26-30/04/2016 – Conférence – Dieu-Amour est la clef d’un monde qui n’existe pas encore

Conférence
de Maurice Zundel le mercredi saint 14 avril 1965, à Ste Marie de la Paix, au Caire. Edité dans « Vie, Mort et résurrection » (*). Les titres sont ajoutés.

Avec la voix de Maurice Zundel qui nous permet d’entrer plus profondément dans le texte. Vous voudrez bien excuser une courte détérioration du son. Pour l’écoute, affichez immédiatement le texte complet en cliquant sur « lire la suite ».

Si nous pouvons nous convaincre de la vérité de cette affirmation, à savoir que Dieu est la clé d’un monde qui n’existe pas encore, nous aurons obtenu, je croix, une lumière décisive sur la Révélation chrétienne. Dieu est la clé d’un monde qui n’existe pas encore.

Les disciples de Moïse

Rappelons-nous ce dialogue, ce dialogue étonnant et admirable, au 9ème chapitre de saint Jean, qui nous raconte la guérison de l’aveugle-né, et le débat qui s’en est suivi entre l’aveugle guéri et les pharisiens qui veulent absolument le convaincre que celui qui l’a guéri est un pécheur.

Et lorsque, à force d’insister, ils veulent lui faire recommencer indéfiniment son récit, l’aveugle guéri, avec toute sa bonne foi, tout son bon sens, tout son humour leur dit : « Mais est-ce que par hasard vous voudriez devenir ses disciples ? »

Alors ils s’emportent, avec fureur, ils disent : mais toi, toi, sois donc son disciple ! Pour nous, nous sommes les disciples de Moïse car nous savons que Dieu a parlé à Moïse.

En effet, aucune situation ne peut être plus confortable : nous avons derrière nous Moïse. Moïse, cela s’est passé, il y a bien longtemps, il y a plus de mille ans… c’est invérifiable, c’est si loin, c’est incontestable, c’est si bien fondé en Tradition ! Qui songerait à remettre en question des titres aussi vénérables ? Nous avons Moïse, nous sommes assis dans la chaire de Moïse, mais nos privilèges et, et notre science et notre influence et notre réputation… tout cela repose sur Moïse ! Alors, comment ne serions-nous pas bien convaincus que Dieu a parlé à Moïse ?

Quant à celui-ci, à cet homme qui viole le sabbat, nous ne savons pas, nous ne savons pas d’où il est.

Les traditionalistes de l’époque sont donc, ils sont donc bien fondés à invoquer Moïse, et à opposer Moïse à cet inconnu qui est Jésus de Nazareth, à cet homme sans lettres, à cet homme qui n’a pas de diplômes, à cet homme qui n’a pas été à nos écoles, à cet homme qui n’est pas formé dans notre belle orthodoxie.

Il faut naître de nouveau

Jésus le sait. Il connaît, il connaît leurs préjugés, Il sait très bien comment tout cela va finir, et c’est pourquoi il dira, il dira à Nicodème — cette nuit fameuse où Nicodème est venu le trouver pour lui demander les secrets du Royaume — il lui dira ce mot étonnant, décisif et inépuisable :

« Il faut… il faut naître de nouveau. » « Il faut naître de nouveau, personne ne peut voir le Royaume de Dieu s’il ne naît de nouveau. »

Le monde authentique est à venir

Le monde tel qu’il est n’est pas le monde authentique ; dans ce monde tel qu’il est, Dieu ne peut pas se situer. Nous en attendons un autre, mais qui ne peut pas naître sans notre consentement.

Il s’agit donc bien d’un commencement tout neuf, il s’agit bien d’un nouvel univers en dehors duquel le vrai Dieu ne saurait point se situer. Il faut naître de nouveau, comme l’Apôtre saint Paul — en face de l’univers — nous dira, dans l’épître aux Romains : que toute la Création, le cou tendu, attend la révélation de la gloire des fils de Dieu, car elle a été soumise à la vanité, malgré elle, par l’homme qui l’y a soumise et elle attend, dans les gémissements, elle attend dans les douleurs de l’enfantement, d’être délivrée de la corruption pour participer à la gloire des fils de Dieu.

Là encore, il est parfaitement clair, parfaitement clair que, pour l’Apôtre, le monde tel qu’il est n’est pas le monde authentique, que dans ce monde tel qu’il est, Dieu ne peut pas se situer, nous en attendons un autre, mais qui, justement, ne peut pas naître sans notre consentement.

