Le monde serait meilleur si vous étiez meilleur

« Homélie de Maurice Zundel à Lausanne en 1953.

Résumé : Les enfants qui ont dû se débrouiller pendant la guerre, ont tout entendu, tout vu. Des parents qui ne sont pas vertueux comptent sur leurs enfants comme s’ils déléguaient leur rôle d’homme véritable. Il y a une mise en demeure — une mission — de devenir homme : nous avons à choisir notre destin et le monde ou nous voulons habiter.

 

Une délégation de la mission de vivre

Une certaine jeunesse d’aujourd’hui ne se préoccupe nullement de ses parents. Un jeune homme a quitté la maison, est resté absent deux ou trois jours, sans avertir ses parents. Sa mère se consumait en inquiétudes ; aucun signe de vie ! Et si l’un de ses frères ne l’avait pas retrouvé, peut-être que sa famille ne l’aurait jamais revu.

Comment se fait-il qu’un jeune homme puisse faire une fugue, sans s’inquiéter le moins du monde des répercussions qu’il y aurait sur le cœur de ses parents. Comme s’ils ne comptaient pas ? Les enfants d’aujourd’hui, qui ont dû se débrouiller pendant la guerre, qui ont été mêlés à tous les marchés noirs, toutes les intrigues, à tous les mensonges, à toutes les bagarres. Ils ont tout entendu, ils ont tout vu ! Il est normal qu’ils aient de leurs parents un certain soupçon. Pourquoi sont-ils venus au monde ? Ils ne l’ont pas demandé. Ils en savent assez pour savoir que la plupart du temps, les enfants viennent au monde comme par hasard ; les parents ne pensant qu’à leur plaisir, ils ne sont pas sûrs de ne pas être nés de l’égoïsme de leurs parents.

Lorsque l’on parle de caves existentialistes (1), comme si l’existentialisme n’était pas une pensée profonde, difficile, nécessaire… Il ne faut pas oublier ce qu’il y a de désespoir dans une certaine jeunesse, qui ne croit plus à rien. Il n’y a pas à se casser la tête pour trouver une solution métaphysique. Nous nous émouvons, tous, devant un petit enfant, mais ne sommes-nous pas tentés de lui déléguer la mission de vivre ? Combien de parents ne vivent pas dans la lumière, dans la vérité, dans la droiture ? Combien de parents comptent sur leurs enfants pour mener une vie vertueuse dont ils ne sont pas capables ?

Choisir notre destin

La vie, c’est à chacun de nous de la vivre. Un sage a dit : « Le monde serait meilleur si vous étiez meilleur. »

Il ne faut pas chercher autre chose. Nous sommes tentés de demander aux enfants de vivre lorsque nous ne le pouvons pas. Il y a ainsi dans toute notre réalisation humaine, ce que nous sommes à l’égard des autres. Nous disons les Russes ou les Américains, sans penser que toutes les catastrophes viennent de nous-même ! Il est curieux de voir combien cette illusion est tenace : qu’est-ce que l’étoile marxiste ? C’est qu’au bout de l’histoire, il y a un surhomme qui justifiera tous les sacrifices, guerres, massacres. Tous les biologistes qui attendent la naissance du surhomme commettent la même erreur.

Le surhomme sera si nous consentons à accomplir le don qui nous est demandé aujourd’hui.

La conscience humaine est une pensée capable de regarder l’univers, capable de se choisir elle-même le monde où elle peut habiter. Nous n’avons pas à penser à l’avenir qui s’avancera tout seul. C’est à nous-même de choisir notre destin, de l’orienter, de l’accomplir et le monde sera finalement ce que nous le ferons ; « Le monde serait meilleur si vous étiez meilleur. »

Voilà une parole que chacun de nous peut s’appliquer.

Expérimenter la Bonne Nouvelle

Les enfants d’aujourd’hui n’ont plus le sens du sacré. Ils attendent que les parents fassent la preuve. Les enfants nous attendent, au tournant de la rue, à nous qui nous rassemblons dans les églises ; les enfants attendent pour voir ce que cela donne !

Il y a donc à notre époque, une espèce de réalisme brutal, fruit d’une expérience, amère et déchirante, une mise en demeure, pour nous, de devenir un homme, d’employer sa vie. La solution est au-dedans de nous, ce n’est ni le passé, ni l’avenir qui est la position de notre existence, mais le choix que nous faisons de nous-même aujourd’hui.

Il faut que nous sentions la gravité de la mise en demeure des existentialistes : c’est un devoir, la vie n’est pas un jeu. Quand ceux qui se disent chrétiens, dépositaires de la Bonne Nouvelle, montreront que c’est vraiment la Bonne Nouvelle, toutes les solutions se résument à celle-ci : « Le monde serait meilleur si vous étiez meilleur. »


(1) Pour l’existentialisme, l’homme forme l’essence de sa vie par ses propres actions, il est un être unique maître de ses actes, ceux-ci n’étant pas prédéterminées par des doctrines théologiques, philosophiques ou morales. L’existentialisme est un vaste mouvement né au 19e siècle, une « philosophie existentielle » (Kierkegaard). Sartre ne représente qu’une version particulière et athée de ce vaste mouvement.
Les caves existentialistes de Saint-Germain-des-Prés, dans les années 1940-50. Boris Vian : « floraison de cavernes… grottes de dimensions variables connues sous le vocable générique: caves existentialistes ». Un mythe s’est construit sur ces « caves ».

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01/10/2019

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