30/06/2010 – Conférence – En Jésus, l’humanité ouvre ses volets

Carmel
de Matarieh Le Caire, Mai 1972: « La Divinité de Jésus-Christ » (Suite n°8)

 

Avec la voix de Maurice Zundel qui nous permet d’entrer plus profondément dans le texte, ponctuée de silences.

 

« Nous sommes donc des enfants de Dieu, des fils de Dieu, mais nous ne le sommes pas dans une plénitude absolue. Il y a toujours une faille. Il y a toujours un écart. Il y a toujours un hiatus dont nos rechutes nous avertissent douloureusement.

Quand Jésus dit qu’il est le Fils, non pas seulement un fils comme nous le sommes tous, il n’est pas seulement un fils de Dieu. Il est le Fils, le Fils dans un sens unique et absolu. Qu’est-ce que cela veut dire ?

Le Cardinal de Bérulle exprime cela dans un langage émouvant, ce langage qui date du commencement du 17ème siècle quand le français commence à prendre sa forme définitive. Le Cardinal de Bérulle, non pas du tout pour nous expliquer ou, du moins, pour nous proposer le mystère de l’Incarnation mais, au contraire, comme saint Paul donne une des plus hautes formules de l’Incarnation en nous exhortant à l’humilité‚ dans l’Epître aux Philippiens :  » Ayez en vous les mêmes sentiments que le Christ Jésus qui, étant dans la condition de Dieu, n’a pas retenu son égalité avec Dieu, mais a pris la condition de l’esclave, etc. » Donc saint Paul, dans une exhortation à l’humilité, nous dit, de, de la manière la plus profonde, et donc de la manière la plus profonde le mystère de l’Incarnation. (Ph. 2, 7)

De même, Bérulle, en voulant nous exhorter à l’union avec le Christ, exprime à sa manière, le mystère de l’Incarnation en disant :  » Et nous devons regarder Jésus comme notre accomplissement, car il l’est et le veut être. » Donc Jésus est notre accomplissement. Il est notre perfection : « Il l’est et le veut être ». Comme le Verbe, dit-il, le Verbe donc le Fils éternel, éternel car le Verbe ne commence pas avec l’Incarnation, comme vous le savez : le Verbe est éternel. L’humanité de Jésus commence dans le sein de Marie, mais non pas le Verbe qui est éternel. Donc Jésus est notre accomplissement. Il l’est et le veut être. « Comme le Verbe est l’accomplissement de la nature humaine qui subsiste en lui car et voilà où justement Bérulle, dans un langage nouveau puisque cela n’a jamais été exprimé en français de cette manière « car, comme cette nature  » comme la nature humaine de Jésus  » considérée en son origine est en la main du Saint-Esprit qui la tire du néant  » donc il la fait exister, cette nature humaine, il la fait exister dans le sein de Marie en la tirant du néant puisqu’elle n’existait pas car, quand cette nature humaine de Jésus « est en la main du Saint-Esprit qui la tire du néant et qui la prive de sa subsistance  » c’est-à-dire que cette nature, au lieu de se tenir dans l’existence avec une personnalité comme la nôtre, au lieu d’être refermée sur soi comme la nôtre : notre nature à nous est revêtue d’une personnalité humaine, elle est fermée sur soi, quitte d’ailleurs à dépasser ses limites. En Jésus, au contraire, la nature humaine est privée de sa subsistance, elle n’est pas fermée sur elle-même et le Saint-Esprit « la prive de sa subsistance et la donne au Verbe, n’est ce pas,  » Cette nature est donnée au Verbe, elle est enracinée dans le Verbe, elle subsiste dans le Verbe, elle se tient debout dans l’existence à travers le Verbe. Donc le Saint-Esprit  » la donne au Verbe afin que le Verbe l’investisse, la revête de lui-même et la rende sienne, se rendant à elle, se donnant à elle et l’accomplissant de sa propre et divine subsistance. Ainsi nous sommes en la main du Saint-Esprit qui nous tire du péché, nous lie à Jésus comme Esprit de Jésus, émané de Jésus, acquis par lui et envoyé par lui. »

Vous voyez cette comparaison où notre union avec Jésus sous l’action du Saint-Esprit qui nous tire du péché est comparée à l’incarnation du Verbe où  » la nature humaine tirée du néant et créée dans le sein de Marie est unie dans le Verbe, ou plutôt est unie au Verbe comme au principe de sa subsistance « . Cela est à la fois simple et profond et dit dans une langue admirable. Qu’est-ce que cela veut dire finalement ? Cela veut dire que ce qui était communiqué à l’humanité de notre Seigneur, c’est la pauvreté divine en personne, c’est la liberté divine en personne, car de quoi s’agit-il dans l’humanité de notre Seigneur ? C’est précisément qu’elle soit totalement libérée d’elle-même pour être totalement transparente à Dieu.

