30/06/2011 – Conférence – Noverim Me, Noverim Te

xxxxxxxxxx

Conférence donnée au Caire, en mai, juin 1972 aux Carmélites de Matarieh.

Avec la voix de Maurice Zundel qui nous permet d’entrer plus profondément dans le texte (sur cet enregistrement, un léger bruit de fond est perceptible lors des silences méditatifs et priants du Père):

 

              » Noverim me, noverim te.  » Saint Augustin, dans les Soliloques, Saint Augustin écrit ces mots :  » Que je me connaisse, que je te connaisse.  » Est-ce que ces deux mots sont équivalents ? Est-ce que ces deux mots se situent sur le même plan ?  » Que je me connaisse, que je te connaisse.  » Est-ce que se connaître soi-même et connaître Dieu, c’est une seule et même chose ?

            Ce que nous pouvons constater immédiatement, c’est en effet l’extrême difficulté, la quasi-impossibilité de nous connaître nous-même. C’est d’ailleurs un des aspects, peut-être le plus profond, de la misère humaine, cette sorte d’impossibilité pour l’homme de se connaître et nous pouvons le vérifier très facilement sur nous-même.

Comment nous connaissons-nous nous-même ? Il est très rare que nous puissions nous poser la question d’une manière assez profonde pour prendre conscience du problème lui-même. Nous avons l’habitude de nous-même. Nous voyons le monde à travers nous-même et il est très rare que nous nous remettions en question nous-même : je suis ce que je suis. Voilà : j’ai tel caractère, j’ai tel tempérament, j’ai tels goûts, j’ai telles sympathies, j’ai telles antipathies et je ne puis faire autrement parce que je suis ce que je suis. Il faut bien que je m’accepte comme je suis, c’est ce que disent beaucoup de gens: il faut s’accepter soi-même.

Bien sûr, mais qui est soi-même ? Qui est soi-même ? Qui est ce  » je  » et  » moi  » ? Nous arrivons toujours finalement à découvrir, quand nous réfléchissons un peu, à découvrir que ce  » je  » et «  moi  » est préfabriqué, que ce n’est pas nous qui l’avons créé, que nous le subissons et que ce n’est donc pas nous. Nous n’avons aucune raison de dire  » je  » et  » moi  » sur ce qui s’impose à nous, sur ce que nous avons hérité, sur ce que notre organisme nous impose. Et pourtant, pratiquement, c’est bien ce que nous faisons, ce que font l’immense majorité des hommes et des femmes : ils sont ce qu’ils sont et ils ne vont pas plus loin.

            Et c’est parce que nous n’arrivons pas à nous connaître, c’est parce que nous n’arrivons pas au fond de nous-même, jusqu’à la racine de notre être que tous les problèmes sont en porte-à-faux, tous les problèmes sont déséquilibrés, le problème de Dieu comme les autres.

On parle de Dieu comme on a l’expérience de Dieu et on a l’expérience de Dieu comme on a l’expérience de soi-même. Il faut aller jusqu’au fond du fond du fond pour que, il y ait quelque chose de changé. Et comment aller jusqu’au fond du fond du fond ? C’est évidemment une espèce de grâce, c’est une espèce de don, c’est, en tous cas, une expérience que l’on fait ou que l’on ne fait pas. Celui qui arrive jusqu’au fond de lui-même, il sait que, il ne se trouve lui-même qu’en face de cette Présence cachée au fond de lui-même qui est, justement, le Dieu vivant.

C’est l’expérience de saint Augustin que nous avons si souvent rappelée, du moins Augustin l’exprime admirablement : il n’arrive à lui-même qu’à travers Dieu et c’est en Dieu que, il devient réellement lui-même. Quand on arrive à ce point, quand la grâce nous en est donnée, on fait cette expérience que on se trouve précisément au moment où l’on ne pense plus à soi, où l’on cesse de se regarder et où l’on est suspendu à cette Présence intérieure à nous-mêmes. C’est à ce moment-là que, on sent qu’on atteint le fond. On ne subit plus sa vie. On ne subit plus son «  je  » et «  moi  » préfabriqué. On respire dans une espèce de liberté pleine de silence et de lumière en face de Quelqu’un que l’on perçoit autant que l’on se perçoit soi-même, car ce n’est pas là une expérience chimérique, ce n’est pas là une invention, ce n’est pas un rêve. C’est au contraire la seule manière réelle de se percevoir soi-même en étant aussi sûr de la Présence de Dieu que de la sienne propre. On les vit en même temps parce que, justement, on se vit soi-même comme une relation, comme un regard vers Dieu.