Comme la vie intérieure du foyer

Nous pouvons prendre ici une comparaison extrêmement simple : vous avez circulé bien souvent devant des magasins d’ameublement, où on vous présentait de magnifiques intérieurs. Il ne vous manquait parfois que l’argent pour l’acheter, mais de toute façon, la présentation était alléchante, admirable ; elle pouvait d’ailleurs vous suggérer certaines dispositions à adopter dans votre propre maison ; mais eussiez-vous eu l’argent, eussiez-vous pu transporter tout l’ameublement si magnifiquement exposé chez vous, vous savez très bien que cet intérieur imaginé par un ensemblier, que tout cet intérieur ne suffit pas à faire un foyer.

On peut avoir des meubles admirablement ordonnés, on peut avoir de vieilles tapisseries, de vieux Gobelins, on peut avoir chez soi un véritable musée avec des valeurs inestimables, ce n’est pas cela qui constitue la vie intérieure du foyer. On peut avoir tout cela, et vivre dans ce nœud de vipères, dont Mauriac nous a fait le portrait. Le nœud de vipères étant où chacun des habitants de ce foyer s’oppose à l’autre, où l’argent est le seul objectif, et où le vieil avocat sent que, il n’existe, aux yeux de ses enfants ou petits-enfants, il n’existe qu’en tant que, il représente une fortune, ils attendent; ils guettent sa mort, parce que, ils veulent son argent, et il les déteste, il les hait, il les méprise, il en a horreur ; il veut les déshériter, il s’y emploie de son mieux jusqu’à ce qu’enfin, devant le cadavre de sa femme, il comprenne la folie de la possession.

Il se réveille, il donne tout, il abandonne ce magot — qu’il avait défendu avec le bec et les ongles, il commence à s’ouvrir à la douleur d’autrui, il se penche sur le chagrin d’une de ses petites-filles abandonnée par son mari, il se guérit de lui-même ; enfin, il entre dans ce monde originel où la vie jaillit tout entière du don de soi.

Les meubles… les meubles ne suffisent pas !

D’autres exemples de vies

Cette femme qui, au bout de quarante ans, ne pouvait faire sa prière devant son mari. Au bout de quarante ans, elle n’osait pas montrer son âme, elle ne voulait pas contraindre son mari à se mettre en face d’un monde où il ne pouvait entrer… Au bout de quarante ans, l’échange ne s’était pas accompli ! Au bout de quarante ans, les âmes n’avaient pu enlever leur masque ! Au bout de quarante ans, elles étaient étrangères à ce qui constituait leur essence.

Je vois un autre ménage : je vois ce mari falot, insipide, qui n’a rien à dire, incapable de nourrir une conversation, qui ressasse les mêmes choses en petit bourgeois en face d’une femme qui a faim et soif… qui a besoin d’enrichir son esprit, qui a besoin de comprendre, qui a besoin d’un univers infini.

Et, finalement, elle en a par-dessus la tête, elle n’en peut plus ! Elle se lance dans une folle aventure. Il y a les meubles, bien sûr… il y la maison, il y a la sécurité… il y a l’argent, mais l’essentiel manque !

Précisément, on ne peut pas échanger son âme, on ne peut pas montrer son vrai visage ; alors elle se jette dans une folle aventure où elle risque de tout briser, de tout déshonorer, de piétiner sa foi — qui est pourtant sa seule raison de vivre.

Et voilà que son amant se tue, dans un accident de voiture ; et voilà que tout est remis en question, et enfin, enfin… ayant touché le fond, elle remonte la pente magnifiquement et, atteinte par un cancer, a plusieurs récidives, atteinte par un cancer et finalement condamnée, finalement paralysée, finalement privée de la parole, elle va se préparer à cette merveilleuse victoire sur la mort qu’elle a remportée, et, incapable de s’exprimer, elle donnera volontiers de soi à tous ceux qui viennent la voir : la lumière inoubliable de son sourire. Maintenant, oui, elle est dans un monde originel ; maintenant il n’y a plus de frontières ; maintenant il n’y a plus de lit, parce que la vie, la vie divine circule, parce que, elle est axée sur l’Amour, et qu’elle peut enfin disposer d’un univers infini pour le donner aux autres.

Et je vois ce jeune couple, ce couple où une fille, une fille de commerçant, qui avait très bien réussi ses affaires, épouse un ouvrier, un ouvrier mécanicien. Comment est-ce concevable?

