Résurrection des corps et transfiguration de l'univers

Jésus Christ, c’est la liberté de sa personne, la liberté de son être qui lui permet d’adapter la manifestation de lui-même à l’état d’esprit et aux dispositions du cœur de ceux auxquels il apparaît. L’identification se fait par degré. 

Homélie de Maurice Zundel
en Notre Dame des Anges à Beyrouth,
3 avril 1972

Mise en ligne:
29.04.20
Temps de lecture: 8 mn

Les artistes ont rencontré dans l’univers une Présence qu’ils n’ont jamais cessé de nous rendre sensible | DR

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L’identification se fait par degré. Nous le voyons ici : les disciples, les apôtres croient voir un esprit. Ce n’est que peu à peu que ils se convainquent de la présence corporelle du Seigneur, cette présence corporelle qui d’ailleurs, je viens de le dire, témoigne, d’une si grande liberté, tellement que, finalement, le Christ disparaîtra à leurs yeux au-delà de toutes les lois de l’espace et du temps.

Cette liberté du Corps du Seigneur, cette liberté du Christ Ressuscité, elle est appelée à devenir la nôtre, puisque nous avons tous cette vocation de ressusciter et que la vie glorieuse du Seigneur s’imprime déjà dans nos vies. Comment cela peut-il se réaliser ? Par quel recueillement, quelle intériorisation de nous-mêmes ? C’est là évidemment toute la question que nous pouvons d’une certaine manière mettre en route par des expériences vérifiables.

Notre corps est lié à l’habitat terrestre

Les cosmonautes nous ont appris que l’homme ne peut subsister lorsqu’il quitte notre atmosphère qu’en emportant les conditions terrestres. S’ils n’avaient pas été ravitaillés par l’oxygène, s’ils n’avaient pu manger des nourritures terrestres, les cosmonautes n’auraient pas survécu sur la lune. Ils sont donc restés terrestres sur la lune parce que, justement, notre organisme est ordonné à notre habitation terrestre : nos organes sont ainsi faits que, ils sont étroitement limités à cette zone terrestre qui est notre habitat.

Si, il y avait un transfert de l’humanité dans d’autres planètes, dont les conditions sont peut-être différentes, il faudrait que les organes se modifient en proportion, c’est-à-dire que nous allons nous demander qu’est-ce qui constitue finalement notre corps dans son essence ? Si nous faisons la soustraction des dispositifs qui nous adaptent à notre habitat terrestre, qu’est-ce qui reste de nous ?

Si d’ailleurs nous tenons compte des conditions de l’après vie, de l’après vie terrestre où il n’y aura plus de génération, où il n’y aura plus de mariage, où il n’y aura plus la lutte pour le pain quotidien, où donc tous les organes qui sont adaptés à ces fonctions auront disparu, qu’est-ce qui reste du corps ? Quelle est l’essence de notre corps ? Qu’est-ce qui maintient notre identité depuis le sein maternel jusqu’à notre mort, depuis l’embryon jusqu’au vieillard ? Qu’est-ce qui maintient l’identité ? Qu’est-ce qui assure notre présence dans le monde visible, qu’est ce qui nous permet de nous y manifester si on fait la soustraction de tout ce que j’ai dit, de tout ce qui est rigoureusement adapté à notre habitat terrestre et aux fonctions qui ont à s’y exercer pendant le temps où nous y demeurons ?

Il y a une donnée qui est extrêmement émouvante, c’est celle de notre voix. Votre voix que l’on reconnaît quand on vous connaît, votre voix qui s’annonce au téléphone : on sait que c’est vous si l’on vous connaît, révèle la musique de votre voix. La musique de votre voix est unique, elle correspond à un chiffre, à une certaine longueur d’onde. Ce chiffre de votre voix est sans doute le chiffre qui correspond au chiffre de votre corps que l’on peut résumer, lui aussi, dans une longueur d’onde : une certaine musique, une certaine note si vous le voulez.

