« Conférence de Maurice Zundel à Lausanne en 1966.
Résumé : Dans la science et dans notre société plus généralement, Dieu est réduit au silence. Si Dieu est une menace on ne peut que le rejeter. L’expérience de Dieu comme libération ne se réalise que dans la mesure où l’homme se fait. Dans l’émerveillement est la possibilité d’un mouvement d’intériorisation de l’univers, par l’intervention d’une présence humaine. La seule Création concevable est une histoire à deux, une histoire d’amour. Au centre de nous-même, Dieu est comme l’espace où notre liberté respire. Le monde est remis entre nos mains.
Enregistrement de la conférence
Dieu réduit au silence
Vous connaissez la réponse de Laplace bien connue, la réponse qu’il fit à Napoléon lorsque qu’il lui demanda pourquoi il n’avait pas nommé Dieu dans l’exposition de son Système du monde, ce livre qui a fait sensation à l’époque et qui a été souvent réédité, où il exposait ses théories de l’origine du système solaire. Laplace répondit : « C’est que je n’avais pas besoin de cette hypothèse. » Donc Dieu dans sa pensée ne pouvait pas être évoqué dans un système scientifique du monde.
Depuis Laplace, ce silence sur Dieu est devenu une consigne toujours mieux respectée ; un livre de science qui se respecte et qui traite de l’origine du monde, de l’origine de la vie, se gardera de nommer Dieu. Un des derniers en date, Récentes découvertes sur la matière et la vie paru en novembre 1966, de Jean Charron, observe le même silence qui ne signifie pas d’ailleurs nécessairement une hostilité.
C’est que les méthodes scientifiques portent sur le véritable, sur le calculable, sur la matériellement observable. Et que naturellement Dieu échappe à tout calcul, à toute vérification et observation matérielle. Mais il y a une raison plus profonde, c’est que la science a besoin de pouvoir compter sur le déterminisme. Il faut que ce qu’on appelle (sans s’apercevoir de l’anthropomorphisme, puisque le mot “loi” appartient à ce langage), ce qu’on appelle “les lois de la nature” doivent être stables : il ne faut pas qu’elles soient dérangées ou qu’elles puissent être dérangée par un miracle. Un miracle toujours possible qui suspendrait le déterminisme — ce qui est d’ailleurs une mauvaise façon d’entendre le miracle — deviendrait pour la science un immense danger. Il faut que la science soit sûre de ses méthodes et qu’elle puisse en attendre un résultat infaillible.
Une autre crainte surgit chez les hommes de science. Ils se rappellent le coup de Galilée et ils ne désirent pas que les théologiens, se mêlant d’expliquer le monde concurremment avec la science, leur fassent un coup tordu en les amenant justement à réviser leurs positions ou en voulant les induire à réviser leurs positions au nom d’une théorie imposée a priori.
Mais il y a plus profond encore, nous l’avons vu si souvent : Marx, Nietzsche, Sartre aujourd’hui avec un éclat particulier, il y a dans l’affirmation de l’existence de Dieu une sorte de néantisation de l’homme : si Dieu existe, l’homme est néant. Qu’y aurait-il à faire, s’il y avait les dieux, comme dit Nietzsche, il n’y aurait rien à faire si l’homme dépend essentiellement, radicalement, totalement et toujours d’un créateur, les jeux sont faits, la part de l’homme est réduite à rien, la vie perd toute signification puisque elle ne souffre plus aucune aventure.
Mais il y a plus profond encore : l’existence de Dieu est ressentie obscurément par beaucoup d’hommes comme un viol de l’esprit. Vous vous rappelez cette anecdote du petit Heinrich qui se défend contre l’autorité de sa mère. Il refuse de faire sa prière d’autant plus obstinément que sa mère insiste davantage. Il défend sa dignité contre une autorité. Et voilà justement le conflit obscurément mais profondément perçu qu’on retrouve dans le modèle chrétien d’aujourd’hui : Dieu conçu comme une autorité apparaît comme un viol de l’esprit, l’esprit que justement un monde contenu tout entier en lui-même, un monde inaccessible du dehors, un monde qui ne peut se plier à aucune autorité, un monde qui relève uniquement de son choix. Envisager Dieu comme une autorité et donc comme un créateur dont on dépend essentiellement, c’est renoncer à être esprit.
