31/07/2010 – Homélie – Toute vie chrétienne est sacerdotale

Homélie
de Maurice Zundel à des parents (lieu et date inconnus).

L’intégralité de l’enregistrement de l’homélie vous est proposée, à l’écoute, mais à l’aide du curseur, déplacé par la souris, vous pouvez morceler celle-ci, l’interrompant et la reprenant comme bon vous semble. L’enregistrement est de qualité moyenne mais le sujet tellement brûlant!

« Il n’ya pas de téléphone céleste, il n’y a pas de téléphone céleste et par conséquent tout ce qui se, tout ce qui se dit de Dieu dans le monde, ce sont des hommes qui le disent car ils ne peuvent le dire avec autorité, ils ne peuvent le dire de manière authentique que si ils se sont transformés, que si la grâce de Dieu les a transformés et a fait d’eux de vivants sacrements.

Il ne faut jamais oublier ce caractère sacramentel de la révélation. Il n’y a pas un bureau céleste qui nous envoie chaque jour un bulletin d’information, cela est impossible, mais il y a des hommes qui deviennent transparents à Dieu qui dépassent leurs limites, peu ou beaucoup, et qui, dans la mesure où ils les dépassent, deviennent capables de nous rendre Dieu présent.

Tel est le sens profond du sacerdoce. Le mot sacerdoce signifie exactement : poser ou donner le sacré et ce sera toujours par des hommes que le sacré sera donné et posé.

On oublie trop souvent que il n’y a pas quelque part des archives célestes où on puisse aller puiser et aves lesquelles on puisse confronter la pensée de l’homme mais ce qu’il y a, d’infiniment plus riche et plus important que toutes nos archives, ce sont justement ces hommes de Dieu. Ces hommes transformés en Dieu, ces hommes transparents à Dieu qui nous communiquent sa lumière et sa vie. Et bien sur ils ne peuvent nous la communiquer que si, à notre tour, nous nous transformons. Car recevoir ce message de l’homme de Dieu, du prêtre ou du prophète, ce qui est finalement la même chose, recevoir un tel message, c’est le vivre, car sans le vivre, il n’apporte aucune lumière. Et le vivre soi-même, c’est donc à son tour, le communiquer par le seul fait qu’on s’est transformé en Lui.

Dans cette chaine de témoins d’ailleurs, dans cette chaine sacerdotale et prophétique, au centre de toute révélation, il y a l’humanité de Jésus Christ. Cette humanité sacrée de Notre Seigneur, cette humanité entièrement dépouillée d’elle-même, cette humanité universelle, cette humanité sans frontières, ce qui fait que Jésus, se désigne lui-même sous le nom de Fils de l’Homme, de Fils de l’Homme, c’est à dire d’homme. Il est l’Homme, non pas seulement un homme, mais l’Homme, l’Homme dans toute sa plénitude, l’Homme dans son éternité, l’Homme qui survole le temps et l’espace, l’Homme qui est intérieur à chacun de nous, l’Homme qui est chez lui à l’intérieur des autres.

Et cette révélation que nous apporte Jésus Christ, cette révélation où Dieu est personnellement présent, cette révélation qui n’est pas une Parole mais qui est le Christ lui-même, cette révélation qui tient tout entière dans son humanité, laquelle est le premier et le plus parfait des sacrements, cette révélation elle ne peut pas se détacher de Lui. On ne peut pas la loger dans un vocabulaire, on ne peut pas l’enfermer dans un langage, c’est pourquoi le Christ demeure, il demeure avec nous éternellement, éternellement Il vivifie sa parole par sa Présence.

Tellement, que être chrétien ce n’est pas écouter une Parole mais c’est d’abord s’unir à une Personne. C’est d’abord vivre cette vie qui est le Christ lui-même, c’est lui donner accueil, c’est faire de notre vie même l’expression de Sa vie.

