L’homme est l’espérance de Dieu

4ème dimanche du Carême, 
10 mars 2024, Année B, Jean 3, 14-21

D’une conférence de Maurice Zundel à Caluire (Lyon) en 1959.

Dieu, comme la musique, comme la vérité, nous prévient toujours. Dans cet échange, on peut dire que c’est Dieu qui risque quelque chose: c’est l’Amour qui meurt de notre absence, de notre perpétuel retour sur nous‑même.

En ce temps-là, Jésus disait à Nicodème :
« De même que le serpent de bronze
fut élevé par Moïse dans le désert,
ainsi faut-il que le Fils de l’homme soit élevé,
afin qu’en lui tout homme qui croit ait la vie éternelle.
Car Dieu a tellement aimé le monde
qu’il a donné son Fils unique,
afin que quiconque croit en lui ne se perde pas,
mais obtienne la vie éternelle.
Car Dieu a envoyé son Fils dans le monde,
non pas pour juger le monde,
mais pour que, par lui, le monde soit sauvé.
Celui qui croit en lui échappe au Jugement,
celui qui ne croit pas est déjà jugé,
du fait qu’il n’a pas cru au nom du Fils unique de Dieu.
Et le Jugement, le voici :
la lumière est venue dans le monde,
et les hommes ont préféré les ténèbres à la lumière,
parce que leurs œuvres étaient mauvaises.
Celui qui fait le mal déteste la lumière :
il ne vient pas à la lumière,
de peur que ses œuvres ne soient dénoncées ;
mais celui qui fait la vérité vient à la lumière,
pour qu’il soit manifeste
que ses œuvres ont été accomplies en union avec Dieu. »

Conférence, Caluire (Lyon), 1959
Mise en ligne: 07.03.24
Temps de lecture: 2 mn

Dieu est victime de l’homme, victime de notre absence et de notre indifférence. Il faut redouter non d’être condamné, de «manquer notre salut», mais d’exiler Dieu.

La contrition est le regret d’une blessure faite à l’Amour.

«Qui croit en lui n’est pas condamné! Qui ne croit pas est déjà condamné, parce qu’il n’a pas cru au nom du Fils unique de Dieu. Et le jugement, le voici: la lumière est venue dans le monde et les hommes ont mieux aimé les ténèbres que la lumière, parce que leurs oeuvres étaient mauvaises» (Jean 3, 18‑19).

C’est le jugement des hommes – leur préférence des ténèbres à la lumière – qui juge Dieu.

Inspiré par son talent et non par sa foi chrétienne, Michel‑Ange a peint dans la Sixtine un Jugement dont la valeur plastique est incontestable, mais la valeur chrétienne nulle. La vraie scène du jugement, il faut la voir à Notre-Dame de Paris où Jésus montre ses plaies et affirme qu’il aime jusqu’à la mort. S’il y en a qui se perdent, c’est que ce sont eux qui condamnent le Christ, qui le crucifient. L’enfer est la crucifixion de l’Amour dans une âme qui refuse le Dieu d’Amour. C’est de cet enfer qu’il faut sauver Dieu. Tout ce qui est précieux est fragile. On peut dire que Dieu est infiniment fragile, parce que désarmé, désarmé comme l’amour, comme la musique. Un dictateur peut écraser sous sa botte. Un maître de génie n’impose rien à son élève. La vérité ne peut nous envahir que du dedans et devenir au cœur de notre intimité le soleil qui l’éclaire. Dieu ne nous menace pas. Il n’est pas au tournant de la route pour nous prendre en faute. Il est au-dedans de nous pour nous aimer.

C’est la tragédie divine de Dieu risquant le refus d’amour – jusqu’à la Crucifixion – qui nous fait surmonter et donner tout son sens à toute tragédie humaine. Aucune situation humaine ne peut se comparer au drame de l’Amour crucifié.

Graham Greene, dans La Puissance et la Gloire montre comment un prêtre, après quelques détours, apprend à connaître le vrai Dieu. Il finit par comprendre qu’aimer Dieu, c’est «vouloir le protéger contre nous-mêmes». Toutes nos absences éteignent en quelque sorte sa Présence en nous. Notre liberté arbitre le dessein de Dieu.

Jésus s’est remis lui‑même entre nos mains. Le Père de Condren a formulé ce retournement: «Il faut aller communier à cause du grand désir que Jésus a de venir en nous». Jésus nous apporte le seul message digne de Dieu et digne de nous, celui de cette amitié réciproque et toute gratuite, de l’amour qui est seul l’unique bien et l’unique valeur.

Il est intolérable qu’une certaine religion dévalorise, rabaisse l’homme, l’appelle «néant». Jésus n’aime pas qu’on bafoue la dignité de l’homme, car, de tout homme, il a dit: «c’est moi». Nous ne sommes pas néant devant Dieu comme s’il ne nous avait rien donné. Le sens du Christia­nisme n’est pas de poser des limites à la condition humaine, mais de rendre la vie de l’homme illimitée dans toutes les directions. Il y a une fierté chrétienne indispensable. Dieu nous veut libres et fiers. Que ferait‑il d’esclaves, lui qui est l’éternelle liberté?

La mystique chrétienne est un continuel appel à notre générosité. Nous ne sommes pas devant un arsenal de défenses, mais devant Quelqu’un à aimer. C’est pourquoi la contrition de nos fautes n’est pas l’amour-propre blessé, désenchanté, déçu de soi, mais le regret d’une blessure faite à l’Amour. Tout péché est un manque d’amour et ne peut se réparer que par un plus grand amour.

Nous ne saurons jamais assez reconnaître la liberté que Jésus nous a apportée. Lui seul a pu axer toute notre vie sur l’exercice le plus parfait de notre liberté. On ne peut être libre devant un Dieu vengeur. C’est pourquoi Dieu se présente à nous, à notre liberté, comme désarmé, comme la pure générosité. Toute conscience humaine porte en elle le destin du Dieu vivant. Je pourrais être indifférent à «rater» mon propre destin, s’il n’engageait que moi, mais il engage Dieu et tout l’univers. C’est pourquoi, «l’homme est l’espérance de Dieu».

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