Exclure un créateur qui châtie
Et je suis très sensible à cet aspect du problème. Je crois percevoir précisément dans les résistances contemporaines, dans le malaise du monde chrétien qui ne sait plus à quelle morale se vouer, qui ne voudrait ne pas rejeter tout à fait la morale dite traditionnelle et qui, en même temps, en sent l’inadaptation. Je suis très sensible à cet aspect : l’esprit est autonome, l’esprit est un univers inviolable. Affirmer Dieu, et affirmer Dieu comme créateur en nous plaçant dans notre esprit-même sous sa dépendance, c’est renoncer à être esprit, c’est nous interdire toute possibilité de devenir homme. Hier soir encore, M. le Pasteur […?] dans l’allocution qu’il faisait au Sacré-Cœur, voulant méditer sur « Dieu a tant aimé le monde qu’il lui a donné son Fils unique », se référait au serpent d’airain, nous rappelait ce récit du Livre des Nombres où Dieu envoie contre son peuple rebelle des serpents brûlants qui font périr un grand nombre de gens et les sauve de cette situation que grâce à l’image du serpent d’airain, qui, dans la perspective johannique signifie la Croix du Seigneur.
Et en évoquant cet épisode et en nous rappelant que Dieu avait pédagogiquement châtié son peuple pour le ramener à lui, M. le Pasteur […?] ne s’apercevait pas sans doute que le verset johannique : « Dieu a tant aimé le monde qu’il lui a donné son Fils unique », verset d’ailleurs ambigu dans son expression puisque c’est la Trinité tout entière qui s’est donnée dans l’humanité sacrement du Verbe incarné, M. le Pasteur ne s’apercevait pas qu’il y avait deux niveaux très différents entre le récit des Nombres et la Parole évangélique.
Ce n’est pas une bonne introduction à une méditation sur l’Amour suprême de Dieu que de nous rappeler un épisode où Dieu apparaît comme celui qui châtie, qui punit, qui fait mourir. Il est évident que le récit des Nombres suppose une vision de Dieu encore très imparfaite, c’est-à-dire un reflet très imparfait dans l’esprit de l’homme qui fait une expérience encore balbutiante de Dieu. Il est évident que si l’on se tient à ce niveau, si l’on voit en Dieu le mal qui limite la vie et qui la menace, on ne peut que le rejeter et préférer une explication du monde qui se donne pour première consigne d’exclure absolument un créateur.
Les savants envisagent la répétition, pour bientôt, de l’expérience de la naissance même de la vie à partir de la matière pure. Ils sont sur une très bonne voie et il n’y a pas de raison de penser qu’ils n’aboutiront pas bientôt à créer ce récepteur organique de la vie, d’où la vie suivra automatiquement. J’avoue d’ailleurs que ces expériences ne m’inspirent aucune crainte et que ce n’est pas du tout dans ces perspectives que se situe l’intervention divine.
[Repère de positionnement dans l’enregistrement audio : 10’ 31’’]
L’expérience de Dieu
Mais n’anticipons pas. Commençons par remarquer que les défenses de la dignité humaine — et Dieu sait que j’y tiens plus que personne — que ces défenses de la dignité humaine supposent, impliquent, appellent de notre part une conquête et une réalisation de cette dignité. Elle n’est pas donnée en effet. Nous naissons préfabriqués et, à ce titre, nous n’avons pas la moindre dignité, puisque nous ne tenons absolument rien de nous. Cette autonomie que le petit garçon revendique contre les injonctions de sa mère, c’est une exigence magnifique, une exigence qui lui révélerait, s’il la pouvait comprendre, sa vocation d’homme, en tout cas qui nous la révèle à nous.
Nous avons à nous faire homme… C’est dans la conquête de cette dignité, de cette autonomie, de cette inviolabilité… que nous ferons toujours l’expérience de Dieu.
Nous avons à nous faire homme et c’est au terme de cette conquête que notre dignité sera une réalité inviolable pour laquelle nous pourrons exiger le respect d’autrui, en commençant d’ailleurs par la respecter nous-mêmes. C’est justement dans la conquête de cette dignité, de cette autonomie, de cette inviolabilité que nous avons fait, que nous faisons toujours et que nous ferons toujours l’expérience de Dieu. Nous le rencontrons précisément sur le chemin de la quête de nous-mêmes, nous le rencontrons dans la mesure où nous réalisons la création de nous-mêmes, en sorte que l’on peut dire en bref que l’expérience de Dieu ne se réalise que dans la mesure où l’homme se fait. Cela veut dire immédiatement que nous éprouvons notre création en tant qu’homme non pas comme une dépendance mais comme une libération.
C’est justement cette rencontre avec la Beauté toujours ancienne et toujours nouvelle au plus intime de nous, que cette rencontre qui actualise notre liberté qui en fait une réalité magnifique, qui fait de nous une source et une origine, un espace illimité et un bien universel. Nous n’avons donc aucunement dans cette rencontre le sentiment d’une dépendance à l’égard d’un fabricateur qui nous tiendrait sous son joug. Nous sommes au contraire amenés du dehors au-dedans, jetés au cœur de notre intimité, cette intimité qui jusqu’ici précisément nous était absolument inaccessible. C’est alors que nous devenons pleinement nous-mêmes dans cette relation nuptiale avec l’Autre majuscule qui nous attend au plus intime de nous-même.