C’est que, elle avait compris… elle avait compris admirablement qu’il y avait dans cet homme une source, une source jaillissante, une intelligence admirable, une générosité sans limites, un tact parfait. Et, en effet, ce fut là un des plus beaux ménages qu’il m’ait été donné de rencontrer. Parce que, s’il n’y avait pas tout ce qu’avait rêvé le père de la jeune femme, sous l’aspect des mondanités auxquelles il était accoutumé, il y avait justement l’essentiel, l’essentiel : il y avait ce monde originel où la vie jaillit, jaillit du don de soi.

Catherine de Sienne

Et cette Catherine, Catherine de Sienne : Catherine de Sienne, lorsqu’elle fait sauter tous les barrages, lorsqu’elle parvient à la prison de Nicolas Toldo qui doit être décapité dans les trois jours, lorsque enfin, devant ce jeune homme révolté, blasphémant, refusant d’accepter la mort, et les consolations de la religion qu’on lui offre, c’est Catherine qui, forçant tous les barrages, va — dans le rayonnement, virginal, de l’Amour incroyable — elle va l’amener à consentir à sa condamnation ; elle va faire tressaillir en lui l’espoir d’une rencontre avec le Dieu vivant qu’il porte en lui, et il accepte tout à condition qu’elle soit là auprès de lui et qu’elle reçoive entre ses mains sa tête lorsqu’elle tombera sous le coup de hache du bourreau.

Cette fille qui mourra à trente-trois ans, qui est toute jeune encore, quelle audace magnifique ! Elle sait qu’il y a un autre monde que ce monde des apparences traditionnelles, et elle veut, elle veut atteindre à la source : elle veut que cette mort ne soit pas stupide, elle veut qu’elle soit un triomphe, et que ce jeune homme fasse de ce dernier moment un acte de liberté créateur.

Des vies qui se donnent

Comme la religieuse en avion, dans un avion qui a capoté et qui a pris feu, cède sa place à un jeune américain qui se précipite vers l’issue, et demeure elle-même toute entière livrée aux flammes.

Comme le Père Kolbe va mourir à la place d’un autre, parce que, il se situe, justement, il se situe dans ce monde origine, dans ce monde qui est le seul authentique et dont la dimension véritable est la liberté infinie de l’Amour sans frontières.

C’est dans le monde de l’Amour que Dieu se situe

L’ordre biologique du monde est atroce puisque il est un immense carnage où les espèces s’entre-dévorent, et où la vie a toujours pour condition la mort. Mais saint Paul nous assure que ce n’est pas cela le vrai monde, qu’un autre monde va surgir, dont l’Amour est la clé.

C’est dans ce monde, dans ce monde de l’Amour, dans ce monde de la gratuité et de la grâce, c’est dans ce monde paradoxal et imprévisible que Dieu se situe et qu’Il est immédiatement reconnu.

L’ordre du monde est atroce, l’ordre biologique du monde est atroce puisque il est un immense carnage où les espèces s’entre-dévorent, et où la vie a toujours pour condition la mort.

Mais justement, saint Paul nous assure que ce n’est pas cela le vrai monde, qu’un autre monde va surgir, dont l’Amour est la clé. Comme il est victime dans celui-ci, comme il est victime partout où il y a des ténèbres, partout où il y a des souffrances, partout où il y a des trahisons, partout où il y a des refus d’amour. Il ne peut apparaître que là où la vie a une saveur d’origine. Il faut élargir donc, élargir immensément, la conception de ce que l’on appelle le péché originel : il est sans cesse, il est sans cesse perpétré et commis, sans cesse ! … C’est là que nous refusons d’être origine.

Toute faute est une faute originelle

Qu’est-ce que le péché originel sinon celui qui livre le monde à l’inertie des forces aveugles, qui le laisse à sa condition d’objet, qui n’arrive pas à découvrir à travers lui la racine de toute existence qui est l’Amour ?

Qu’est-ce que le péché originel sinon celui qui livre le monde à l’inertie des forces aveugles, qui le laisse à sa condition d’objet, qui n’arrive pas à découvrir à travers lui la racine de toute existence qui est l’Amour ?

Toute faute, toute faute, finalement, toute faute pleinement voulue, pleinement consciente, toute faute est nécessairement une faute originelle. C’est le refus de nouer le monde à sa source, qui refuse de faire circuler dans l’univers une liberté créatrice, qui refuse de donner au monde un visage où le nôtre puisse se reconnaître.

