Le premier chemin vers Dieu : soi-même

« Homélie de Maurice Zundel à Lausanne, Notre Dame du Valentin, en 1956. Publié dans Ton Visage ma Lumière Ed : Mame (*)

Résumé : Dieu est plus mère qu’une mère ; il a une passion pour l’homme. Notre passion dominatrice est le meilleur point d’accrochage en Dieu. C’est elle qui fera de notre vie l’offrande la plus spontanée et la plus parfaite. Notre désir le plus intense, à sa manière infinie, Dieu le réalisera.



Enregistrement de l’homélie


Dieu est infiniment mère

Il n’y a pas de liens qui puissent se comparer avec les liens qui unissent un enfant à sa mère. Les études de psychanalyse montrent, avec évidence, que cette influence de la mère est à la fois unique, irremplaçable et éternelle.

Mais bien sûr, une mère n’a pas les mêmes liens : je veux dire que ses liens se colorent d’une manière différente avec chacun de ses enfants, car la mère ne compte pas ses enfants et ne les voit pas en série ; elle voit chacun, chacun avec son visage propre, avec son tempérament particulier, avec sa personnalité inépuisable. Et c’est d’ailleurs ce qui fait cet attachement unique de l’enfant à sa mère, qui dure à travers toute la vie et qui fait que des vieillards, à l’agonie, assistés par leur propre femme, appellent, non pas leur femme qui est là, mais leur mère qui est morte depuis longtemps. Il y a donc là un lien unique parce que, précisément, le regard de la mère va vers l’unicité de l’enfant, comme l’attachement de chaque enfant a une coloration particulière qui correspond à son être unique.

Si cela est vrai entre une mère et son enfant, cela n’est pas moins vrai entre Dieu et nous. Dieu est infiniment plus mère que toutes les mères ; et l’amour qu’il éprouve pour nous, la passion qu’il a à notre endroit, cette passion qui se révèlera au cœur de l’Histoire dans la Passion de Jésus Christ, est une passion unique pour chacun de nous. Dieu ne nous voit pas en série : il nous voit chacun dans son unicité. Il n’y a pas une âme qui soit absolument identique avec une autre. Chaque âme a un secret particulier, et chaque âme est une révélation de Dieu qui est absolument irremplaçable.

L’accroche à Dieu

Il s’ensuit de là que chaque âme est aussi un chemin vers Dieu à nul autre pareil. Et si nous sommes invités, durant ce Carême, à nous tourner vers Dieu avec une intensité plus profonde et plus sincère, il ne faut pas oublier que le premier chemin vers Dieu, c’est nous-même. C’est nous-même car, si ce qu’il y a en nous d’unique, d’irremplaçable, et ne peut pas se tourner vers Dieu, ne trouve pas en Dieu à la fois sa compréhension parfaite et son suprême accomplissement, il y aura en nous toute une part de nous-même qui lui demeurera étrangère, et ce sera l’essentiel.

Notre religion ne sera vraiment un accrochage total, un enracinement définitif en Dieu — pour autant que nous puissions prendre ici-bas des engagements définitifs — que dans la mesure où ce qu’il y a en nous de plus profond, de plus singulier, de plus unique, de plus irremplaçable, sera d’abord saisi par le centre.

Et comment saurons-nous le point d’accrochage qui nous unit à Dieu, le point d’enracinement qui nous ordonne à Dieu, sinon en voyant quels sont nos goûts, nos goûts les plus profonds. Chacun de nous a une passion dominatrice, un penchant qui l’emporte sur tous les autres, et qui lui indique la vocation de son être. Cet élan, jailli du plus profond de notre inconscient, constitue la trame même de notre moi primitif, et marque la première vocation de notre être. C’est par-là que nous devons tomber en Dieu, c’est par là que tout être sera assumé, enthousiasmé et comblé.