Et cette expérience est totalement certaine, mais elle est totalement inconnue de ceux qui ne l’ont pas faite. Celui qui n’a pas fait cette expérience, au moins une fois dans sa vie, il ne peut pas comprendre de quoi il s’agit. Comme il n’arrive jamais jusqu’à lui-même, il n’arrive jamais jusqu’à Dieu, jusqu’au vrai Dieu. Il a une idée de Dieu. Il peut parler de Dieu. Il peut enseigner Dieu. Il lui manque toujours quelque chose d’essentiel qui est d’avoir connu Dieu en devenant lui-même et, parce que il n’a pas fait cette expérience, il est exposé à beaucoup d’erreurs, précisément parce que, il est tenté de prendre les choses par le dehors. Il étudiera la Bible. Il lira l’Evangile. Il sera éventuellement un théologien, un prédicateur renommé mais, faute de cette lumière centrale, il n’arrivera jamais à atteindre le sens du mystère.

Alors nous voyons, justement, que le mystère de Dieu et le mystère de l’homme, c’est toujours le même mystère. Il est aussi difficile de nous connaître que de connaître Dieu. C’est pourquoi, lorsqu’on se connaît vraiment, on connaît Dieu et réciproquement.

Et cela vaut naturellement de nos rapports avec les autres. Qui sont les autres ? Les autres, nous les voyons du dehors, nous voyons leur visage extérieur, nous connaissons peu à peu leurs habitudes, leur tempérament, leur caractère, leurs réactions et nous nous faisons un schéma de leur personnalité et nous nous disons : voilà, il est tel ou elle est telle. Nous les classons dans une certaine catégorie et nos rapports avec eux ou avec elles sont conformes à ce classement.

Mais c’est le même problème à l’égard des autres qu’à l’égard de nous-même. Nous ne pouvons jamais les atteindre dans leur réalité éternelle, dans leur réalité profonde si nous ne passons pas par le regard et par la Présence de Dieu, j’entends le même Dieu qui est la respiration de notre liberté, le même Dieu qui est l’espace intérieur qui s’ouvre en nous quand nous ne sommes plus qu’un regard vers lui. C’est dans la même lumière, et seulement dans la même lumière, que nous pouvons atteindre les autres. Si bien que, finalement, la connaissance de soi-même, la connaissance des autres et la connaissance de n’importe quoi, parce que la connaissance de la nature, la connaissance des vérités expérimentales, des vérités physiques, enfin la connaissance de n’importe quoi, ne peut jamais s’accomplir autrement que dans la lumière de Dieu.

Dieu est la seule lumière. Dieu est vraiment le jour de notre esprit, tellement que nous ne pouvons vivre humainement, au sens plein du mot, que, en faisant oraison sur la vie, en faisant oraison sur nous, sur les autres, sur la nature, sur tout l’univers, qu’en faisant oraison tout le jour et tout le temps de notre existence.

Je pense que c’est là la contemplation dans ce qu’elle comporte de plus essentiel. On peut être tenté – et on, on l’est souvent – de voir dans la contemplation une sorte de spéculation, de réflexion sur un thème donné : je vais ouvrir un livre et je vais lire un passage de ce livre qui est une méditation – mettons sur le mystère de l’Ascension – et je vais essayer de conduire ma pensée suivant les idées développées par l’auteur. Ca me prendra un quart d’heure, une demi-heure. J’en retirerai une certaine leçon qui sera favorable au développement de ma vie spirituelle. Et voilà : j’aurai médité ou j’aurai contemplé, c’est-à-dire qu’on est tenté de faire de l’oraison, de la contemplation une sorte d’étude, d’étude d’un domaine particulier, et tout cela est d’ailleurs parfaitement légitime et peut être très utile, voire nécessaire.

Mais il me semble que l’essentiel de la contemplation, c’est celle qui nous fait devenir, c’est celle qui nous fait exister ; c’est elle qui nous tire de notre prison, c’est elle qui nous libère, c’est elle qui nous ramène à nos racines, c’est elle, enfin, qui nous fait naître, naître, à notre humanité authentique.

 » Que je te connaisse, que je me connaisse « , que je trouve dans le silence de tout mon être, que je trouve ce dialogue, que je rencontre ce visage, que je sois de nouveau un pur élan vers lui, que je me perde en lui, que je cesse de me voir en le regardant, alors toute la vie reprend sa grandeur, toute la vie atteint à sa véritable dimension, toute la vie, comme dit saint Augustin, est vivante.