Et c’est là qu’intervient le sacerdoce au sens restreint, le sacerdoce des prêtres au sens courant, il intervient ce sacerdoce parce que il est impossible d’avoir accès à Jésus Christ, à Jésus Christ présent parmi nous, à Jésus Christ présent dans cette immense sacrement qu’on appelle l’Eglise, il est impossible de joindre le Christ, ainsi présent dans l’Eglise, le Christ qui est l’Eglise comme Lui-même le révèle à Saul aux portes de Damas : « Je suis Jesus que tu persécutes », il est impossible d’aborder le Christ autrement que en quittant ses propres frontières. Justement parce qu’en Jésus nous avons la révélation suprême, parce qu’en Jésus rien ne limite la présence divine, parce qu’en Jésus la transparence est totale, parce qu’en Jésus le dernier mot est prononcé, ce mot qui n’est plus une parole mais qui est une présence capable d’illuminer tous les ciels, de totaliser toute l’histoire et de devenir en nous la vie de notre vie.

A cause de cela, étant donné la richesse même et la plénitude de cette révélation qui est une Personne, il faut nécessairement pour la recevoir se quitter soi même, devenir universel, ce que veut dire précisément le mot catholique devenir universel, surmonter ses limites, entrer dans l’immensité de l’amour divin. Et c’est là que le prêtre au sens restreint joue son rôle, il nous insère dans la communauté car nous n’avons accès à ce trésor infini qui est le Christ, qu’en nous faisant communauté, qu’en devenant universel, qu’en portant en nous le destin de toute l’humanité et de tout l’ univers. Et la médiation du prêtre au sens restreint du prêtre que je suis, c’est une médiation communautaire, elle veut nous maintenir précisément dans cet horizon infini afin que nous n’allions pas au Christ dans la solitude de notre égoïsme propre, le ramenant à notre mesure et à notre dimension, mais que notre volonté soit toujours d’aller au Christ dans l’universel avec tous et pour tous.

Mais ceci étant accordé, ceci situant le sacerdoce auquel nous consacre l’ordination qui est un des sept sacrements, ceci dit, il reste que toute vie chrétienne est une vie sacerdotale, toute vie chrétienne est une vie consacrée et que le sacerdoce, au sens où l’homme est révélation de Dieu, est autant le votre que le mien, autant les nôtres que celui du Pape, autant le nôtre que celui des apôtres, le même identiquement, justement parce que il est impossible de recevoir le Christ réel, le Christ universel, le Christ sans frontières, le Christ qui est antérieur à chaque homme, l’humanité, sans devenir soi même universel et sans, par conséquent, communiquer le don que l’on reçoit.

C’est dans l’ordre de l’Esprit, c’est dans l’ordre de la grâce, c’est dans l’ordre de l’amour, la seule possibilité de recevoir que de donner. Ayant donc reçu le message, ou plutôt d’ailleurs reçu la vie, vivant de Jésus Christ, si c’est authentique, nous ne pouvons que porter cette vie autour de nous en répandant la lumière et la joie et c’est pourquoi la liturgie d’aujourd’hui évoque justement ce sacerdoce royal, ce sacerdoce de toute la communauté ecclésiale, de toute la communauté chrétienne et finalement de toute l’humanité.

Vous êtes donc prêtre autant que les apôtres, autant que les papes, autant que les évêques, autant que les prêtres, vous êtes prêtres et vous n’avez pas autre chose à faire, pas autre chose à faire depuis votre baptême, nous n’avons pas autre chose à faire depuis notre baptême, chacun, qui que nous soyons, que de transmettre cette présence, que de la communiquer, que de lui préparer la voie, que de faire éclater les limites qui font obstacle à son effusion. Vous êtes prêtres essentiellement et toute votre vie est placé sous ce signe car vous n’avez pas autre chose à faire que de donner le Christ pour que le monde en vive.

Sans doute, il ne s’agit pas de parler du Christ, d’ailleurs on n’ en peut pas parler si l’on n’en vit pas, mais il s’agit d’en vivre tellement profondément que tous ceux qui nous entourent respirent sa présence. Et d’une manière tout à fait particulière vous êtes prêtre dans votre foyer,. le sacrement du mariage a une ordination essentielle, comme st Paul le rappelle aux Ephésiens, au mystère de l’Eglise, c’est par le mariage que s’accomplit et se symbolise le mystère de l’Eglise. Le mariage est donc explicitement ordonné à cette communication du Christ qui propage à travers le temps le corps mystique de Jésus. Vous êtes prêtres, vous l’êtes à un degré unique, vous l’êtes d’une manière irremplaçable, vous tous qui avez l’honneur d’être père et mère. Car , il est clair que la première révélation de Dieu à vos enfants, c’est vous même. La première et la plus indélébile, la première et la plus indispensable, la première et la plus durable.

