Justice pour que la dignité de chaque homme soit respectée

25e dimanche du Temps Ordinaire, Année A,
24 septembre 2023, Matthieu 20, 1-16

D’une conférence de Maurice Zundel donnée au Cénacle de Genève le 28 novembre 1948. (Il s’agit vraisemblablement de notes d’auditeur). Le droit de propriété qui est aussi un devoir de générosité pour que tout homme ait les moyens d’une vie humaine et humanisante est une intreprétation possible de la parabole des ouvriers de la dernière heure, qui reçoivent un salaire correspondant aux besoins d’une journée entière.

Dans la ligne de l’esprit, devant le Dieu intérieur, le Dieu‑pauvreté, nous ne pouvons concevoir qu’une chose: le fondement de tous les droits, c’est le dépouillement. On n’a de droit que pour se donner, se dépouiller et devenir ce que Dieu est.

Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu

En ce temps-là,
Jésus disait cette parabole à ses disciples :
« Le royaume des Cieux est comparable
au maître d’un domaine qui sortit dès le matin
afin d’embaucher des ouvriers pour sa vigne.
Il se mit d’accord avec eux sur le salaire de la journée :
un denier, c’est-à-dire une pièce d’argent,
et il les envoya à sa vigne.
Sorti vers neuf heures,
il en vit d’autres qui étaient là, sur la place, sans rien faire.
Et à ceux-là, il dit :
‘Allez à ma vigne, vous aussi,
et je vous donnerai ce qui est juste.’
Ils y allèrent.
Il sortit de nouveau vers midi, puis vers trois heures,
et fit de même.
Vers cinq heures, il sortit encore,
en trouva d’autres qui étaient là et leur dit :
‘Pourquoi êtes-vous restés là,
toute la journée, sans rien faire ?’
Ils lui répondirent :
‘Parce que personne ne nous a embauchés.’
Il leur dit :
‘Allez à ma vigne, vous aussi.’

Le soir venu,
le maître de la vigne dit à son intendant :
‘Appelle les ouvriers et distribue le salaire,
en commençant par les derniers
pour finir par les premiers.’
Ceux qui avaient commencé à cinq heures s’avancèrent
et reçurent chacun une pièce d’un denier.
Quand vint le tour des premiers,
ils pensaient recevoir davantage,
mais ils reçurent, eux aussi, chacun une pièce d’un denier.
En la recevant,
ils récriminaient contre le maître du domaine :
‘Ceux-là, les derniers venus, n’ont fait qu’une heure,
et tu les traites à l’égal de nous,
qui avons enduré le poids du jour et la chaleur !’
Mais le maître répondit à l’un d’entre eux :
‘Mon ami, je ne suis pas injuste envers toi.
N’as-tu pas été d’accord avec moi pour un denier ?
Prends ce qui te revient, et va-t’en.
Je veux donner au dernier venu autant qu’à toi :
n’ai-je pas le droit de faire ce que je veux de mes biens ?
Ou alors ton regard est-il mauvais
parce que moi, je suis bon ?’

C’est ainsi que les derniers seront premiers,
et les premiers seront derniers. »

Conférence, Genève, 1948
Mise en ligne: 21.09.23
Temps de lecture: 2 mn

Si la propriété a un sens, c’est celui de garantir sa propriété intérieure qui consacre son humanité.

Un être écrasé de soucis matériels ne peut se donner

Ce que l’homme veut, ce qu’il demande avant tout, c’est de se donner gratuitement: c’est là sa noblesse et c’est à ce moment-là, seulement, qu’il atteint toute sa stature.

Les droits de l’homme, ce sont les possibilités réelles et concrètes qui lui permettront de réaliser ce don: un être écrasé de soucis matériels ne peut se donner. Je sais bien l’impossibilité qu’il y a à parler de Dieu à des gens qui sont dans la misère: ce serait le pire des blasphèmes que de leur parler de la gratuité infinie, à eux qui sont incapables de gratuité. Ils ne pourront reconnaître le visage d’amour de Dieu que lorsqu’ils pourront respirer, avoir devant eux un certain espace. L’univers cessera d’être hostile, quand ces êtres ne seront plus écrasés: il deviendra un univers de tendresse.

Si le droit de propriété signifie quelque chose, c’est pour chacun la nécessité d’avoir un espace suffisant pour maintenir la gratuité de sa vie, supprimer l’obsession du besoin matériel, permettre de respirer dans le cœur et dans l’esprit. Il n’y a pas d’autre droit que celui d’accéder à cette liberté réelle et efficace et d’être suffisamment garanti des nécessités matérielles pour introduire son âme.

Tout ce qui va à l’encontre n’est pas un droit.

Cette garantie est analogique et doit correspondre aux besoins réels, naturellement. Ceci étant assuré, nous ne pouvons rien garder au-delà si, à côté de nous, des êtres sont dans une nécessité qui les empêche d’atteindre cette gratuité qui est la grandeur humaine. Si je garde pour moi plus que mon espace, mon voisin a exactement ce même besoin.

Le seul qui ait des droits, c’est Dieu qui est amour. Dès qu’on perd la notion de la gratuité intérieure, le droit retombe dans le groupe, dans la volonté générale ou le despotisme. Il n’y a plus de droit, car les valeurs ne sont plus conçues par la conscience.

On retombe dans le groupe, dans la biologie, incapable en soi de penser. Si une nation existe, c’est dans ses génies, dans ses têtes de ligne qui sont déjà des hommes, les autres sont appelés à accéder à l’humain, mais les droits sont des droits d’amour et de liberté, les droits de la très sainte pauvreté.

Il serait monstrueux que la pensée chrétienne consacrât les privilèges de quelques‑uns au détriment des autres. Si on a pu s’intéresser à la propriété, ce n’est que lorsqu’elle signifiait le don intérieur, la richesse de l’humanité consacrée par celle de l’homme.

On ne peut faire résider le droit ni dans le peuple, ni dans le roi. C’est dans la conscience face à Dieu, dans ce dialogue d’amour que l’espace s’ouvre, que la vie gratuite devient possible et peut être donnée.

Le chrétien a le devoir d’entrer à vif dans ces notions clarifiées et de ne pas se laisser manier par des slogans. De toute évidence, ce sont les pauvres qui ont pâti, ce sont eux qui doivent être les premiers. Nous devons les aider, mais sans les mobiliser dans un parti, sans les priver de leur liberté, de leur dignité.

«Qu’importe qu’on nous donne le bonheur, si on nous refuse la dignité» (Jean Guéhenno).

Le problème n’est posé ni à gauche, ni à droite. Ce sont là des dénominations animales. Poser le problème dans le sillage de la conscience, l’homme n’est pas encore né, il trouvera son épanouissement dans cette naissance qui est dialogue d’amour.

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