En chaque homme qui a faim, le Christ

Le Christ, roi de l’Univers
Dimanche 26 novembre, Année A, Matthieu 25, 31-46

D’une homélie de Muarice Zundel , donnée à Lausanne en 1965

Le réalisme de l’Évangile, le réalisme du Christ éclate dans ces paroles du 25è chapitre de saint Matthieu: «J’ai eu faim, j’ai eu soif, j’étais malade, j’étais en prison, j’étais dénué de tout… et tout cela, je l’ai souffert dans chacun des hommes, torturé par la faim, la soif, le dénuement, la maladie. Chaque fois que vous avez secouru l’un d’eux, c’est à moi-même que vous l’avez fait».

En ce temps-là,
Jésus disait à ses disciples :
« Quand le Fils de l’homme viendra dans sa gloire,
et tous les anges avec lui,
alors il siégera sur son trône de gloire.
Toutes les nations seront rassemblées devant lui ;
il séparera les hommes les uns des autres,
comme le berger sépare les brebis des boucs :
il placera les brebis à sa droite, et les boucs à gauche.

Alors le Roi dira à ceux qui seront à sa droite :
‘Venez, les bénis de mon Père,
recevez en héritage le Royaume
préparé pour vous depuis la fondation du monde.
Car j’avais faim, et vous m’avez donné à manger ;
j’avais soif, et vous m’avez donné à boire ;
j’étais un étranger, et vous m’avez accueilli ;
j’étais nu, et vous m’avez habillé ;
j’étais malade, et vous m’avez visité ;
j’étais en prison, et vous êtes venus jusqu’à moi !’
Alors les justes lui répondront :
‘Seigneur, quand est-ce que nous t’avons vu…?
tu avais donc faim, et nous t’avons nourri ?
tu avais soif, et nous t’avons donné à boire ?
tu étais un étranger, et nous t’avons accueilli ?
tu étais nu, et nous t’avons habillé ?
tu étais malade ou en prison…
Quand sommes-nous venus jusqu’à toi ?’
Et le Roi leur répondra :
‘Amen, je vous le dis :
chaque fois que vous l’avez fait
à l’un de ces plus petits de mes frères,
c’est à moi que vous l’avez fait.’

Alors il dira à ceux qui seront à sa gauche :
‘Allez-vous-en loin de moi, vous les maudits,
dans le feu éternel préparé pour le diable et ses anges.
Car j’avais faim, et vous ne m’avez pas donné à manger ;
j’avais soif, et vous ne m’avez pas donné à boire ;
j’étais un étranger, et vous ne m’avez pas accueilli ;
j’étais nu, et vous ne m’avez pas habillé ;
j’étais malade et en prison, et vous ne m’avez pas visité.’
Alors ils répondront, eux aussi :
‘Seigneur, quand t’avons-nous vu
avoir faim, avoir soif, être nu, étranger, malade ou en prison,
sans nous mettre à ton service ?’
Il leur répondra :
‘Amen, je vous le dis :
chaque fois que vous ne l’avez pas fait
à l’un de ces plus petits,
c’est à moi que vous ne l’avez pas fait.’

Et ils s’en iront, ceux-ci au châtiment éternel,
et les justes, à la vie éternelle. »

Homélie, Lausanne, 1965
Mise en ligne: 22.11.23
Temps de lecture: 3 mn

Le jugement, dans cette péricope de saint Matthieu, se fondera précisément sur la réponse que nous aurons donnée aux besoins matériels des hommes: la faim, la soif, la prison, la maladie, le dénuement. C’est cela qui garantit l’équilibre merveilleux du message chrétien, du message de Jésus-Christ, c’est que justement les besoins physiques des hommes, les besoins les plus matériels de l’homme ont une importance si décisive que le jugement dernier s’accomplira sur ces données.

La communion humaine est cette chaîne d’amour qui doit ceinturer la terre

Et pourtant le même Christ a dit: «L’homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu» (Mt 4, 4). Car il y a une autre faim dans l’homme que la faim matérielle. Il y a cette faim de l’esprit, cette faim du coeur, ce besoin de lumière, de vérité, de présence et d’amour, ce besoin de dévouement, ce besoin de générosité, ce besoin de se donner qui est plus fort que tout: ce besoin d’être nécessaire à quelqu’un et de faire de sa vie un don qui puisse combler le coeur d’un autre.