Nous portons Dieu en nous. Il est au fond de nos cœurs Si nous ne sommes pas Christ, ce n’est pas parce que Dieu n’est pas en nous, c’est parce que nous ne sommes pas en Dieu. Nous portons Dieu autant que l’humanité de Jésus la, le porte, c’est-à-dire que Dieu est aussi réellement présent en nous qu’en l’humanité de notre Seigneur. C’est nous qui ne sommes pas présents. Ce soleil intérieur est au fond de nos cœurs C’est nous dont les volets sont fermés et qui n’accueillons pas cette lumière.

En Jésus, l’humanité ouvre ses volets. En Jésus, la maison humaine devient une maison de verre. En Jésus, la nature humaine est totalement diaphane. En Jésus, l’humanité est totalement libérée de ses limites. En Jésus, l’humanité ne peut pas se posséder. Elle ne se termine pas à un  » je  » qui l’enferme en soi. Elle est ouverte sur un  » je  » immense, infini, qui la tire de soi et qui lui permet d’exprimer Dieu en personne.

Ce qui est communiqué à l’humanité de notre Seigneur, c’est la liberté de Dieu en personne qui vide radicalement cette humanité d’elle-même et qui en fait le sacrement transparent et inséparable de la Présence divine dans notre histoire. C’est le sommet de l’Incarnation, c’est la plénitude de l’Incarnation, dans une histoire qui est le coeur de l’histoire puisque Dieu, nécessairement, se manifeste dans l’histoire comme un évènement de l’histoire. Ici, l’évènement éclate comme le centre de l’histoire qui lui donne un sens définitif.

Mais il faut bien comprendre et reconnaître que c’est sous cette forme de libération, de libération absolue et définitive et totale et au bénéfice de toute l’humanité d’ailleurs et de tout l’univers que s’accomplit cette libération de l’humanité créée dans le sein de Marie. C’est donc une union dans la personne, une union dans la personnalité et la personnalité c’est, justement, en Dieu le dépouillement absolu, la pauvreté éternelle, la liberté subsistante.

C’est cela qui est en Dieu la personnalité et c’est cela qui est communiqué à l’humanité de notre Seigneur. Elle est prise dans la vague, dans la vague qui éternellement jette le Fils dans le sein du Père, et le pousse dans la vague comme une coquille de noix qui serait prise par tout l’océan. Alors elle ne témoigne plus d’elle-même : elle témoigne de l’océan, elle témoigne de Dieu, elle le rend présent. A travers elle, c’est la liberté divine en personne qui s’adresse à la nôtre car justement l’humanité de notre Seigneur n’a d’autre lien avec elle-même que la relation subsistante qui fait du Fils une éternelle offrande au Père.

Cette humanité de Jésus ne se possède pas comme la nôtre, hélas ! Elle est totalement donnée, radicalement offerte et entraînant et portée dans l’offrande éternelle qui éternellement jette le Fils dans le sein du Père.

C’est évidemment dans cette profondeur qu’il faudra encore explorer, c’est dans cette profondeur que nous commençons à entrer dans le Credo chrétien, dans cette affirmation du Fils de Dieu fait homme dont vous voyez que elle représente quelque chose de tout différent de ce que ces mots semblent vouloir dire en première approximation, puisqu’il s’agit d’une génération intérieure, d’une génération au coeur de relations au sein de la vie divine, dans une communauté absolue de nature, dans une consubstantialité totale, tout ce qui est dans le Père étant dans le Fils également, éternellement, au même titre et au même degré et pareillement dans le Saint-Esprit.

La seule distinction en Dieu, c’est celle qui fonde la désappropriation. C’est cela qui est formidable. Tandis que nous, nous risquons à chaque instant de devenir les propriétaires de nous-même et de revendiquer notre domaine contre les autres, en Dieu la seule propriété, c’est la désappropriation.

C’est que Dieu ne peut pas se posséder. Il est la dépossession radicale et que il ne s’atteint lui-même qu’en se communiquant. C’est au fond de cette pauvreté divine que se situe la racine de l’Incarnation. Mais c’est assez pour aujourd’hui. Si notre regard reste fixé sur ce buisson ardent qu’est pour nous la Trinité divine, c’est là le sommet, c’est là notre Sinaï : la Trinité divine qui est cachée au fond de nos cœurs comme un appel infini à notre libération. »