Notre création en tant qu’homme… elle est en avant de nous.
Cela suppose, puisque la rencontre avec Dieu qui est intus, qui est dedans, alors que nous étions dehors, la rencontre avec Dieu qui nous amène au dedans, cela suppose en Dieu une évacuation de Soi infinie. C’est parce qu’il est une liberté infinie qu’il est en nous le ferment de notre libération. Nous sommes donc immédiatement mis en présence non pas d’un Dieu qui nous limite, mais d’un Dieu qui nous rend proprement infinis. L’évacuation de Dieu, nous avons vu que, elle est magnifiquement affirmée dans l’expérience chrétienne de la Trinité et de l’Incarnation. Nous avons vu précisément que toute l’expérience chrétienne s’est développée selon cette ligne de la Pauvreté divine. Raison de plus pour nous rendre compte et pour affirmer que ce Dieu qui ne possède rien, qui ne peut rien posséder, dont la seule propriété est désappropriation radicale, pour affirmer qu’il ne saurait être pour nous une limite et une menace. Mais nous voyons bien dans cette expérience que notre création en tant qu’homme, notre naissance à notre humanité est une réalité en sursis, elle est en avant de nous. Elle n’est pas donnée en vertu de notre naissance charnelle. Nous ne la trouverons jamais dans notre être préfabriqué. Il faudra nous faire homme pour l’être authentiquement.
L’homme en conquête de lui-même
L’homme est donc toujours en sursis et, d’une certaine manière, Dieu est en sursis, le vrai Dieu est en avant de nous comme nous-même puisque nous ne pouvons le trouver qu’au terme de cette expérience où nous nous faisons homme, c’est que lui-même pour nous est toujours de quelque manière en sursis. Autrement dit, la progression infinie de l’homme, cette progression qui va du dehors au-dedans, implique une progression symétrique de la connaissance et de l’expérience de Dieu. En d’autres termes encore, notre création est prospective et non pas rétrospective. Si nos origines animales sont derrière nous, nos origines humaines sont en avant de nous. N’en va-t-il pas de même pour le monde ? Le monde dont ce Dieu-là, ce Dieu intérieur pourrait être dit le Créateur, ce monde-là n’est-il pas un monde qui n’existe pas encore et que nous avons à faire exister comme nous avons à nous faire exister ? On peut le conclure presque a priori du fait que, si nous sommes, avant de nous faire, des embryons d’humanité, des embryons d’homme, il y a toute chance pour que l’univers dans lequel nous avons nos racines physiques soit lui-même un embryon d’univers.
Puisque nous ne faisons qu’un avec lui, nous recevons la lumière des plus loin des galaxies situées à des milliards d’années lumières, mais nous recevons cette lumière, c’est-à-dire que nous sommes atteints par elle. Il y a une action de toute réalité sur nous. L’univers est notre corps, immense, puisque rien ne se passe dans l’univers qui ne retentisse en nous. On ne peut donc pas séparer l’évolution de l’homme et celle de l’univers, le devenir de l’homme et le devenir de l’univers, l’avenir de l’homme et l’avenir de l’univers : ils ne font qu’un. Mais on doit juger naturellement de la qualité de l’embryon par l’âge adulte. Un embryon dans un bocal est-il un embryon de singe, de requin, de poulet ou d’homme ? Il faudra voir ce qu’il donnera, c’est l’adulte qui nous renseignera finalement sur la qualité et la valeur de l’embryon.
Comme nous ne pouvons juger de l’homme et de sa dignité qu’au terme de l’effort où il poursuit et réalise la conquête de lui-même, nous ne pouvons juger du monde que lorsque, il aura reçu par nous un statut nouveau, il aura acquis par nous une dimension nouvelle, il aura réalisé à travers nous un équilibre dont nous n’avons pas encore l’idée. Il est infiniment probable qu’il en est ainsi. L’univers est embryonnaire comme nous le sommes, en vertu de notre naissance charnelle par rapport à notre humanité authentique, nous n’en pourrons donc en juger qu’au terme d’une création qui nous incombe et dont nous avons la charge.
Le ciel n’est pas là-haut derrière les étoiles, mais au-dedans de nous.