C’est évidemment à partir de là que tout s’éclaire et, c’est en y revenant que toutes les difficult.., toutes les difficultés peuvent être surmontées, mais il s’agit, évidemment, d’une expérience. Si vous pensez à la mort, vous pouvez vous livrer à toutes sortes d’imaginations sur votre mort, sur ce qui adviendra après votre mort, sur le jugement qui s’exercera sur vous, sur la béatitude dans le ciel, mais vous risquez ici d’être prisonnières d’images qui n’ont pas de racines en vous. Il est évident que le problème de la mort sera vécu d’une manière tout à fait différente si je vois dans la mort un thème à méditer, une sorte de spéculation, de réflexion sur cet événement, d’ailleurs, totalement inconnu.

Si je commence par vivre dans le silence, si je retrouve au fond de moi-même la Présence unique, si je suis à l’écoute de cette musique silencieuse dont parle saint Jean de la Croix, enfin si de nouveau je suis suspendu au cœur du Seigneur, je suis déjà dans l’éternel, je vis l’éternité, je triomphe de la mort, tout mon être se recueille dans cette lumière. Je ne sens plus mon corps. Je ne sens plus mes besoins physiques. Je suis là simplement un regard vers lui. Le problème de la mort en quelque sorte a disparu, puisque je vis l’éternité. Que je sois physiquement dans ce monde ou pas, cela ne change finalement rien, puisque je suis déjà enraciné dans la source de la vie infinie.

Vous vous rappelez Mère Marie du Cœur de Jésus, celle qu’on appelait « la petite mère », vous vous rappelez, quelle peur elle avait de la mort. Elle était terrorisée par la pensée de la mort et elle savait au fond pourquoi. Elle savait au fond qu’elle ne s’était pas quittée elle-même. Elle savait que elle n’avait fait au Carmel que ce qu’elle avait voulu, que, on l’avait flattée parce qu’elle avait de l’argent, qu’on l’avait laissé faire tout ce qu’elle voulait parce qu’elle apportait de l’argent et que, par conséquent, elle n’avait jamais eu à obéir puisque, on lui laissait faire toutes ses volontés.

Elle a donc pu s’installer toute sa vie dans sa volonté propre. Toute sa vie, elle a pu commander. Toute sa vie, elle a pu disposer des autres, selon son tempérament, selon ses antipathies ou sympathies. Et Sœur marie de l’Incarnation aurait pu dire combien elle était l’objet de son antipathie. Et « la petite mère » le savait. Elle était assez intelligente pour comprendre que elle n’avait été une carmélite, qu’une carmélite de papier. Elle parlait comme un livre, bien sûr, mais elle savait très bien elle-même où elle en était, du moins elle savait très bien que, elle n’était pas dans sa vocation, qu’elle ne l’avait pas réalisée parce que tout, précisément, avait été organisé par les autres pour qu’elle ne pût pas réaliser sa vocation.

Et cette terreur de la mort a été chez elle, précisément, la prise de conscience de sa situation. C’est d’ailleurs, si l’on peut dire, ce qui était si émouvant en elle et si positif, c’est que elle ne s’est pas trompée elle-même. Elle a été au fond, elle a été au clair sur sa situation et elle a compris que, elle n’était pas conforme à ce qu’elle avait voulu, lorsque, elle était entrée au Carmel.

Et la grande grâce qui a été faite, ça a été précisément de recevoir avant de mourir cette visite de Dieu, de recevoir la paix de Dieu, d’être enfin délivrée d’elle-même. Et, si j’évoque son cas, ce n’est pas du tout dans une pensée de blâme et de jugement – j’ai pour elle la plus profonde gratitude parce que, elle a été extrêmement bonne à mon égard – si je l’évoque, c’est parce que c’était précisément une intelligence supérieure, c’est parce que, elle était entrée au Carmel certainement avec la volonté d’un don total, c’est parce que l’erreur où elle a été engagée par le manque d’intelligence et la faiblesse des autres qui avaient besoin de son argent, c’est parce que tout cela a été pour elle un grand drame, une immense épreuve, c’est parce qu’enfin elle en a été consciente, c’est parce que, elle ne s’est pas menti à elle-même et que, par conséquent, elle était prête à recevoir la grâce au moment où elle lui serait donnée.

Cela veut dire que, ce n’est pas une question d’intelligence, ce n’est pas une question de culture, c’est pas, ce n’est pas une question d’information. On peut avoir lu les mystiques. On peut les savoir par coeur. On peut les citer. On peut être plein de bons conseils pour les autres. Ca ne change rien en sa propre existence. Ca ne change rien si on n’a pas été introduit dans ce sanctuaire secret qui est vraiment le Saint des Saints où s’accomplit la rencontre unique, où on devient soi dans l’Autre (majuscule).