Et nous sommes là justement dans cette vérité profonde, à savoir que toute communication de dieu à l’humanité se fait par l’homme. C’est l’homme qui est le sacrement de cette communication et vous l’êtes d’une manière éminente et unique à votre foyer. L’enfant comment pourrait il découvrir Dieu comme une liberté, comme un espace, comme une joie, comme un bonheur inépuisable, s’il ne le découvre à travers vous ? Qu’est ce qui va éveiller en lui ce sens d’une dimension et d’une grandeur infinie, infinie, sinon vous-mêmes ?

On a remarqué, à Londres, que les enfants qui étaient soignés par leur mère – c’est à dire que les enfants dans les hôpitaux où les mères participaient aux soins donnés par les nurses – guérissaient deux fois plus vite que les autres ! L’enfant, pénétré d’amour, reconnaissant le visage de sa mère, était situé, immédiatement, sur un plan de résurrection qui actualisait toutes ses énergies physiques et concourait merveilleusement à sa guérison.

Si le visage d’une mère a une telle puissance sur l’organisme d’un petit enfant, on imagine son pouvoir de rayonnement sur l’âme de ce même petit enfant. Cette âme qui ne peut pas encore s’exprimer.

D’ailleurs, qu’est ce qu’on peut exprimer ici-bas ? Rien du tout ! On n’exprime rien, sinon cela que l’on vit profondément, quand les mots sont dépassés, quand le langage éclate, quand les mots portent la vie, quand les mots sont devenus des personnes !

Alors Il est clair qu’avec le petit enfant, il n’est d’autre langage que ce regard, que ce sourire, que cette présence, que ce rayonnement, que cette sainteté de la mère et du père ! C’est par-là que il s’ouvre, c’est par là qu’il mûrit à la lumière. C’est par là qu’il est divinisé. C’est par là qu’il respire Dieu. Et, quand on le nommera, il saura immédiatement de qui il s’agit, parce que, déjà, il en vit…

Vous ne sauriez donc trop vous pénétrez de la hauteur de la sublimité de cette vocation. Il y a dans la paternité et dans la maternité un engagement de sainteté. Je dirai même que cet engagement est plus rigoureux, qu’il est plus grave parce qu’il est plus chargé de conséquences que celui du prêtre, on peut changer de prêtres, on peut changer de confesseur, on ne peut pas changer de père, ni de mère. Il y a la une situation unique, il y a là un engagement incomparable avec tout autre et il est bien clair que l’échelle des valeurs d’un petit enfant, il la lit, il s’en imprègne à travers le visage de sa mère et de son père. Il est donc clair que le sacerdoce, le sacerdoce dont nous parlons, ce sacrement vivant, indispensable à la révélation de Dieu, c’est vous qui l’êtes éminemment et d’une manière unique pour vos enfants.

Un de mes amis qui est moine dit ce mot, que je cite volontiers parce qu’il est plein d’humour, « j’ai autant de dévotions à manger ma soupe qu’à célébrer la messe » c’est dire que au réfectoire du monastère, dans cette maison de Dieu, il se sent aussi bien en contact avec le seigneur qu’à l’autel, car c’est le même Seigneur qui nourrit son corps et son esprit et c’est le même amour qui est la loi unique de toute son existence. Et bien, comme c’est vrai autour d’une table de famille, le père et la mère qui donne à manger à leurs enfants, au nom de Dieu, il lui offre en quelque sorte une eucharistie, ce pain qu’ils ont gagné qu’ils gagnent avec tant de patience avec tant de courage avec tant d’amour, il a une dimension nouvelle qui est celle de leur tendresse et qui est véritablement une espèce d’eucharistie. Il y a donc dans un foyer véritable, il y a un permanent rayonnement de dieu qu’il n’est pas nécessaire d’exprimer qui gagne à n’être pas exprimé mais qui est tellement évident qu’il se respire.