Le Dieu qui nous appelle à naître de nouveau ne peut rien… que s’offrir éternellement. Mais il ne peut pas accomplir le pas que nous avons à poser. Il ne peut pas se substituer à notre liberté ! Ce serait tuer en nous la dignité de créateur.

Et bien sûr que le Dieu, le Dieu Esprit, le Dieu Vérité, le Dieu Pauvre, le Dieu Amour, le Dieu qui nous appelle à naître de nouveau, ne peut rien que s’offrir, que s’offrir toujours à nouveau, que s’offrir sans fin, que s’offrir éternellement. Mais il ne peut pas accomplir le pas que nous avons à poser. Il ne peut pas se substituer à notre liberté ! Ce serait tuer en nous la dignité de créateur. C’est impensable et impossible !

L’humanité est en sursis

C’est pourquoi tout est en sursis, le monde est en sursis, l’humanité est en sursis. Le Royaume de Dieu est dans une attente infinie au cœur de Dieu et de tous ceux qui l’aiment.

C’est le contraire, exactement le contraire de ce qu’imaginait Marx, le contraire d’imaginer que être une créature c’est dépendre, c’est être tout entier le produit d’un autre, c’est d’être découronné de toute initiative, c’est d’être nécessairement réduit à la servitude, à l’esclavage, à la condition de chose et d’objet : C’est le contraire, dans la perspective de la nouvelle naissance, c’est le contraire !

La Création est un risque infini du côté de Dieu parce que Dieu Esprit, Dieu Vérité, ne peut être rencontré et reconnu que dans un monde dont la vraie dimension est la générosité et l’amour.

A partir du texte de l’Apôtre saint Paul qui nous montre ce monde avorté, ce monde caricatural, ce monde désespéré, ce monde qui gémit dans les douleurs de l’enfantement. C’est le contraire !… C’est Dieu qui s’expose, c’est l’Amour qui se livre à ce péril formidable qui est symbolisé par la Croix de Jésus. La Création est un risque infini du côté de Dieu parce que, justement, Dieu Esprit, Dieu Vérité, ne peut se situer, ne peut être rencontré et reconnu que dans un monde dont la vraie dimension est la générosité et l’amour. Et que, faute de ce consentement, la Création demeure en friches, la Création n’est qu’un chantier où rien n’est achevé, la Création n’est que l’attente tragique d’un monde qui n’est pas encore.

Sauver Dieu de nous-même

C’est justement par-là que tout se renverse, qu’un monde essentiellement nouveau se révèle et se constitue : il s’agit justement de sauver Dieu de nous-même.

Ce n’est pas Dieu qui est une menace, ce n’est pas Dieu qui est une limite pour nous, puisque, il ne se révèle authentiquement que comme l’Amour qui attend, qui suscite une liberté infinie, et qui ne peut s’enraciner dans l’univers et dans l’humanité qu’à travers cet Amour.

C’est pourquoi Graham Greene a su, dans ce livre admirable qui est La puissance et la gloire, en nous racontant la tragédie d’un prêtre mal embarqué, coupable au point de vue des normes canoniques, en état de péché au point de vue de la casuistique courante, et tout d’un coup révélé à lui-même par la persécution qui l’oblige à choisir : et il choisit, en effet puisque le bateau coule, puisque le troupeau est persécuté, il choisit de demeurer, sans considération de lui-même, sans retour sur ses fautes, sur sa misère, sur son indignité. Il est prêtre pour les autres ! Et dans ce désert, où il n’y a personne pour témoigner de Dieu et pour communiquer sa grâce, il va rester jusqu’au bout, jusqu’à la mort, jusqu’au martyre, parce qu’il a compris.. Il a compris qu’aimer Dieu, aimer Dieu c’est vouloir le protéger contre nous-même. Aimer Dieu, c’est vouloir le protéger contre nous-même!

Les perspectives sont transformées

Tout s’est renversé, toutes les perspectives sont radicalement transformées, parce qu’il s’agit d’un autre univers, univers qui n’est pas encore.

Vous vous rappelez, lorsque nous méditions sur le livre de Job, nous disions, justement, nous disions que Job anticipait sur l’avenir, qu’il étouffait dans le monde où sa tradition le situait, où sa tradition enfermait son Dieu en en faisant une caricature. Et Job, à son insu, aspirait vers un autre monde, c’est à dire qu’il aspirait vers un autre Dieu, un Dieu innocent, un Dieu de justice, un Dieu de vérité, un Dieu qui cessât de l’écraser, un Dieu qu’il pourrait aimer dans un OUI nuptial..