Et nous pourrons donc nous souvenir de « la petite mère », précisément pour compatir en quelque sorte à cette épreuve qu’elle a vécue dans la terreur, au moins les dernières années de sa vie, cette épreuve qu’elle a fait peser d’ailleurs sur les autres – forcément, puisque c’est elle qui tenait tous les leviers de commande – nous pouvons penser à elle avec compassion, avec amitié, sachant que nous pouvons la rejoindre en Dieu et que, elle a trouvé Dieu, qu’elle a eu cette grâce de la délivrance, qu’elle est née finalement à son vrai moi lorsque, elle a découvert Dieu comme une Présence qui l’attendait au fond d’elle-même.

Pour nous, nous avons constamment à revenir à ce centre. D’ailleurs c’est là le seul critère, la seule pierre de touche dont nous puissions disposer. La vie spirituelle authentique aboutit à ce  » Noverim me, noverim te « , à ce mystère de l’homme et à ce mystère de Dieu qui circulent l’un dans l’autre, qui sont inséparables l’un de l’autre et qui contiennent toute lumière.

C’est cela qu’au fond devrait réaliser une communauté religieuse. Une vraie communauté, elle serait axée sur cette oraison continuelle, sur la vie, sur cette attention à la Présence de Dieu en soi et dans l’autre, identiquement en l’autre et en soi. Une communauté authentique serait une communauté où la présence de Dieu circulerait entre tous les membres de la communauté comme une commune respiration. Et c’est par-là que, une véritable communauté exercerait son apostolat, car il n’y a pas d’action plus grande et il n’y a pas d’action efficace en dehors de celle-là. Ce qu’une communauté monastique a à donner, c’est justement cela qui est tout, puisque c’est le don à la fois de l’humanité et de la divinité, c’est le don de l’univers et de Dieu.

Quand notre Seigneur parle de la perle du Royaume, cette perle incomparable qu’il faut acquérir en donnant tout, en vendant tout pour l’obtenir, c’est qu’en effet, cette perle du Royaume, c’est le secret de toute la création.

Que, que valent les arguments – les arguments pour ou contre – pour celui qui vit dans ce dialogue avec Dieu au coeur de son coeur ? Il est dans l’évidence. Il est dans la certitude. Il est dans l’éternel. Il est libre, mais il ne peut témoigner de cela justement qu’en le vivant.

Où en étaient les Apôtres ? Où en étaient les Apôtres au jour de l’Ascension ? Qu’est-ce qu’ils attendaient ? Nous avons entendu ce matin, à travers les Actes des Apôtres, que leur dernière question c’était : «  Est-ce en ces jours-là que tu, réta..réta..réta.. rétabliras le Royaume en faveur d’Israël ?  » Comme ils sont loin en apparence, comme ils sont loin ! Ils pensent encore au Royaume d’Israël après la passion, après la crucifixion, après la résurrection. Dans le dernier entretien qu’ils ont avec le Seigneur, ils pensent encore au Royaume d’Israël ! Toute cette période, depuis le Vendredi Saint, toute cette période jusqu’à l’Ascension, est comme en suspens.

Que signifie la crucifixion? Que signifie la résurrection ? Les apôtres ne le voient pas encore. Ils se réveillent de cet affreux cauchemar qu’a été pour eux la mort du Seigneur. Ils se réjouissent de le retrouver vivant. Et puis ils sont convaincus qu’il est de nouveau vivant, plus ils s’attachent à la réalisation de leur vieux rêve. Donc ce qui ne s’est pas passé avant, va se passer après :  » Nous allons enfin entrer dans l’époque triomphale où sera rétabli le règne en faveur d’Israël ! « 

Il faudra bien sûr le baptême de feu de la Pentecôte pour que tout ce Royaume s’intériorise et qu’ils le découvrent au fond d’eux-mêmes. Ce sera le grandissime miracle, celui qui les transformera et qui leur fera découvrir le Seigneur comme intérieur à eux-mêmes. Est-ce à dire que, ils ont tout compris ? Sont-ils en état de tout comprendre ? Si on peut se fier à la chronologie, aux dates traditionnelles, si les deux grands apôtres Pierre et Paul sont mort en 67 ou avant, ils n’ont pas vu la catastrophe qui a abouti à l’incendie du temple de Jérusalem dont ils avaient admiré la grandeur et la majesté. Dans            quelle mesure ont-ils tout compris ?