Si vous entendez le symbole dit des apôtres, première phrase : « Je crois en Dieu le Père tout puissant, créateur du ciel et de la terre » si vous entendez le mot “ciel” au sens où dit le pape saint Grégoire : « le ciel est l’âme du juste », le ciel prend immédiatement une signification différente, une signification intérieure qui évoque l’expérience fondamentale de notre rencontre avec Dieu. Si le ciel n’est pas là-haut derrière les étoiles, mais au-dedans de nous, la Création prend déjà un tout autre visage. De même, si vous ententez la terre au sens de saint Jean de la Croix dans la cinquième strophe du Cantique Spirituel. Vous vous rappelez cette strophe bouleversante et magnifique : « En hâte, il a passé par ces bocages, Et, les parcourant du regard, Par son seul visage, Il les a laissés vêtus de beauté. » Evidemment l’altissime poète, le grand mystique qui perçoit la Création visible dans cette lumière revêtue de la splendeur du regard de Dieu qui se pose sur lui, pour lui la terre se lève de sa pesanteur, la terre devient vraiment le reposoir et l’encensoir de Dieu. Comme elle l’est dans le Cantique du Soleil de saint François d’Assise qui a voulu mourir en entendant chanter la louange des créatures précisément parce que le monde pour lui était translucide et parce qu’à travers chaque réalité, il percevait l’Amour qui la lui donnait.
[Repère de positionnement dans l’enregistrement audio : 23’ 23’’]
L’émerveillement est l’amour
Vous percevez immédiatement la possibilité dans l’émerveillement d’un saint Jean de la Croix ou d’un saint François d’Assise, la possibilité d’un mouvement d’intériorisation de l’univers par l’intervention d’une présence humaine, d’une présence oblative, d’une présence offerte qui correspond à la présence de Dieu.
Nous trouvons cela déjà dans la vie humaine : la maison nuptiale se construit par amour et la vraie dimension de la maison nuptiale, c’est l’amour, quand il n’y a plus d’amour, la maison s’écroule parce que, elle est fondée sur l’amour et la plus pauvre masure, si elle est illuminée par l’amour, elle devient une demeure infinie parce que, elle a ses assises au-dedans et qu’elle est transfigurée par les présences qui s’y échangent.
C’est donc dans la mesure où la présence humaine, une présence offerte dont l’émerveillement est l’amour, c’est dans cette mesure que l’univers prend un autre visage et devient vraiment l’instrument ou plutôt le sacrement d’une communication entre la Présence plus intime à nous-mêmes que nous-même, et nous-même.
C’est vrai d’ailleurs, déjà, de l’émerveillement du savant : Pierre Termier n’aurait jamais pu écrire La joie de connaître si, il n’avait pas offert à l’univers la présence de son amour. Géologue comme il l’était, très considéré dans le monde savant, admirable écrivain et poète, ce grand géologue ne se contentait pas de parcourir le monde de la terre et de récapituler son histoire en contemplant devant le grand canyon du Colorado les couches qui se succèdent et qui racontent l’évolution du monde et de la vie, il percevait à travers toute cette histoire une Présence qui devait être finalement la lumière définitive sur cet univers, et échappant aux limites du monde et aux siennes, il faudrait à travers chaque réalité respirer ce don infini qui est Dieu.
Quand Einstein voyait dans l’univers la manifestation d’une intelligence supérieure auprès de laquelle la sienne lui semblait rudimentaire, c’est que lui aussi était une présence, une présence offerte, une présence infinie, une présence transparente où la lumière d’une Présence infinie pouvait se faire jour. Et ce fait est bien ce qui blesse le plus profondément une intelligence qui a fait quelque peu l’expérience de Dieu, quand les savants tournent au fanatisme, quand ils deviennent hargneux dans l’exclusion farouche d’un créateur. Nous comprenons mille fois leurs raisons, mais ce qui blesse, c’est qu’on ne sent pas qu’ils apportent à leur recherche cette disponibilité totale qui donne seule à la science cette dimension infinie, qui permettrait à la science de ne pas s’arrêter à l’aujourd’hui de la découverte, comme il est de toute évidence que ce qu’on a trouvé aujourd’hui doit se prolonger dans ce qu’on trouvera demain qui fera reculer les bornes de notre ignorance et que l’on est d’autant plus savant que l’on reste plus ouvert, plus disponible, par conséquent plus présent à une sorte d’infini que l’on n’a pas besoin de nommer, mais que l’on perçoit comme le dernier mot — il est seul d’ailleurs — le dernier mot de l’énigme de la Création.
Il apparaît dans ce dialogue du savant et de l’univers…, que la Création — la seule concevable — est une histoire d’amour.
Il apparaît dans ce dialogue du savant et de l’univers, dans ce dialogue du mystique comme saint Jean de la Croix ou saint François d’Assise avec la Création, il apparaît nettement que la Création, j’entends ce qui peut concerner le Dieu intérieur, le Dieu amour, le Dieu pauvre, le Dieu qui n’a rien et dont la seule propriété est la désappropriation radicale, il apparaît toujours plus nettement que la Création, la seule concevable est une histoire à deux, une histoire d’amour, une relation nuptiale qui exige notre présence.
Comme la maison nuptiale ne peut pas être créée sans l’accord foncier des deux époux et sans l’échange continuel de leurs présences, la Création tout entière ne peut aboutir, ne peut émerger de son stade embryonnaire que dans ce mariage d’amour avec Dieu qui nous est constamment offert. Nous avons à fermer l’anneau d’or des fiançailles éternelles, et seul justement, notre “oui”, — comme le “oui” de la fiancée — seul notre “oui” peut sceller ce mariage et donner à la Création tout son sens et toute son efficacité.
