Le secret messianique

21e dimanche du TO,
Année A, 27 août 2023, Matthieu 16, 13-20

D’une conférence de Maurice Zundel sur le thème «peut-on écrire une vie de Jésus?», donnée à Genève en 1965.

Si vous lisez les Évangiles Synoptiques, vous découvrirez une perspective extrêmement nette, celle qui va vers la confession de Césarée, ce fameux entretien de Jésus, hors de la Palestine, où il met ses disciples au pied du mur, où il leur demande de déclarer ce qu’ils pensent de lui et cette confrontation aboutit à la confession de Pierre:

En ce temps-là,
Jésus, arrivé dans la région de Césarée-de-Philippe,
demandait à ses disciples :
« Au dire des gens,
qui est le Fils de l’homme ? »
Ils répondirent :
« Pour les uns, Jean le Baptiste ;
pour d’autres, Élie ;
pour d’autres encore, Jérémie ou l’un des prophètes. »
Jésus leur demanda :
« Et vous, que dites-vous ? Pour vous, qui suis-je ? »
Alors Simon-Pierre prit la parole et dit :
« Tu es le Christ,
le Fils du Dieu vivant ! »
Prenant la parole à son tour, Jésus lui dit :
« Heureux es-tu, Simon fils de Yonas :
ce n’est pas la chair et le sang qui t’ont révélé cela,
mais mon Père qui est aux cieux.
Et moi, je te le déclare :
Tu es Pierre,
et sur cette pierre je bâtirai mon Église ;
et la puissance de la Mort ne l’emportera pas sur elle.
Je te donnerai les clés du royaume des Cieux :
tout ce que tu auras lié sur la terre
sera lié dans les cieux,
et tout ce que tu auras délié sur la terre
sera délié dans les cieux. »
Alors, il ordonna aux disciples
de ne dire à personne que c’était lui le Christ.

Conférence, Genève, 1965
Mise en ligne: 23.08.23
Temps de lecture: 3 mn

«Tu es le Christ, tu es le Messie, tu es donc celui que l’on attend», et cette confession parait quelque chose de si neuf, de si extraordinaire que Jésus aussitôt répond à Pierre qu’évidemment, s’il s’est élevé à cette confession de foi, c’est qu’il l’a fait sous l’inspiration de Dieu.

On comprend donc que le Christ se soit gardé de se dire le Messie.

Ce n’est pas la chair et le sang qui lui ont révélé cette qualité messianique de Jésus, mais le Père et, en échange, il est déclaré Pierre, la pierre sur laquelle l’Église sera fondée.

Aussitôt, d’ailleurs, Jésus interdit absolument à ses disciples de déclarer, c’est-à-dire de trahir ce secret qui vient de s’échanger entre eux, entre lui et ses disciples; il leur interdit formellement d’en parler jusqu’à sa Résurrection d’entre les morts.

Donc, la perspective synoptique, c’est que la messianité de Jésus est un secret qui doit demeurer tel entre lui et ses disciples, qui ne doit pas être divulgué. Bien sûr que tout cela suppose que nous sommes dans un temps d’occupation. La Palestine est occupée par les Romains et cette occupation est odieuse naturellement comme toute occupation, elle l’est doublement puisque la Palestine, la Terre sacrée est foulée par le païen. C’est le païen qui domine le Peuple de Dieu. L’occupation, de ce fait, apparaît non seulement comme une privation d’indépendance qui est toujours ressentie comme un outrage intolérable, mais l’occupation apparaît comme un sacrilège. C’est le peuple de Dieu, c’est donc Dieu dans son peuple qui est offensé par l’occupation romaine qui est une occupation païenne.

Or nous savons bien que toute occupation suscite des mouvements de résistance, appelle des maquis et il y en avait à l’époque: ils foisonnaient. Rappelez-vous qu’en l’an 9 de notre ère, si je ne fais erreur, Varus, le général romain, a été appelé à réprimer une révolte juive et a fait crucifier deux mille juifs et ces mouvements insurrectionnels n’ont pas cessé de se produire, parfois justement sous l’étiquette messianique, certains révolutionnaires se présentant comme le Messie, ralliant leurs partisans comme les envoyés de Dieu, tellement que ce mot de Messie était évidemment un mot explosif, une sorte de bombe atomique, dans l’ordre de l’esprit, donc il fallait, si l’on voulait aboutir à une révolution spirituelle surtout, se garder d’employer ce mot explosif qui suscitait toutes sortes de passions nationalistes.

On comprend donc que le Christ se soit gardé comme du feu de se dire le Messie, d’employer ce mot qui pouvait être si facilement mal interprété et qu’il ait fait à ses disciples, la seule fois où il ait provoqué de leur part la reconnaissance de sa messianité, qu’il ait fait de cette reconnaissance un secret à garder soigneusement entre eux jusqu’à sa Résurrection d’entre les morts.

Il est difficilement concevable, dans un tel contexte où Jésus recourt à une telle prudence pour avouer sa messianité, qu’il ait jeté aux quatre vents l’affirmation de sa divinité qui était quelque chose d’encore beaucoup plus difficile à admettre et qui heurtait cette fois non seulement toutes les susceptibilités du pouvoir occupant, c’est-à-dire des Romains, mais qui offensait au coeur et à la prunelle de l’œil tous les juifs qui admettaient, exactement comme les musulmans, qu’il n’y a qu’un Dieu unique, un Dieu solitaire, le Dieu Yahvé des prophètes qui est au centre du culte, qui n’a pas d’égal, qui n’a pas de pareil, qui n’a pas d’époux comme les dieux païens, enfin ce Dieu solitaire, ce Dieu unique et qui est le roi d’Israël.

On ne peut pas imaginer que Jésus ait prodigué aux quatre vents dans un tel contexte l’affirmation de sa divinité. Il aurait été immédiatement lacéré, écorché vif, en raison du caractère tout à fait blasphématoire d’une telle prétention.

Il est donc certain que ce n’est qu’au compte-gouttes que Jésus a pu orienter ses disciples ou ses auditeurs vers la découverte du mystère de sa personne et que ce n’est finalement que dans la vie ecclésiale, dans la vie de la première communauté chrétienne que le mystère de sa personne s’est dévoilé, qu’il a été reconnu et que Jésus, en effet, d’ailleurs sans aucun heurt, est devenu pour les Apôtres le centre du culte.

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