Présence de Ste Thérèse de Lisieux

« Homélie de Maurice Zundel à Lausanne en 1966. Il évoque ste Thèrèse de Lisieux. Non édité.

Résumé : Ste Thérèse a fait de sa courte vie un espace assez grand pour contenir le monde entier, exerçant une sorte de maternité spirituelle à l’égard de tous les peuples. L’Église l’a choisie comme la patronne des missions. Comme Thérèse, il ne faut viser qu’à une seule chose : être une présence réelle.

 

Mes Chers Amis,

Un des spectacles les plus émouvants au Caire, c’est cet afflux d’une assistance musulmane dans l’église de Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus. Le sanctuaire lui-même a surgi d’une manière quasi miraculeuse, immense, avec un couvent de carmes, dans un quartier, très pauvre, dans un quartier très populaire. Les chrétiens ont émigré pour rentrer chez eux, une foule d’italiens, de maltais, de grecs ; le quartier est redevenu de plus en plus musulman, et l’église est fréquentée surtout par des femmes très humbles vêtues de leurs grandes robes noires, de leurs voiles noirs, femmes qui ignorent tout de notre monde et qui viennent, dans cette église, attirées par quoi ? Elles n’ont rien lu de sainte Thérèse, elles ne sont pas chrétiennes dans leur pensée consciente, tout devrait les détourner d’une église chrétienne ! Pourquoi viennent-elles passer leurs loisirs dans cette église de Sainte Thérèse, sinon parce qu’elles y rencontrent Quelqu’un, sinon parce qu’elles y sont accueillies par une Présence qui les appelle et qui les comble.

Parmi tous les miracles que l’on peut attribuer à l’intercession de sainte Thérèse, celui-là me touche plus que tous les autres, parce qu’il se situe précisément dans cet ordre spirituel où l’on perçoit d’une manière plus évidente le rayonnement de l’action divine.

Comment expliquer qu’après 69 ans cette petite française, morte à 24 ans, puisse exercer un tel attrait sur des femmes d’un autre monde, d’un autre univers spirituel, qui se sentent parfaitement à l’aise en sa présence et qui, sans rien dire, viennent respirer auprès d’elle une Présence infinie. Si l’on peut retracer l’origine d’une telle influence, il faut évidemment recourir à cette action de Présence qui est l’action unique.

Sainte Thérèse n’a rien fait qui puisse expliquer une telle influence, elle n’a envoyé aucun message aux peuples d’outre-mer, mais elle les a portés dans son cœur : nul doute qu’elle n’ait fait de sa vie un espace assez grand pour contenir le monde entier et c’est parce qu’elle a exercé ainsi une sorte de maternité spirituelle à l’égard de tous les peuples de la terre que l’Église l’a choisie comme la patronne des missions, et que, expérimentalement, son influence en effet s’exerce, même sans aucune prédication, sur les populations qui ne possèdent d’elle que ce rayonnement merveilleux de sa présence.

Ce ne sont pas ses occupations dans ce bref séjour au Carmel qui n’a duré que 8 ans, ce ne sont pas ses activités quotidiennes qui n’ont en soi aucune importance, qui l’ont placée au sommet d’une lignée spirituelle innombrable, c’est uniquement ce don d’elle-même, ce don total, jusqu’à la racine de son être, à Dieu, à toute l’humanité et à tout l’Univers.

Elle agit parce qu’elle existe, elle agit par son existence même, elle agit par la plénitude de sa présence et de sa vie, et c’est cela qui nous intéresse passionnément, parce que la sainteté ne peut nous toucher que dans la mesure où elle réalise en plénitude la vocation humaine. Or nous sommes tous portés à imaginer qu’il s’agit pour nous de faire un certain nombre de choses, et que c’est en les faisant que nous réalisons toute la valeur de notre vie. Il n’y a pas d’erreur plus funeste, et plus profonde, en réalité nous agissons dans l’exacte mesure où nous sommes.

Un grand magistrat, un homme d’état comme le président des Etats-Unis, dispose d’un immense pouvoir, mais ce pouvoir s’exerce sur des relations extérieures, il déplace des choses ou des fonctions, il n’atteint pas, par lui-même, il n’atteint pas la personne humaine : pour agir sur les hommes, pour transformer les cœurs, pour révéler aux hommes leur dignité infinie, il n’y a qu’une seule lumière, c’est celle qui rayonne d’une vie entièrement authentique : to be or not to be, voilà la question, être ou ne pas être, il n’y a pas d’autre problème, or nous n’existons que dans la mesure où nous vivons authentiquement, dans la mesure où nous renonçons à tricher, dans la mesure où notre vie s’accomplit devant Dieu et en Dieu dans un don toujours plus généreux.

Il importe de le souligner : la grandeur de sainte Thérèse est précisément là, non pas ce qu’elle a fait, mais ce qu’elle a été et ce qu’elle demeure pour l’éternité C’est là pour nous le Jugement dernier : être, être ou ne pas être ! Notre véritable richesse, c’est ce que nous sommes et notre action humaine, celle qui retentit sans indiscrétion sur le profond de nos semblables, c’est cette action d’une présence offerte, d’une présence fraternelle, d’une présence qui est devenue un espace illimitée de lumière et d’amour.

C’est cela qui nous aidera à comprendre la vocation de sainte Thérèse et le rayonnement prodigieux de son histoire, c’est qu’elle a été, c’est qu’elle est, qu’elle demeure, elle est une Présence qui a embrassé et qui ne cessera d’embrasser tout l’univers et toute l’humanité.

Ceci comporte donc une conséquence inépuisable : que nous n’avons pas à nous crisper sur l’action, que nous n’avons pas à nous escrimer à faire, à justifier nos oeuvres, nous avons à consacrer tous nos efforts, toute notre bonne volonté à exister, à être sans tricher, à vivre de façon authentique en faisant de notre vie en présence du Seigneur un don toujours plus parfait.

Dans cette voie nous ne pouvons pas nous tromper, et si nous aspirons à la grandeur comme il convient de le faire, c’est dans cette direction qu’il faut tendre tous nos efforts. Etre, exister, ne jamais tricher, et compter pour collaborer au devenir de l’humanité et à l’accomplissement de l’univers, compter sur cette Présence cachée en Dieu, capable de traverser les mers, qui rayonne à l’intérieur de toutes les âmes, qui dépasse le temps et l’espace, qui est éternelle au sens le plus profond puisque aujourd’hui nous sommes précisément rassemblés autour et en présence de sainte Thérèse pour entrer avec elle toujours plus profondément dans l’intimité du Seigneur.

Nous voulons donc demander, par son intercession, d’atteindre nous-même à cette grandeur authentiquement humaine et de ne viser qu’à une seule chose : être une présence réelle. Le mot de présence bien entendu Joue admirablement avec le mot présent, avec le mot cadeau, avec le mot don de soi qui est au cœur de l’amour, en effet, il n’y a pas de cadeau plus merveilleux qu’une présence humaine authentique, un visage d’homme qui laisse transparaître Dieu, un cœur humain qui nous révèle les abîmes de la tendresse divine.

Tout est là : être présent.

Nous allons maintenant nous plonger dans le silence du Seigneur qui est justement le foyer de toute présence et en l’écoutant au plus intime de nous-même, nous lui demanderons de brûler notre cœur au feu du sien, et de nous envoyer dans cette immense mission qui est la nôtre, dans toute l’humanité et dans tout l’Univers, de nous envoyer comme des porteurs de sa Présence en devenant nous-même toujours davantage une présence fraternelle, une présence de lumière et d’amour, en un mot une présence authentiquement humaine.