[Repère de positionnement dans l’enregistrement audio : 30’ 24’’]
Dieu attend notre consentement
Cela paraît évident si l’on part du petit mot latin augustinien qui a en tel retentissement et une résonance si prolongée en nous : intus, Dieu est dedans. Il est un dedans. Il est une pure intimité, il n’a pas de dehors, il n’a pas de main pour nous atteindre, il n’a que son Cœur, il n’est que son Cœur et la Création jaillit de cet Amour, jaillit de cette pauvreté, jaillit de cette évacuation, jaillit de cette désappropriation. La Création répond à ce vide créateur qui est aux antipodes d’un geste magique accompli du dehors et sans aucun engagement.
L’intimité pure d’un être, un être humain ne nous est accessible qui si nous ouvrons à cet Autre notre intimité. Impossible de communier autrement à l’intimité d’autrui que par cet offrande de notre intimité et, si Dieu est intimité pure, s’il est un pur dedans, sans aucun dehors, il ne peut donc agir que du dedans, comme nous le vérifions d’une manière irréfragable dans l’expérience de notre propre création, quand nous naissons à nous-même dans la rencontre ineffable avec lui.
C’est ainsi sans doute qu’il agit sur tout l’univers pris dans sa totalité, pris dans son unité, c’est-à-dire avec nous plantés dedans, avec nous qui avons à le promouvoir à la liberté et à l’amour, avec nous qui avons en lui nos racines physiques comme il doit avoir en nous ses racines spirituelles, c’est-à-dire que l’action divine qui est le rayonnement de la présence de l’amour, de la charité, de la pauvreté divine, l’action divine ne peut atteindre le monde qu’à travers des êtres libres, intelligents, plantés dans l’univers et en communion de vie avec lui, et qui sont chargés de le promouvoir, de le relier à la source divine, en s’identifiant d’abord eux-mêmes avec cette source éternelle.
Que ce soit nous, que ce soit d’autres êtres intelligents dans d’autres planètes ou d’autres êtres qui n’ont pas de forme visible, peu importe, mais il nous paraît évident que le rayonnement de l’intimité divine qui est tout Dieu ne peut atteindre l’univers avec lequel nous sommes en communion de vie que à travers nous, à travers le consentement de notre liberté et de notre amour et que, faute de ce lien, le monde est livré à l’automatisme aveugle de forces inconscientes qui ne sont plus aimantées en raison de notre absence ou de l’absence d’êtres également responsables du monde comme nous.
Le monde est laissé à lui-même, il n’est pas relié à la source divine et il peut donner l’impression du chaos. Il est bien entendu que Dieu n’est jamais absent, que Dieu agit toujours en plénitude, qu’il est éternellement ce rayonnement d’amour, mais justement ce rayonnement d’amour infini, éternel, toujours actuel, est totalement inefficace si il n’est pas recueilli, reçu par notre présence.
La création existe en espérance
Cette situation est absolument symétrique de celle qu’éprouve saint Augustin en parlant de lui-même : « Tu mecum eras, et tecum non eram. » — « Tu étais avec moi, mais c’est moi qui n’étais pas avec toi. » Quand Augustin rencontre Dieu au plus intime de lui-même, il prend conscience que Dieu n’a pas cessé de lui être présent et pourtant il ne s’en était jamais aperçu, parce qu’il était absent, parce qu’il était dehors.
Il ne s’agit donc pas d’assigner à la Création un commencement du côté de Dieu. Il s’agit d’étendre à tout l’univers dont nous sommes rigoureusement solidaires, l’expérience que nous faisons en nous-même, à savoir que nous n’accédons à nous-même qu’en devenant présents à Dieu et que, réciproquement, Dieu ne nous est connaissable authentiquement que dans la mesure où il apparaît au centre de nous-même comme l’espace où notre liberté respire.
Cela nous amène immédiatement à envisager la possibilité d’un échec. La Création peut être un échec, et elle l’est inévitablement si elle n’est une histoire à deux, si elle n’est une histoire nuptiale, si elle peut s’accomplir sans la présence et le consentement de créatures intelligentes, ici ou ailleurs, contemporaines de nous ou antérieures à nous. Un échec apparaît immédiatement possible et inévitable du fait de l’absence de ce “oui” nuptial qui doit fermer l’anneau d’or des fiançailles éternelles.
