Noël – Que le Seigneur soit avec vous !

« Dernière conférence d’une retraite donnée par Maurice Zundel à Bourdigny, près de Genève, entre le 31 août et le 4 septembre 1935. Les titres sont ajoutés.

Résumé : Que tout en nous devienne un cri de vie, porte la vie et suscite la lumière ! Tâche pressante, mais la vie est maturation, et la moisson est seulement en son temps. La vie chrétienne consiste à “dire” le Verbe de Dieu, à Le donner à toute créature, à donner Celui qui est né de nous.

 

Laisser le secret de l’univers éclater dans notre cœur en un chant de joie et d’amour

L’évangile s’adresse à l’esprit… mais aussi au corps

L’Apôtre Saint Paul nous prescrit de traiter nos corps comme les temples du Saint-Esprit, comme les ostensoirs d’une Présence divine. Il veut que nous communiquions à toutes les fibres de notre corps la vie divine, que nous le fassions vivre spirituellement afin que, non seulement il soit donné, mais se donne lui-même comme une personne.

C’est là, la fin de toutes choses : la vie de Dieu est tout entière un don, un acte éternel de charité, une vocation d’amour, et la vocation de toute créature est de s’ouvrir et d’atteindre à cette liberté de l’esprit, et, s’étant trouvée, de s’offrir et de se donner, et le secret de notre corps ne peut nous être révélé autrement, il nous échappe dès que nous le traitons matériellement au lieu de l’aborder avec charité, avec respect, comme une personne, et, parce que le corps est situé à ce niveau, il est investi d’une fécondité divine, virginale, afin d’enfanter la lumière et de faire naître la vie de Dieu en nous, car tout ce que Dieu touche devient fécond.

Il ne s’agit pas d’aboutir à une chasteté stérile mais à une chasteté, au contraire, qui soit une fécondité virginale qui fera naître en nous la lumière et le règne de Dieu.

Toute créature… est appelée à vivre de la vie même de Dieu et la communiquer pour autant qu’elle en est capable.

C’est ainsi que Dieu assume toutes les créatures, leur communique Sa Vie et les associe à Sa puissance créatrice non pas seulement pour qu’elles vivent de Sa Vie, mais pour qu’elles La répandent dans les autres créatures, qu’elles répandent Sa propre Vie. C’est là, la Bonne Nouvelle de l’Évangile, de cet évangile qui s’adresse à notre esprit, à notre corps, à tout notre être et à toute créature. Et c’est ainsi que toute créature doit recueillir cette bonne nouvelle de l’évangile par laquelle elle est appelée à vivre de la vie même de Dieu et la communiquer pour autant qu’elle en est capable. Et voici que la matière devient Verbe dans les sacrements, voici que la matière reçoit la Lumière divine en Personne et que la matière nous communique la Parole par qui tout a été fait.

L’univers est une Personne

L’univers n’est pas une chose mais une Personne. Là où notre œil matériel voit des choses, notre cœur distingue le cœur du premier Amour. L’univers n’est pas une chose que nous pourrions connaître par une étreinte matérielle, l’univers est un secret tellement profond et inaccessible, un mystère que nous ne pouvons rencontrer qu’en allant jusque dans le Cœur de notre Dieu. La matière devient Verbe dans les sacrements, l’univers est une Personne; la matière craque, et, au cœur de la matière Dieu nous dit : « Me voici », et Jésus Se donne à nous dans le mystère de l’hostie. L’art du Père est répandu dans toutes choses : Parole vivante qui est Jésus. L’art du Père est le secret de toute chose, un secret caché, un secret qui s’ignore et qui tout à coup éclate et devient le vivant signe d’une vie personnelle qui dit : « Moi, dans l’Hostie »

Tout cela demeure caché pour tous ceux qui ne se sont point encore donnés, pour tous ceux qui n’écoutent pas le silence de Dieu et qui ne perçoivent pas sa résonance en toute créature. Tout cela reste caché car Dieu ne peut pas apparaître aux yeux de notre chair ! Il est impossible que Dieu devienne vivant en nous avant que Sa Présence soit assimilée par nous, impossible si nous n’allons pas à Sa rencontre, si notre esprit ne Le découvre dans Son humilité, et si notre cœur ne va Le saisir au dernier rang de la création pour Le faire monter au premier rang de notre tendresse.