Vous vous rappelez comment Bach a quitté ce monde en entendant chanter ce choral : « Tous les hommes doivent mourir. » Et qui chantait ce choral ? C’était toute ces famille de dix enfants – ou davantage – toute ces famille où chacun était musicien, toutes ces familles qui constituaient, à elle seule, une chorale et un orchestre, et qui pouvait ainsi conduire ce saint de la musique et peut être ce saint tout court, le conduire à la rencontre de l’éternelle musique, au chant de ce choral qu’il avait harmonisé !

Et bien si cette mort qui rappelle d’une certaine manière celle de st François, tant elle est chrétienne, tant elle est enracinée dans la foi et dans l’amour, cette mort peut être accompagnée par tout cet orchestre familial, si toute cette famille peut chanter pour conduire au Seigneur ce père vénéré, qui est un des plus grands artistes de tous les temps, c’est que sans doute la vie quotidienne était à cette image. C’est qu’on y vivait – sans en parler – on y vivait de cette Présence. On la respirait et on se l’entre communiquait.

Pourquoi vos foyers ne seraient-ils pas à l’image de ce foyer ? Et non seulement vos foyers ! Parce qu’après tout, c’est toute la vie, aussi bien le milieu de travail que la maison, qui est le champ de votre apostolat ! Bien sûr, que il s’agit toujours de respecter le secret des hommes. Il ne s’agit pas de violer leurs clôtures, de leur imposer notre manière de croire ou de penser. C’est la dernière chose à faire, car c’est le plus sûr moyen de voiler Dieu. Dieu est Liberté. Dieu est Espace. Dieu est Amour. Dieu est Vie et on ne le communique justement que par la vie.

Mais, si vous avez cette préoccupation, si vous regardez la vie sur ces deux plans, si vous jouez sur ces deux tableaux, si votre musique est sur ces deux registres, si vous pensez que, derrière chacun de ces visages d’homme ou de femme, de jeune homme ou de jeune fille, il y a tout de même cette possibilité divine qui vous appelle, qui vous attend, qui veut s’éveiller et se développer par vous, mais tout sera merveilleusement transformé. Parce qu’il n’y a pas de contact qui ne sera pour vous l’occasion, à la fois d’exercer et de répandre la révélation que vous êtes, et de collaborer à l’éclosion et au développement du règne de Dieu.

Il est donc certain que ce message que nous lisons aujourd’hui, il célèbre dans la communauté chrétienne tout entière, un sacerdoce royal. Ce message nous concerne tous. Il s’adresse à vous en particulier qui êtes tenté de penser que le sacerdoce c’est la part de quelques uns, de ceux qu’on appelle couramment les prêtres qui êtes tentés de penser que vous êtes des laïques et que il ne vous en est pas tellement demandés. Mais il ne s’agit pas de cela il s’agit de cette confiance infinie que Dieu vous fait de ce crédit, qu’il accorde à votre amour de cette vie, la sienne, qu’il remet entre vos mains car comment serez vous père et mère jusqu’au bout si vous ne communiquez à vos enfants la vie divine.

Il s’agit davantage encore, il s’agit de ne pas laisser Dieu sans voix, sans parole et sans visage. Puisqu’il n’y a pas de téléphone céleste, c’est donc vous, chacun de vous qui est la révélation de Dieu. Et tous les mots, et tous les livres, et toutes les démonstrations et toutes les apologétiques – et je dirais même tous les sacrements – tout cela n’est rien parce que tout cela demeure inefficace, si l’homme ne se transforme pas !

Tout cela ne peut pénétrer jusqu’au fond de notre être, si notre être ne se tourne pas vers Dieu !

La première de toutes les révélations, c’est donc vous, chacun de vous pour les autres, chacun de vous à son foyer, chacun de vous dans son milieu de travail.

C’est par-là que vous êtes prêtres, indispensablement, c’est par là que vous êtes prophètes, c’est par là que vous êtes chrétiens. C’est par-là que vous êtes l’Eglise. C’est par-là, enfin, que vous êtes ce sacerdoce royal ! »