Cette option à une référence ou plutôt cette expérience peut se réclamer d’une référence scripturaire de première grandeur c’est au chapitre 8 de l’Epître aux Romains, ce passage prodigieux, bouleversant, inépuisable que nous allons relire non sans remarquer la distance de niveau qu’il y a entre le chapitre 8 de saint Paul et le chapitre 1er de cette même Epître. Il est singulier, mais il faut se rappeler que cette épître a été dictée, qu’elle est très longue, qu’elle a été dictée vraisemblablement plusieurs fois, que l’Apôtre saint Paul était toujours en mouvement et que il a pu, je ne dis pas oublier précisément ce qu’il avait dit dans le 1er chapitre — ce que nous appelons aujourd’hui le 1er chapitre — mais qu’il a pu perdre de vue l’importance qu’il avait fait à ce qu’il disait alors. Ainsi dans le premier chapitre, saint Paul s’écriait aux hommes, en reprenant presque une parole du livre de la Sagesse, en reprenant presque littéralement, il s’écriait aux hommes de n’avoir pas cru en l’auteur du monde, à la configuration de ses oeuvres, puisque enfin, comme il dit « la colère de Dieu se révèle du haut du ciel contre toute impiété et toute injustice des hommes qui tiennent la vérité captive dans l’injustice parce que ce que l’on peut connaître de Dieu est pour eux manifeste. Dieu en effet le leur a manifesté. Ce qu’il y a d’invisible depuis la création du monde se laisse voir à l’intelligence à travers ses œuvres, son éternelle puissance et sa divinité, en sorte qu’ils sont inexcusables, puisqu’ils ont connu Dieu — nous dirions Dieu les connaît — et qu’ils ne lui ont pas rendu comme à un Dieu ni gloire ni action de grâces. » (Rom. 1:18-21 et Sap 13:1-9 )
Dans le spectacle de la Création une preuve de l’existence de Dieu, une preuve que l’on doit reconnaître.
Donc dans le 1er chapitre, reprenant encore une fois l’argument des livres de la Sagesse, Saint Paul voit dans la Création, dans le spectacle de la Création une preuve de l’existence de Dieu, une preuve que l’on doit reconnaître sous peine d’être coupable. Dans le chapitre 8, il va beaucoup plus profond et il nous dit : « Je sais en effet que les souffrances du temps présent ne sont pas à comparer à la gloire qui doit se révéler en nous, car la Création en attente aspire à la révélation des fils de Dieu. » La révélation tend le cou — d’après le mot grec — elle tend le cou, elle est dans l’attente de cette révélation des fils de Dieu. Si elle s’est assujettie à la vanité — nous dirions l’extériorité pour reprendre le terme augustinien foris — si elle s’est assujettie à la vanité, non qu’elle l’ait voulu, mais à cause de celui qui l’a soumise c’est-à-dire l’homme, à cause de l’homme qui l’a soumise, c’est avec l’espérance, elle aussi libérée de la servitude, de la corruption, pour entrer dans la liberté de la gloire des enfants de Dieu. « Nous le savons en effet, toute la Création jusqu’à ce jour gémit, en travail d’enfantement, et non pas elle seule, nous-même qui possédons les prémices de l’esprit, nous gémissons aussi intérieurement dans l’attente de la rédemption de notre corps. » (Rom. 8:18-23)
Peut-on dire mieux, plus profondément, avec plus d’autorité virtuelle que ne le dit saint Paul que la Création existe en espérance, en espérance. Elle est en attente de cette révélation de la gloire de Dieu. Elle nous attend précisément, elle attend que nous soyons authentiquement pour se réaliser elle-même authentiquement. Je ne connais pas de versets qui soient plus féconds à être médités que ce passage de saint Paul aux Romains. Il est d’autant plus convenant que saint Paul n’a pas du tout les mêmes préoccupations que nous-même et que ceci a échappé à cette vision géniale qui était la sienne. Nous ne pouvons donc hésiter à admettre que la Création soit une histoire à deux, une histoire nuptiale, une histoire qui peut aboutir à un échec du côté de Dieu et qui y aboutit effectivement.
[Repère de positionnement dans l’enregistrement audio : 43’ 12’’]
Le monde un jeu de massacre
J’ai noté dans L’Hymne à la joie tous les griefs que l’on peut faire à la Création telle qu’elle est : les tremblements de terre, les raz de marée, les éruptions volcaniques, les maladies microbiennes, la souffrance des innocents, la mort et le mal en tant qu’elle est une réalité brutale, cette sorte d’indifférence monstrueuse qui scandalisait Camus d’un univers sadique à l’égard de toutes les valeurs humaines, une vie tout entière anéantie en un instant dans une confusion totale des vertus et des vices, sans tenir aucun compte des valeurs humaines, du génie ou de l’innocence, comme si l’univers existait parallèlement à l’homme sans aucun contact avec lui et que l’homme lui ait été associé par un mariage monstrueux avec cet univers dont il dépend, qui peut l’écraser et contre lequel l’homme apparaît sans recours. Et la création animale n’est donc pas plus respectable plus réconfortante puisque toute la vie prospère par le massacre et que les animaux meurent généralement d’être dévorés les uns par les autres.
