Annoncer l’Evangile

5e dimanche du Temps Ordinaire,
Année B, 4 février 2024, Marc 1, 29-39 

D’une homélie de Maurice Zundel donnée à Lausanne le 4 février 1973, éditée dans Ta Parole comme une source, p. 183. Le thème de ce dimanche, c’est annoncer l’Évangile. Jésus le vit, en parcourant la Galilée. Et Paul le vit en se faisant tout à tous. Les propos de Zundel sontliés à la situation des années 1970, mais le fond en reste tout à fait pertinent pour aujourd’hui.

La proclamation de l’Évangile, aujourd’hui, pose un immense problème parce que le Christianisme a été, d’une part souvent solidaire des classes les plus favorisées, et que, d’autre part, dans les pays neufs, l’Évangile a été souvent le compagnon de la colonisation.

En ce temps-là,
aussitôt sortis de la synagogue de Capharnaüm,
Jésus et ses disciples allèrent, avec Jacques et Jean,
dans la maison de Simon et d’André.
Or, la belle-mère de Simon était au lit,
elle avait de la fièvre.
Aussitôt, on parla à Jésus de la malade.
Jésus s’approcha,
la saisit par la main
et la fit lever.
La fièvre la quitta,
et elle les servait.

Le soir venu, après le coucher du soleil,
on lui amenait tous ceux qui étaient atteints d’un mal
ou possédés par des démons.
La ville entière se pressait à la porte.
Il guérit beaucoup de gens atteints de toutes sortes de maladies,
et il expulsa beaucoup de démons ;
il empêchait les démons de parler,
parce qu’ils savaient, eux, qui il était.

Le lendemain, Jésus se leva, bien avant l’aube.
Il sortit et se rendit dans un endroit désert,
et là il priait.
Simon et ceux qui étaient avec lui partirent à sa recherche.
Ils le trouvent et lui disent :
« Tout le monde te cherche. »
Jésus leur dit :
« Allons ailleurs, dans les villages voisins,
afin que là aussi je proclame l’Évangile ;
car c’est pour cela que je suis sorti. »

Et il parcourut toute la Galilée,
proclamant l’Évangile dans leurs synagogues,
et expulsant les démons.

Homélie, Lausanne, 1973
Mise en ligne: 01.02.24
Temps de lecture: 3 mn

Mieux encore, une sorte de compromis extrêmement périlleux, parce que d’un côté, on a associé le Christianisme avec la prospérité matérielle, avec la fortune, avec la grandeur humaine, et que, d’autre part, on a associé le Christianisme avec des entreprises impérialistes qui n’avaient aucune espèce de rapport avec lui.

«Se faire tout à tous»

Et très spécialement dans ce domaine, justement, pour les peuples qui n’étaient pas traditionnellement chrétiens, un immense problème se pose, parce que ces peuples qui s’éveillent, et jouissent enfin de leur indépendance, découvrent aussi leurs propres valeurs, et sont naturellement appelés à les exploiter, à les connaître, à les approfondir, à s’en nourrir, à s’en prévaloir, à s’en glorifier, à rejeter par conséquent tout ce que la colonisation a pu leur apporter, en dehors des avantages techniques, auxquels personne aujourd’hui ne peut se refuser.

Il y a donc une tendance à se détacher du Christianisme lui-même, dans la mesure où on l’a reçu, pour mieux affirmer ses propres traditions, pour être plus fidèle à son ethnie, pour mettre en valeur un patrimoine que l’on n’a aucune raison de dissimuler. Si bien que certains chrétiens se demandent si les missions ont encore un sens, si le fait même de connaître la mission n’est pas une injure faite aux peuples qui ont leurs traditions morales et leurs traditions religieuses, et qui peuvent parfaitement vivre sur ce fonds, sans aucun apport du Christianisme.

Rappelez-vous, et c’est là un exemple extrêmement émouvant, que Gandhi lui-même, ce grand saint de l’Inde, était hostile à la mission. Il pensait que l’Inde avait assez de richesses spirituelles pour vivre sur son propre fonds et que, si le Christianisme, qu’il admirait d’ailleurs et dont il n’hésitait pas à tirer de très fécondes méditations, était pour les Européens la religion la plus convenable, il fallait laisser aux Hindous leurs propres traditions, sans essayer d’entacher leur fidélité à des croyances ou à des pratiques qui avaient fait leurs preuves.

Et c’est là justement que, dans ce monde si divisé, si déconcerté, la question peut se poser: «Comment annoncer l’Évangile?» Et la réponse de saint Paul rencontre précisément toutes nos difficultés: «se faire tout à tous» (1 Co 9, 22). Car, quel est le cœur de l’Évangile, sinon la démission totale de soi-même?

Dans la Trinité divine où Jésus nous introduit, il n’y a pas de place pour une possession. Dans la Trinité divine, tout est don. Dans la Trinité divine, tout est un regard vers l’Autre. Dans la Trinité divine, il n’y a plus qu’un immense et éternel espace d’amour où tout est radicalement, totalement, infiniment donné. Et qu’est-ce que l’Évangile, sinon de vivre la vie du Christ, sinon d’entrer dans ce dépouillement total, sinon de faire de soi un espace illimité où la Présence divine se respire?

Et c’est là, justement, que l’Évangile, dans son essence, est totalement incapable de blesser personne. Si l’on va au cœur de l’Évangile, qui est le cœur de la Trinité, si l’on entre dans cette pauvreté selon l’esprit, si l’on apporte aux autres tout simplement un espace d’amour où l’on est agenouillé devant le mystère de leur âme, pour la laisser s’épanouir en Dieu, il ne peut plus être question d’offense.

Quand notre Seigneur est à genoux au lavement des pieds, il résume tout ce qu’il est, tout ce qu’il donne, tout ce qu’il apporte, et la mission même qu’il nous confie, c’est d’être à cette place où il se tient, à genoux devant l’homme.

Si l’on avait suivi cette voie dès le commencement, il n’y aurait pas de problème. Je me rappelle ce provincial qui était missionnaire d’Afrique et qui me disait: «Nous allons en Côte d’Ivoire, par exemple, nous y allons en croyant que nous apportons tout, et que nous n’avons rien à recevoir. Nous n’écoutons même pas les gens. Nous supposons qu’ils sont à zéro, qu’ils n’ont rien appris au cours des siècles, qu’ils n’ont rien reçu de leurs ancêtres, que leurs vies sont nécessairement vides, absurdes, nous ne cherchons pas à entrer dans leurs sentiments religieux, pour en recevoir ce qu’ils pourraient nous donner… Nous posons, a priori, que notre civilisation est la seule valable, et que notre manière de comprendre Dieu est la seule possible. Il faudrait que nous cherchions un accord, au contraire, que nous en restions à l’Évangile, dans un débat vivant, et qu’il soit immédiatement reconnu, par ceux auxquels nous nous adressons, comme un bien intérieur à eux-mêmes.»

Ceci nous concerne tous, parce que nous avons tous à être porteurs de l’Évangile, et que nous avons des raisons d’autant plus impérieuses de le faire que l’Évangile est de plus en plus incompris et discrédité. Nous avons donc à le porter dans le silence de nous-mêmes, en entrant à fond dans cette dé-mission qui permet seule d’aborder les autres sans les blesser.

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