Mais justement – et c’est cela qui fait éclater la sagesse de Jésus – c’est que ces deux faims se confirment l’une l’autre et que la faim matérielle, la faim du corps est d’autant plus atroce que l’homme est capable d’une faim spirituelle, que ses besoins sont réellement infinis, qu’il a une vie de l’esprit qui constitue cette différence d’avec tous les vivants; Sartre, en cela admirablement disciple du Christ, le dit à sa manière: «La faim, la faim chez l’homme, c’est beaucoup plus que la faim».

Pourquoi? Pour la raison suivante que nous tirons du Coeur de Jésus-Christ: chez l’homme la faim, la faim physique, la faim du corps, quand elle s’exaspère, envahit tout le champ de la conscience et l’oblitère. Elle rend impossible le sentiment, la nostalgie de la faim de l’esprit, elle voile les réalités essentielles, elle arrache l’homme à lui-même, elle l’empêche de s’accomplir, de se créer, de faire de sa vie une source et une origine, et c’est cela, justement, qui justifie la place hors pair que Jésus donne (dans la péricope de Matthieu 25) à tous les besoins matériels, c’est cela qui fait qu’il les éprouve en lui-même, qu’il a faim pour tous ceux qui ont faim, qu’il a soif pour tous ceux qui ont soif, qu’il est malade en tous ceux qui souffrent, qu’il agonise en tous ceux qui meurent, qu’il est privé de tout en ceux qui sont dans le dénuement et qu’il est captif avec tous ceux qui sont en prison. (…)

Bethléem, c’est en hébreu «la maison du pain». Jésus-Christ, né à Bethléem, est précisément celui qui apporte aux hommes de quoi répondre à leur faim: sans doute à la faim de l’esprit, à la faim du coeur, à la faim d’infini, mais aussi, en priorité, à cette faim du corps, à cette faim organique, dont la satisfaction conditionne l’expérience de la faim spirituelle.

Et pourquoi sommes-nous ici ce soir, sinon pour préparer le pain de l’esprit à toute l’humanité? Qu’est-ce qui nous rassemble ce soir autour de l’autel, sinon cette communion humaine, cette chaîne d’amour qui doit ceinturer la terre, qui doit accueillir tous les hommes pour nourrir leur coeur et leur esprit de la Présence de l’éternel Amour qui est le Dieu vivant?

Nous sommes ici pour cela, pour réaliser ensemble cette faim humaine et pour y satisfaire tout à la fois. Nous sommes ici avec les autres, nous sommes ici pour eux, nous sommes ici avec tous les hommes, avec tous ceux qui meurent de faim, avec tous ceux qui ont soif, avec tous ceux qui sont dénués, avec tous ceux qui sont captifs, avec tous ceux qui sont malades, avec tous ceux qui agonisent. Nous sommes ici au nom de tous les hommes pour leur préparer la table du Seigneur, pour leur préparer leur place et leur nourriture.

Notre communion n’a de sens que celui d’être une communion humaine, de faire de nous tous un seul Corps Mystique, un seul pain vivant où circulera la vie de Jésus-Christ. Mais justement, parce que nous sommes ici pour préparer le pain spirituel de l’homme authentique, justement parce que nous sommes ici au nom de tous les hommes et pour chacun d’eux, nous ne pouvons pas ne pas ressentir comme le Christ, avec une acuité d’autant plus grande que nous savons que l’homme ne vit pas seulement de pain, cette faim du corps, cette faim organique, ce dénuement matériel qui abrutit l’homme, qui le replie sur son corps, qui l’oblige à penser à ses viscères, qui le réduit à une espèce de cri matériel en oblitérant sa dignité humaine.

Il y a donc, il doit y avoir une circulation intense dans notre coeur et dans notre esprit, un rapport immédiat et indissoluble entre ces deux faims, la faim de l’esprit et la faim du corps.

Et ici nous entrons dans la vocation de la liturgie, si nous comprenons que l’Eucharistie est une communion humaine, universelle, qui conditionne notre union avec Dieu: nous serons alors d’autant plus sensibles à l’appel de la misère humaine sur toutes les terres, dans tous les continents, dans toutes les races, dans toutes les classes; notre fidélité, si elle est authentique, tendra à promouvoir passionnément cette sollicitude de tous ceux qui ont à l’égard de tous ceux qui n’ont rien.

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