Est-ce cela, que le Dieu intérieur, qui nous interdit de faire du mal à une mouche, est-ce cela qu’il a voulu ? Nous savons bien que nous serions indignes de torturer une mouche, indignes de nous, indignes de Dieu. Quand j’ai la moindre souffrance inutile, comment Dieu pourrait-il se résoudre à être spectateur, et davantage, à être l’auteur de cet univers de larmes et de sang dont la loi semble être le massacre qui conditionne survivance d’à peu près tous les vivants. Tous les vivants pillent, tous les vivants puisent dans des énergies accumulée par d’autres, tous les vivants, et l’homme au maximum, dont des parasites les uns des autres. Rien dans cette situation ne fait écho à cet échange intérieur où nous sommes confrontés avec l’éternelle Pauvreté. Il apparaît donc que Dieu est tout innocent de cette situation, qu’il ne peut pas la vouloir puisque nous ne pouvons pas la vouloir, puisque ajouter la moindre souffrance volontairement nous apparaît indigne de lui, indigne de nous.
Si c’est lui qui en nous est le principe de notre compassion pour les créatures, qui faisait que François arrêtait le boucher qui emmenait une brebis à la boucherie et la rachetait pour lui épargner la mort. Si c’est lui qui nous inspire cette compassion, comment pourrait-il être l’auteur de ce jeu de massacre ? C’est impossible. Davantage : non seulement il ne peut en être l’auteur, mais il ne peut qu’en être victime. En effet, le mal dont nous avons conscience, nous n’en avons conscience que, en vertu de sa Présence en nous. Notre dignité ne se fonde sur rien, sinon sur notre échange avec lui. C’est lui qui en est la clé, le révélateur, le garant, la source, le fondement, tellement d’ailleurs que dès que nous sortons de cette relation nuptiale, de ce dialogue d’amour, immédiatement nous retombons dans notre animalité et perdons notre dignité et tout titre à notre propre inviolabilité.
C’est donc que le mal, finalement, ne peut être que le mal qui nous scandalise, le mal qui a suscité le livre de Job sans trouver une réponse, le mal qui détourne tant d’hommes de croire en un Dieu juste et bon ; le mal ne peut être que le mal de Dieu lui-même : c’est lui qui est victime dans ce sens tout à fait précis que, si le mal nous apparaît comme le piétinement de valeurs sacrées, toutes ces valeurs sacrées reposent sur lui ; c’est lui qui en est la source, l’origine et la fin.
C’est donc dans la mesure où nous-même nous méconnaissons cette présence fragile et désarmée qui est la Présence divine que nous devenons pour les autres des agresseurs monstrueux comme ils le sont à notre égard s’ils piétinent notre dignité. Et de même à l’égard de la nature : quand nous en faisons un usage pervers, nous piétinons dans cette mesure une valeur qui n’existe qu’en espérance comme vient de nous le dire saint Paul, mais qui doit être actualisée à travers notre fidélité, notre respect et notre amour.
[Repère de positionnement dans l’enregistrement audio : 49’ 43’’]
Les éléments de la création à leur juste place
Est-ce à dire que l’univers serait changé, radicalement changé si nous étions fidèles, non pas seulement un ou deux hommes comme saint Jean de la Croix ou saint François d’Assise, mais si tous nous étions fidèles autant qu’ils l’ont été, est-ce à dire que l’univers physique serait radicalement transformé ? Je le crois. Il y a des indications dans ce livre de Jean Charron : Récentes découvertes sur la matière et la vie (novembre 1966), une indication suggestive et pittoresque. Il étudie les virus qui constituent la première manifestation de la vie, les virus qui ne peuvent se reproduire que dans un autre vivant, comme les bactériophages qui dévorent les bactéries. Le virus est un cristal tant que, il n’est pas le parasite de l’hôte dans lequel il va se reproduire en pillant toutes les énergies vitales de l’hôte pour nourrir sa progéniture. Et nous savons que les virus peuvent nous infecter de la façon la plus effroyable et se multiplient à une cadence invraisemblable en pillant nos cellules et en les détruisant. Mais, remarque Charron, les virus, qui ont la vie dure, qui ont été présents dès les origines de la vie, sont encore présents aujourd’hui. Ils accompagnent l’évolution cellulaire en s’adaptant continuellement à la modification des caractères génétiques des cellules.