Manifester la diction du Verbe

Dieu est Esprit, et, s’il est vrai qu’il est toujours présent au cœur de toute chose, que l’art du Père est infus à toute créature, s’il est vrai qu’il ne cesse de frapper à notre porte, il est vrai aussi que nous ne pouvons percevoir cette Présence qu’en L’invitant à entrer au plus profond de notre être, en Lui demandant d’envahir toutes les fibres de notre être, afin que ce ne soit pas nous qui vivions mais Lui en nous. Le Verbe, l’éternelle Parole est toujours présente au monde, mais le monde ne lui est pas présent et il ne peut le devenir qu’en nous.

Nous ne pouvons percevoir cette Présence qu’en L’invitant à entrer au plus profond de notre être.

Il y a dans la Trinité cette mystérieuse diction du Verbe par le Père : Dieu le Père énonce cette Parole qui jaillit de Son Cœur, qui L’exprime parfaitement, et qui est Son Fils unique. Cette conversation mystérieuse est le grand secret éternellement échangé, qui est le Verbe, le Fils unique, Jésus. Eh bien, il faut qu’il y ait en nous cette diction du Verbe, cet énoncé de la Parole unique, il faut que cette Parole cachée au cœur des choses jaillisse de notre cœur et se manifeste réellement en nous et en toute créature.

« Eructavit cor meum… » (Ps. 45:2) « De mon cœur a jailli un beau chant… », l’éternelle Parole, le Verbe, la Personne même de Jésus. C’est cela notre vocation, c’est de laisser le secret de l’univers éclater dans notre cœur, de laisser cette pensée cachée et silencieuse devenir en nous un chant de joie et un chant d’amour.

Et c’est ainsi que nous entrerons dans l’univers comme des créateurs de Dieu, que nous créerons ce monde en Dieu et que, d’une certaine manière, nous créerons Dieu dans cet univers. C’est là une doctrine d’une douceur, d’une beauté, et d’une grandeur infinie, qui exige de nous le don de tout nous-mêmes, de notre esprit, de notre corps, de notre tendresse, car il n’y a rien en nous qui ne doive être donné, rien qui ne puisse devenir créateur d’une vie divine.

Que tout en nous devienne un cri de vie

Dieu ne nous a pas condamnés à un refoulement, à une négation de la vie, mais Il a voulu que tout en nous soit oui comme tout en Lui est oui, que tout en nous devienne un cri de vie, porte la Vie et suscite la Lumière. Sans doute, cette tâche est formidable et nous ressentons à chaque instant combien elle est pressante.

Il ne faut pas oublier que, si c’est cela la Vérité même, le don de Dieu, si c’est cela le christianisme, cette assomption de toute la vie, cette transfiguration, cette diction du Verbe au cœur des choses dans le jaillissement des choses, si c’est cela la Vérité, nous savons bien qu’il nous est impossible de la réaliser totalement en un seul instant. Puisque notre vie se déroule dans la durée, le progrès est dans la nature des choses. La fidélité même de notre vocation est de réaliser ce programme pas à pas et non d’un seul coup. Il nous est demandé d’être fidèle aujourd’hui, à chaque instant. « Je ne demande pas à voir des horizons lointains, un seul pas à la fois, c’est assez pour moi. » (1)

Ce serait une faute contre la réalité même de notre vie…, de vouloir la vivre tout à la fois. La vie ne peut être que maturation.

Ce serait une faute contre la réalité même de notre vie, contre la nature, une faute contre l’obéissance que nous devons à Dieu, de vouloir vivre notre vie tout à la fois. Il ne faut pas vivre ce qui est passé, sinon pour que toute cette expérience fructifie dans le présent, mais il ne nous faut pas porter ce qu’il nous est impossible de vivre encore, il ne faut pas prévenir la vie, ni vouloir vivre demain, alors que c’est aujourd’hui. Nous n’avons pas la force de vivre demain ce qui est aujourd’hui, ce serait absurde. La vie ne peut être que maturation. Ce serait folie de vouloir moissonner avant que le grain n’ait germé. Il faut vivre en l’appel de cet instant même, dans la grâce de cet instant, c’est tout ce qui nous est demandé, tout ce que nous pouvons donner.

Dites « Dominus vobiscum » à toute créature, et donnez ce qui est né de vous !

Regardons vers Lui

Je sais bien que des milliers de tentations vous attendent déjà sur le seuil de la chapelle ! Nous aurons des défaillances encore, mais tant que nos fautes sont ce qu’elles sont, des fautes de fragilité, de découragement, qu’elles ne sont point des fautes de mauvaise volonté et que nous ne canonisons pas notre égoïsme, elles ne nous séparerons pas de Dieu.

