, s’offre à lui et l’engendre.

Bouleversé dans ses profondeurs, touché en plein cœur, l’homme s’agenouille. En lui. Jusqu’au ravissement. Jusqu’à l’embrassement. Jusqu’à oser, dans un élan de tout son être, Lui poser un baiser sur la joue.

C’est ici que tout se joue

Et c’est ici que tout se joue: après s’être retourné, incliné, oublié dans cette réponse d’amour qui l’a élevé – et a élevé le monde -, dans ce moment d’alliance qui l’a transfiguré – et a transfiguré l’univers -, l’homme va-t-il s’éloigner de Celui qui, dans l’espoir fou de rayonner à travers et avec lui, n’a d’autre vouloir que de s’offrir à lui?

Va-t-il s’en détourner pour s’en retourner à ses obscurités, ses enlisements, à son moi trop étroit, exclusif, trop pressé, enfermé et suicidaire, qui l’empêche de grandir et de se créer, contraignant par-là même la terre, le monde et Dieu à souffrir et expirer?

Dieu frissonne

Dieu frissonne. En l’homme. Il y a urgence. De splendeur. De vastitude. De présence, de transparence et d’alliance, d’éclosion et de croissance. De vie. Car «l’homme n’existe pas: il a à se créer; le monde n’est pas fait: il a à se faire!».

Noël est passé et demain si vite arrivé. Plus que quelques degrés et l’homme partira en fumée. A moins qu’il n’adhère sans plus tarder, dans un oui de tout son être et de tout son amour, à l’Être et à l’Amour qui, plus grands que lui en lui, l’ensoleillent, l’en-visagent et l’engendrent. Pour la gloire de l’homme et de Dieu; pour le salut du monde et de la planète.

Isabelle Perrenoud

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