Nous les voyons, après la Pentecôte, nous les voyons fréquenter le temple, fréquenter le temple, prier à la manière juive, tout en priant, bien sûr, à la manière chrétienne dans la fraction du pain en célébrant l’Eucharistie. Mais se sont-ils rendus compte ? Saint Paul, oui sans doute, puisqu’il a été le grand adversaire de la Synagogue après avoir été le persécuteur de l’Eglise, mais les autres ? Est-ce qu’ils se sont rendus compte que la rupture était définitive, qu’Israël pour Dieu avait cessé d’exister, que le mystère de Dieu était vraiment tout à l’intérieur de l’esprit et du coeur humains ? En tous cas, ce que nous pouvons dire, c’est que, dans la vie de L’Eglise inaugurée par eux au jour de la Pentecôte, dans la vie de l’église, cette lumière n’a pas cessé de se faire jour et de produire les fruits les plus éclatants de sainteté, dans la mesure où, justement, la perle du Royaume a été cherchée au-dedans.

Bien sûr que c’est la minorité des chrétiens dans tous les âges, c’est la minorité – et une petite minorité – qui a fait cette découverte essentielle. Mais enfin, elle est au coeur de l’Evangile comme elle est au coeur de la Trinité qui est notre première origine.

La crise de L’Eglise, évidemment, elle ne se serait pas produite si la connaissance de l’homme avait été puisée dans la connaissance de Dieu, si le mystère de l’homme avait été perçu et reconnu comme aussi profond que le mystère de Dieu. Il n’y aurait pas eu de problème si chacun des prêtres ou des moines ou des religieuses, si chacun s’était trouvé en contact avec lui-même à travers le regard de Dieu.

Il y a donc une erreur sur Dieu et une erreur sur l’homme, la même, au même niveau, car dès qu’on se trompe sur Dieu, on se trompe sur l’homme et réciproquement.

Nous avons donc nous-même à ressaisir cette vérité et, justement, la crise de l’Eglise nous y invite avec une extrême urgence, car nous pouvons contribuer à la solution de cette crise en recouvrant ce dialogue silencieux avec le Seigneur, en faisant oraison sur la vie, sur la nôtre, sur celles qui nous entourent, sur tout l’univers et toute la création.

Les Apôtres, au jour de l’Ascension, tandis qu’ils regardent vers le ciel atmosphérique, vers le ciel matériel pour y retrouver le Seigneur disparu, ils sont avertis de cesser cette attente. Ils sont avertis finalement de retourner ou plutôt de découvrir le ciel intérieur à eux-même. C’est là le vrai ciel. C’est là qu’ils rencontreront leur SeignNoverim Me, Noverim Te, Que je me connaisse, que je te connaisseeur. C’est là qu’il les attend pour leur donner la plénitude de la vie, pour les révéler à eux-mêmes, pour qu’ils connaissent leur propre visage dans le miroir de la Présence unique.

Et c’est le message de l’Ascension pour nous : ne pas regarder vers le ciel atmosphérique, retourner au ciel intérieur. C’est là la grande merveille, c’est là la source de toute connaissance et de toute grandeur, c’est là la racine de toute liberté et de toute inviolabilité. C’est là que le mystère de l’Eglise s’accomplit dans le mariage d’amour avec Dieu. Il n’y a donc rien que nous ne puissions demander avec plus d’instance que la grâce du silence et du recueillement, un regard intérieur sur toute chose, un regard qui passe par le regard de Dieu, un regard qui se nourrit de sa Présence.

 » Maranatha « , disaient les premiers chrétiens,  » Seigneur, viens  » et, justement, le Seigneur vient, il vient toujours, il vient à chaque instant à travers l’univers. Il vient à chaque instant à travers notre prochain. Il vient à chaque instant à travers le mystère de nous-même.

 » Noverim me, noverim te « ,  » Que je te connaisse et que je me, que je me connaisse et que je te connaisse ». Quand on est là, au centre, même quand on n’a, on n’en a seulement le pressentiment, on a l’impression que, on a construit d’immenses systèmes pour rien, parce que, on n’a atteint ni l’homme ni Dieu.

Et voilà que le Christ nous offre, lui qui est venu pour rendre témoignage à la vérité, le Christ nous offre à la fois toute la création, toute l’humanité, toute l’histoire, toute la beauté du monde, toute la grandeur de l’homme, toute l’éternité de la tendresse humaine.

Il nous donne tout cela dans ce cœur à coeur avec lui dans lequel nous allons entrer, précisément, en implorant les uns pour les autres, la grâce du silence qui est la seule parole qui puisse nous donner la lumière.