Aussitôt que nous devenons conscients d’une faute, regardons vers Lui, pour retourner à Lui avec toutes nos puissances d’amour.

Nous savons bien qu’il nous attend comme une mère, et qu’un seul regard de notre esprit vers Lui suffira à nous rendre notre innocence. Il n’y a qu’une seule impureté, c’est ce regard sur nous-même, ce regard de possessivité, et il suffit que nous nous retournions vers Dieu, que nous adhérions à Lui, pour être purs fondamentalement, pour qu’il s’empare de nous et fasse irradier dans toutes les fibres de notre être cette Lumière qui est Sa Présence en nous.

Tout sera bien si nous tenons à Lui, si nous nous insérons chaque matin dans Sa Vie par la divine liturgie, et si, tout le long du jour, nous vivons ce « Dominus vobiscum » (Que le Seigneur soit avec vous) par lequel le prêtre, ouvrant ses bras et son cœur, donne mieux que lui-même : le Seigneur.

Donnez le Seigneur

Quelle merveille que nous puissions donner le Seigneur comme s’il naissait de nous, si vraiment Il est né de nous ! « Dominus vobiscum » Eh bien, gardez cette salutation de la divine liturgie comme la lumière de ces jours. Vous entrez, vous aussi dans votre Messe, vous entrez dans votre mission, dites : « Dominus vobiscum » à toute créature. Ouvrez votre cœur et vos bras, donnez ce qui est né de vous, le Seigneur qui veut Se donner par vous.

Quelle merveille ! Vous n’en pouvez plus, vous êtes écrasées par vos propres difficultés, par vos tentations, par vos inquiétudes, vous ouvrez les bras et le cœur et sur cette créature que vous rencontrez, vous dites : « le Seigneur est avec vous ». Parce que vous êtes dépassées infiniment, parce que tout ce qui vous concerne passe au second plan, vous comprenez qu’il n’y a pas autre chose à faire, en effet, que d’ouvrir les bras et le cœur, et de dire : « Dominus vobiscum ».

Dominus vobiscum, Vous ne le direz pas avec des mots, mais… parce que vous en êtes remplies et qu’au fond vous ne voulez qu’une chose, c’est qu’Il soit reçu, qu’Il règne.

Vous ne le direz pas avec des mots, mais avec tout le charme de votre sourire, toute la tendresse de votre regard. Vous le direz parce que vous croyez, parce que vous en êtes remplies et qu’au fond vous ne voulez qu’une chose, c’est qu’Il soit, qu’Il soit reçu, qu’Il règne.

Quand vous chanterez ce Cantique du Verbe, vous oublierez votre misère, vous oublierez dans ce don tout ce qui vous semble pénible, vous sentirez dans ce don que votre vie n’est pas stérile, mais féconde infiniment de cette fécondité virginale.

Eh bien, que ce soit votre seul propos maintenant, de garder en vous cette diction du Verbe, de chanter sur vos lèvres ce Cantique du Verbe, de chanter sur vos lèvres ce chant du Verbe :

« Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu et Il est venu chez les siens et les siens Le reçoivent. » (Prologue de l’Évangile selon St Jean)


(1) citation de John Henry Newman, des vers du poème « Lead, kindly Light » écrit en 1833.

« Guide-moi, douce lumière, dans l’obscurité qui m’encercle
Conduis-moi !
La nuit est profonde, et je suis loin de la maison, Conduis-moi !
Garde mes pas ; je ne demande pas à voir
L’horizon lointain ; un seul pas à la fois, c’est assez pour moi.

Je n’ai pas toujours été ainsi : je n’ai pas toujours prié que tu me conduises ;
J’aimais choisir et voir mon chemin, mais maintenant conduis-moi.
J’aimais le jour éclatant, et, malgré mes frayeurs,
L’orgueil me gouvernait : ne te souviens pas des années passées.

Si longtemps Ta puissance m’a béni, c’est sûr, elle me conduira encore.
À travers landes et marécages, rochers et torrents, jusqu’à ce que la nuit s’achève.
Et avec le matin sourient ces visages d’anges
Aimés depuis longtemps et perdus un moment. »

« Chant « Lead, kindly Light » à écouter à ce lien. »

stn 37 0811

publié le 22/12/2019 – décembre 2019

Déjà publié sur le site le : 30-31/08/2008

mots-clefs mots-clés : Zundel, Bourdigny, 1937, Newman, Dominus Vobiscum, vie, vivre, chant, maturation, pas à pas, verbe, don, cœur, joie, amour, évangile, vocation, fidélité, assomption, transfiguration, tendresse, fécondité, cantique.