Ce serait cela finalement qui constituerait l’essence de notre présence visible et qui nous permettrait de nous manifester dans le monde visible. Aussi bien voyons-nous justement dans les apparitions de notre Seigneur qu’elles manifestent une entière liberté. Tantôt il apparaît sous une forme, tantôt sous une autre, avec toutes les graduations que je signalais tout à l’heure, dans la manière où il est reconnu et identifié.

Être une présence, être une musique

Si bien que, finalement, il y aurait pour nous une certaine musique fondamentale qui correspondrait à notre essence singulière; aussi bien lorsque nous sommes en présence de quelqu’un, ce qui nous intéresse, ce n’est pas sa digestion, ce n’est pas sa respiration, à moins qu’il ne soit malade et qu’il ait besoin d’un secours immédiat, ce qui nous intéresse, c’est précisément le mystère de sa présence. Qu’est-ce que c’est que cette présence ? Cela dépend naturellement de sa vérité et de la nôtre. Ca dépend de son équilibre. Ca dépend de la lumière qu’il porte en lui. Ca dépend de sa pureté et de la nôtre. Ce qui fait une présence dans les états les plus favorables, c’est justement qu’elle est un présent, un cadeau, c’est que elle ouvre un espace, c’est qu’elle apporte une lumière, c’est qu’elle est une source de joie.

Ce serait dans cette direction que nous aurions à vivre le Christ ressuscité en ressuscitant déjà nous-mêmes, en nous transformant, en anticipant notre résurrection, en intériorisant toutes nos puissances organiques, de manière à ce que nous soyons contenus tout entier dans un certain point de lumière qui annoncerait le mystère de notre être sous la forme, justement, d’une présence, d’un présent et d’un cadeau.

C’est, je pense, de cette manière que nous entrons en contact avec nous-même et avec les autres, de cette manière virginale où le contact justement s’établit à partir de la racine de l’être, de son enracinement en Dieu, à partir de ce qu’il y a de plus diaphane en nous, enfin à partir de cette musique fondamentale qui ferait de nous, de nous une note de joie dans le cantique du Soleil.

C’est dans cette direction que nous allons nous établir au cours de cette liturgie tandis que nous allons, précisément, à la rencontre du Seigneur ressuscité, à la rencontre de son Corps glorieux qui devient la sanctification du monde. Nous allons lui demander cette grâce d’être une présence, une présence diaphane, une présence de lumière, une présence de joie, enfin une musique, une musique silencieuse dans le cœur du Seigneur et dans le cœur de nos frères qui le reconnaîtront justement à travers nous dans la mesure où nous aurons en eux un espace de lumière et d’amour.

Dans ce résumé de récit de la Résurrection, qui probablement n’est pas de saint Marc bien qu’il soit l’appendice de son Évangile, il y a une parole qui est assez unique : « Allez dans le monde entier proclamer la Bonne Nouvelle à toute la création. » C’est le seul évangéliste, sauf erreur, qui formule la consigne de Jésus sous cette forme (Mc 16:14) : évangéliser non seulement les hommes, mais évangéliser, évangéliser toute la création ! Ce qui implique les animaux, les végétaux, les minéraux, ce qui implique les astres, ce qui implique toute l’histoire et finalement tout l’univers.

Ce tout petit mot qui correspond à celui de saint Paul aux Romains (Rom 8:21-22) : « Toute la Création gémit dans les douleurs de l’enfantement », toute la Création attend « soumise à la vanité », malgré elle, comme elle l’est en effet, et « attend la révélation de la gloire des Fils de Dieu ». Il y a certainement une correspondance entre la vision de saint Paul et la consigne que rapporte ici la finale de saint Marc : toute la création qui a été enténébrée par nos refus d’amour, toute la Création doit être purifiée, libérée et va recevoir l’Évangile et elle est appelée aussi à vivre de Dieu.

Cette vue synthétique, cette vue qui rassemble dans une seule vocation l’homme et l’univers est infiniment précieuse parce que elle nous donne précisément une vue d’ensemble du plan de Dieu. La liberté divine éclate au cœur de la Trinité, qui est le sens même de Jésus créateur, veut se répandre à travers les créatures intelligentes sinon toute la création.