Ne jouent-ils pas un rôle plus profond dans toute l’évolution que celui de parasites de la cellule ? Il est bien difficile de répondre. Mais nous aurions une forte propension à penser que s’ils sont toujours présents, c’est que leur rôle à l’échelle générale de toute l’évolution n’est pas encore achevé. D’ailleurs nous n’aurons pas à voir les virus à travers leur aspect purement infectieux. Les virus sont bien ennuyeux quand ils viennent se multiplier aux dépends de nos cellules saines comme le virus de la rage, de la variole, de la fièvre jaune, de la poliomyélite pour n’en citer que quelques-uns. Mais lorsque ces virus bactériophages viennent dévorer les cellules qui nous infectent, comme lorsque ces cellules sont des bacilles diphtériques, nous sommes bien heureux et si un jour, on ne sait jamais, on pouvait découvrir un virus qui pourrait venir s’attaquer de façon préférentielle aux seules cellules de notre corps qui se multiplient anarchiquement comme dans un cancer, nous serions au comble du bonheur.
« Rendons aux virus ce qui appartient aux virus ». Cette remarque intelligente et sympathique nous fournit une sorte de parabole : elle nous montre que c’est suivant la place où se situe l’activité d’un être dans la nature que, il se porterait [?], d’exercer des radars sur ce qu’il a de plus précieux, comme le cerveau du génie, par rapport aux virus qui l’infectent. Il se peut que tous les venins de la création, tous les poisons de la création soient des remèdes à conditions qu’ils soient à leur juste place. C’est cette mise en place, cette inter corrélation qui est en nous, n’est pas accomplie, et qui pourrait s’accomplir, si nous étions nous-mêmes à notre place, c’est-à-dire si nous étions totalement fidèles à ce mariage d’amour que la Beauté toujours ancienne et toujours nouvelle, veut contracter avec nous.
Prendre en charge réellement tout l’univers
Il est certain en tout cas que la Création vue du côté de Dieu est translucide, j’entends du Dieu intérieur — il n’y en a pas d’autre — qu’elle se situe en avant de nous, comme nous-même par rapport au robot natif que nous avons été et que nous sommes si souvent. Cette création se situe en avant de nous, comme nous-mêmes, et comme Dieu même, dans une réalité qui est toujours en sursis et qui ne s’actualise que dans la mesure où nous nous faisons homme.
Il faut donc dire avec prudence les stances du Credo. Il faut les dire avec cette ouverture. Il faut les dire surtout avec le sentiment de cette exigence qui s’adresse à nous pour nous faire prendre en charge l’humanité en nous, Dieu au cœur de notre humanité et tout l’univers dans lequel nous sommes plantés pour l’élever, pour l’intérioriser, pour l’offrir, pour en faire l’ostensoir et le reposoir de Dieu.
La pensée humaine n’est possible, n’est créatrice, n’est libérée, ne devient universelle que dans la mesure où elle respire la Présence infinie.
En tous cas, nous ne pouvons pas entrer dans la perspective que nous venons de développer sans ressentir, sans éprouver plus profondément notre vocation de créateur. Nous avons à créer nous-même l’univers comme nous avons à être l’incarnation de Dieu. Dérives les plus opposés à ce viol de l’esprit qu’envisagent, où que pressentent — parce que ils se placent dans une perspective qui ne peut aboutir — tous ceux qui veulent supprimer Dieu de toute pensée humaine sans voir que la pensée humaine n’est possible, n’est créatrice, n’est libérée, ne devient universelle que dans la mesure où elle respire la Présence infinie.
Le monde est remis entre nos mains, et dans ce monde, Dieu est remis entre nos mains. Nous avons donc à le parfaire, à le travailler, à le cultiver, à l’humaniser, à en faire vraiment pour tous les hommes une sorte de paradis terrestre qui n’est nullement à exclure, une sorte de paradis laborieux austère et harmonieux, comme nous avons à devenir intérieurement ce ciel dont saint Grégoire dit qu’il est l’âme du juste. Nous pouvons donc continuer, pourvu que nous y mettions la main, pourvu que nous sentions toutes nos responsabilités à l’égard de l’humanité et de l’univers, à l’égard des plantes et des animaux, à l’égard des minéraux et des astres eux-mêmes, nous devons dans la mesure justement où nous prenons en charge réellement, et selon notre mesure, tout l’univers, nous pouvons continuer à nous émerveiller en chantant avec François le Cantique du Soleil, en entrant avec Pierre Termier dans la Joie de connaître et en redisant avec saint Jean de la Croix, nous souvenant que le regard de l’éternel Amour ne cesse de se poser sur toute réalité, ne cesse d’aimer jusqu’au caillou que nous foulons au pied, ne cesse d’être une Présence toujours donnée et infiniment offerte. Et ce serait parfait si notre présence était égale à la sienne.
Nous pouvons redire alors dans l’émerveillement, au nom de tous ceux qui n’ont pas connu la joie de la rencontre et pour qu’ils y parviennent, la strophe cinquième du Cantique Spirituel de saint Jean de la Croix :
En hâte, il a passé par ces bocages
Et, les parcourant du regard,
Par son seul visage,
Il les a laissés vêtus de beauté.