Une passion au niveau du cœur de Dieu

Et donc, il m’est arrivé parfois de donner comme pénitence celle-ci : « Faites ce que vous aimez le mieux et offrez-le à Dieu en joie et en allégresse, parce que ce que vous aimez le mieux, c’est ce en quoi vous vous mettrez le plus aisément tout entier, et c’est cela qui fera de votre vie l’offrande la plus spontanée et la plus parfaite » .

Ce que vous aimez le mieux…, c’est cela qui fera de votre vie l’offrande la plus spontanée et la plus parfaite.

Il s’agit naturellement de penchants qui peuvent s’infinitiser, qui peuvent aller jusqu’au cœur de Dieu. D’ailleurs, tous les penchants sont de telle nature. Il n’y a pas une passion en nous qui, poussée jusqu’au bout, ne puisse s’accomplir et se réaliser au niveau du cœur de Dieu.

Et il est tout à fait remarquable — et pourtant il fallait s’y attendre sur le terroir de l’Évangile — qu’un des plus grands saints de l’Eglise, saint François d’Assise, ait été accroché à Dieu précisément par sa passion la plus évidente qui était une ambition effrénée. Ce fils de marchand ne rêvait que de gloire militaire. Il voulait s’illustrer sur les champs de bataille, être promu seigneur et prince, et épouser la plus belle princesse du monde.

Il est réellement parti pour la guerre, et c’est dans cet itinéraire guerrier qu’il a été arrêté par une voix qui lui dit : « Mais, François, lequel vaut le mieux ? De servir le maître ou le serviteur ? » Alors il comprend que cette parabole veut dire : « Tu vas devenir le domestique d’un domestique, tu vas faire tes armes sous la direction d’un capitaine qui est lui-même au service d’un prince. C’est trop peu pour toi ». Et c’est quand il comprit que c’était trop peu pour lui que, voulant demeurer fidèle à son ambition, il attendit, disponible, la voix de Dieu qui allait l’orienter vers son véritable champ d’action : c’était tout l’univers qu’il devait fiancer à la divine Pauvreté.

Et François gardera toutes ces images qu’il avait puisées dans les romans de chevalerie. Il continuera à se considérer comme un chevalier, le chevalier de Dieu et de Dame Pauvreté. Et tout son élan, et toute sa passion d’adolescent, vont se donner carrière magnifiquement dans cette vie qui est une des plus authentiquement chrétienne, où justement, en suivant jusqu’à Dieu son penchant le plus essentiel, il a réalisé, avec une authenticité incomparable, la plus parfaite illustration de l’Évangile.

Suivre avec Dieu le chemin que nous sommes

Il en sera de même pour nous, toutes proportions gardées. C’est dans notre passion maîtresse, c’est par notre penchant le plus profond, que Dieu nous attirera à lui si nous nous ouvrons simplement à son Amour, si nous lui confions notre désir le plus intense, sûrs que, à sa manière, infinie, il le réalisera au-delà de toute image et de toute mesure.

Car finalement, Dieu seul peut nous accomplir. Dieu seul peut nous engager dans l’aventure qui suscitera tout notre enthousiasme. Dieu seul peut nous dire qui nous sommes. Nous allons donc nous remettre entre ses mains et lui demander que ce chemin que nous sommes, nous le suivions avec lui, pour que tout notre être devienne un élan brûlant et enthousiaste vers lui, et que nous apprenions de Dieu qui nous sommes et quel est notre nom, c’est à dire, à l’image de l’Apocalypse qui dit : « A celui qui vaincra », c’est à dire qui sera fidèle jusqu’au bout, « je donnerai une pierre blanche et, sur cette pierre blanche, il y aura un nom que personne ne peut lire sinon celui qui la reçoit » (Ap. 2:17) .

(*) « Ton visage ma lumière, 90 sermons inédits »

Publié par les éditions Mame, Paris, 2011. 512 pages
ISBN : 9782728915064
MDS : 531154

Existe en version numérique :
MDS : NUM1022

sfn 56 0206

10/03/2019 – mars 2019

Déjà publié sur le site le : 13/01/2010

Déjà publié sur le site le : 21-22/02/2015

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