La vérité est Quelqu’un

Nous en avons une sorte d’anticipation dans cette expérience admirable de la science qui n’a pas cessé de chercher la vérité à travers les phénomènes. Que des savants puissent s’enthousiasmer pour les phénomènes au point d’y consacrer leur vie, qu’ils soient comblés par cette étude de la nature, au point d’y consacrer leur vie, qu’ils soient comblés par cette étude de la nature, c’est évidemment le plus vivant des signe qu’il y a une correspondance entre leur esprit et la nature et que, à travers les phénomènes, ils atteignent cette présence de la vérité, qui est Quelqu’un, car il est impossible que l’esprit se consacre à la vérité, qu’il en soit illuminé, qu’il en soit comblé si la vérité n’était pas Quelqu’un.

À travers ce cheminement sur la circonférence qui symbolise le progrès de la science qui est sans terme et qui durera autant que durera l’histoire, à travers ce cheminement sur la circonférence, il y a une relation avec le centre éternel qui embrasse tous les temps, il y a une relation qui justement éclate, de temps en temps, à travers les phénomènes où le savant se sent relié à ce centre éternel, et c’est par-là que, à travers les phénomènes, il atteint la vérité, la vérité qui est Quelqu’un, la vérité qui est le jour de notre esprit et de notre intelligence comme elle est aussi la joie la plus profonde de nos cœurs.

Il y a donc une vocation spirituelle de l’univers, que la science, à sa manière, accomplit, que l’âme aussi, bien sûr, avant la science, pourrait-on dire, que l’âme s’applique aussi à réaliser.

L’univers sacré

Enfin si, à travers le spectacle de la nature, les artistes, en cherchant à l’exprimer, n’ont pas cessé d’enrichir le musée de nos émerveillements, c’est que à travers la nature, eux aussi, à leur manière, sous l’aspect de la beauté, ils ont rencontré dans l’univers une Présence qu’ils n’ont jamais cessé de nous rendre sensible puisque l’œuvre d’art, finalement, c’est précisément comme le sacrement de la beauté, qui contient la suggestion et la communication d’une Présence.

Et, plus profondément encore, l’amour humain, à travers la communion des êtres, l’amour humain qui n’a pas cessé de porter la vie, l’amour humain, bien sûr, plus que tout autre manifestation de notre existence, l’amour humain plonge dans le cœur de Dieu, a ses racines en Lui et nous ramène à lui, puisqu’il est impossible d’aimer sans échanger si l’on veut que l’amour soit éternel.

Il y a donc déjà dans l’expérience humaine, il y a une anticipation de cette consigne rapportée par saint Marc : « Allez, évangélisez toute la création ». Cela nous ouvre un jour sur le contact avec l’univers. Cela nous engage précisément à un respect infini de toute créature puisque à travers toute la création circule la pensée et l’amour de Dieu et que, il n’y a pas une structure dans l’univers qui ne reflète la pensée et l’amour de Dieu.

L’univers sacramentel, d’ailleurs, constitue déjà à sa manière, et comme un chef d’œuvre incomparable, la personnalisation de tout l’univers, puisque Jésus a emprunté les signes sensibles pour nous communiquer sa Présence et sa grâce.

Il y a dans le Christ une sacralisation de l’univers qui correspond à la plus profonde expérience humaine et qui nous appelle nous-mêmes à entrer dans cette transfiguration, à y collaborer en faisant chanter toutes les fleurs, comme dit la messe du Rosaire : « Fleurs, fleurissez et donnez votre parfum, offrez la grâce de votre feuillage et la louange de votre cantique et, dans toutes ses œuvres, bénissez le Seigneur » (Sir. 39:19).

La joie pascale, c’est donc une joie qui veut se répandre dans tout l’univers et ce n’est pas seulement l’homme qui doit devenir alléluia des pieds à la tête : c’est tout l’univers.

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