Du confinement et de sa souffrance

« Il faut avoir vécu la douleur, senti la séparation avec Dieu pour être proche des hommes, les écouter avec ce recul, cette réserve, cette promiscuité unique, cette amitié fraternelle. Ce qui est sûr, c’est que votre douleur deviendra créatrice dans la mesure où vous accueillerez les autres ». Maurice Zundel

L’auteur de cet article

Luc Ruedin sj est travailleur social et théologien

Une fermeture

Parmi les multiples constats sur les effets de la pandémie, ceux du mal-être, de la souffrance et de la dépression qui atteint notamment tant de jeunes, ne peuvent pas ne pas nous alerter.

On peut se désolidariser de cet état de fait et, se référant à Pascal, rappeler que  « Tout le malheur des hommes vient de ne savoir pas demeurer en repos, dans une chambre. ». Cette pandémie remettrait les pendules à l’heure et l’humanité à la conscience de sa véritable condition. L’homme est seul et perdu dans le vaste univers ! Nul secours n’est à attendre et il lui faut affronter cette épreuve le plus stoïquement possible. Le confinement imposé – n’avons-nous pas été privés de contacts, de sorties, de culture ? – mettrait ainsi en exergue la condition de l’homme et sa fuite dans le divertissement.

La souffrance mystérieusement nous aura humanisés.

Réagir ainsi, c’est se dédouaner de la souffrance de l’humanité en poursuivant son petit chemin, celui que les aises de la richesse repue, de l’intériorité soignée et de l’équilibre familial  et social offre aux nantis.

Cependant, pour qui a expérimenté qu’à l’Origine est la Relation, ne se considérer que comme un individu, équivaut à s’automutiler.

A contrario, se savoir constitué par et dans la Relation, c’est reconnaître combien est essentiel la communion avec ses frères humains. C’est du même coup refuser tout individualisme.

L’ouverture

Mesurant la détresse de nos contemporains qu’il l’a lui-même traversée, le chrétien se solidarise donc avec eux. Il le fera d’autant plus justement qu’il aura tiré des enseignements de la juste manière de vivre sa propre souffrance. Il se souviendra ainsi que lorsque la souffrance nous atteint, il est légitime de la refuser !

Dans un second temps, il se rappellera toutefois que le refus de l’événement – ici le confinement – conduit à tarir le flux vital et peut plonger dans la dépression.

En refusant la douleur, en voulant l’ignorer, il lui a donné une consistance et une force négative plus grande encore. Sans compter que ne pouvant échapper à ses conséquences négatives, il va chercher des coupables. Les théories complotistes et dans une moindre mesure les récentes accusations et insultes envers les autorités politiques en sont le signe.

L’accepter alors ? Pas tout de suite. Ce serait se situer au-dessus de l’événement en voulant le maîtriser. Cette réaction de surface ne ferait que gangréner l’existence.

Que faire alors ? Peut-être transformer notre rapport à l’événement qui a provoqué la souffrance.

Qu’est-ce-à-dire ? En se laissant changer par le contexte nouveau –  réaménagement de notre quotidien par le confinement – que nous ne pouvions prévoir et qui s’impose à nous.

L’événement a forcément modifié nos relations avec nous-mêmes, les autres et Dieu. Sentir et percevoir ce qui a été modifié et le nommer est un premier pas sur le chemin de la guérison.

Discerner ce qui a changé pour favoriser et intégrer ce qui est porteur de vie en est un autre. Cela peut avoir des conséquences concrètes : par exemple, en ces temps de fermeture des lieux publics réaménager notre maison pour mieux accueillir les autres.

Ou encore reconfigurer notre espace relationnel en distinguant ce qui est essentiel, important, accessoire pour donner plus de place à la relation. Le faire c’est alors prendre la décision de recommencer  à vivre.

Un autre savoir…

De plus en adhérant à la souffrance sans nous y identifier, nous grandissons. En nous faisant perdre quelque chose de notre maîtrise, la souffrance nous fragilise et nous invite à un réexamen de ce sur quoi nous fondons nos vies. Elle nous invite ainsi à réinventer notre manière d’être-au-monde.

Quittant nos ruminations, un nouvel espace peut s’ouvrir à nous. Y habiter c’est acquérir un nouveau savoir. D’autant plus précis que la souffrance nous aura découvert des zones de notre humanité encore inaperçues.

Devenus plus souples sensibles, intelligents, résilients, libres… nous accueillerons plus largement les surprises que la vie nous réserve. Un savoir subtil nous aura ainsi été donné. La souffrance mystérieusement nous aura humanisés.

… au service des autres

« Il faut avoir vécu la douleur, senti la séparation avec Dieu pour être proche des hommes, les écouter avec ce recul, cette réserve, cette promiscuité unique, cette amitié fraternelle » nous rappelle M. Zundel.

Tirer les enseignements existentiels de la souffrance, nous ouvre à une attention aimante inconditionnelle et sereine à la vie de celui qui souffre.

Notre humanité pétrie de notre propre souffrance « colle » alors à l’humanité de l’autre, à la totalité de son humanité blessée. Car l’autre est plus que sa douleur ! Notre attention ample et dépouillée ouvrira alors un champ qui lui donnera de « passer » au-delà. Libéré de son enfermement dans la souffrance, il sera ranimé et mené près des eaux du repos (Ps 23).

Chrétiens, ne sommes-nous pas des passeurs ? Par le Silence attentif qui imprégnait son écoute, l’Abbé Zundel permettait à ceux et celles qu’il accompagnait d’habiter la maison du Seigneur pour de longs jours.

Luc Ruedin s.j.

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