A quoi se reconnaît un homme en 1980 ? Il sera donc toujours un homme qui devra se créer lui-même, car, à n’importe quelle époque, pour l’être qui naîtra à cette époque, le monde sera pour lui très ….. et il ne pourra être un homme que s’il devient la source et l’origine d’un monde issu de LUI… et qui ne peut surgir que de son amour.

Dieu est la clé d’un monde qui n’est pas encore

Dès que ce monde se crée, dès qu’une âme s’ouvre, dès qu’un visage s’illumine,… dès que la communication s’établit par le centre, alors oui ! Dans ce surgissement d’un monde originel, la présence de Dieu se respire.

Retenez la comparaison de cet ameublement magnifique qui constitue la maison matérielle, et quel enfer peut être cette maison si tout cela, si cette organisation matérielle n’est pas vivifiée et transfigurée par l’amour. Dieu est la clé d’un monde qui n’est pas encore.

Dès qu’on veut le situer dans un monde tout fait, dans un monde préfabriqué, dans un monde d’automatismes objectifs, on est sûr d’aboutir à l’insoluble et insurmontable contradiction.

Gandhi savait que Dieu est une petite voix au cœur de notre silence. Saint Jean de la Croix savait que Dieu est une musique silencieuse : on ne le perçoit que si on est à l’écoute de l’Amour.

Ah ! Si Dieu est en danger, si c’est lui qu’il faut sauver, s’il est vraiment au cœur de notre cœur le trésor confié à notre amour, s’il est en toute conscience humaine le centre où nous pouvons nous joindre en un seul point, en une seule vie, en un seul cœur, c’est que, justement, il est ce Dieu qui déborde le tout-fait, qui déborde le préfabriqué, et qui ne se révélera que si nous devenons source et origine, que si nous apportons à la vie humaine et à l’existence cosmique ce consentement gratuit, cette adhésion émerveillée, ce don qui transfigure et qui donne aux choses mêmes, comme nous le suggérions hier, un visage de personne.

Rien n’est plus important, et rien ne résume mieux tout l’effort de nos méditations, que cette affirmation paradoxale et si profondément vraie que Dieu est la clé d’un monde qui n’existe pas encore.

Dès que ce monde se crée, dès qu’une âme s’ouvre, dès qu’un visage s’illumine, dès que nos déterminismes sont surmontés, dès que le barrage de nos amours-propres craque, dès que la communication s’établit par le centre, alors oui ! Dans ce surgissement d’un monde originel, la présence de Dieu se respire.

Un autre homme, un autre univers

Rien n’est plus certain… que cette nécessité absolue de naître de nouveau pour connaître authentiquement le monde, l’homme et Dieu.

Et de même, lorsque le savant, lorsque le savant ou l’artiste cherche un univers, un dialogue, cherche non pas seulement à associer des automatismes, mais cherche une intelligibilité, cherche une pensée, cherche un visage, cherche une Présence, et que le dialogue effectivement se noue, et que l’émerveillement s’allume dans l’action de grâces, quand toute la vie devient consécration pour comprendre, pour entrer dans ce secret d’amour et pour l’exprimer, alors c’est un autre homme un autre homme, c’est un autre univers, et c’est la manifestation du vrai Dieu.

Ah oui ! Rien, rien n’est plus certain, rien n’est mieux expérimentalement attesté, que cette nécessité absolue de naître de nouveau pour connaître authentiquement le monde, l’homme et Dieu.

Ils comprendrons donc toutes les oppositions à la croyance, nous les comprendrons, et non seulement nous les comprendrons, mais nous les approuverons, nous les partagerons dans la mesure où il s’agit d’un dieu préfabriqué, le dieu de Moïse pour les pharisiens contemporains de Jésus-Christ, un dieu derrière soi, un dieu commode et confortable, un dieu sur lequel on peut établir ses positions, ses intérêts, en se servant de lui comme de la justification de tout ce trafic humain, trop humain bien sûr !

De ce dieu-là, nous en avons, nous aussi la nausée et nous sommes les premiers à le rejeter, mais il y a l’Autre : il y a l’Autre qui va surgir dans ce monde qui n’est pas encore, il y a l’Autre qui va se révéler quand nous aurons accepté d’être des créateurs, en nous désappropriant de tout pour collaborer à la naissance du monde, par ce vide créateur qui est le secret de toute naissance.

C’est là que notre Seigneur nous engage à le chercher, lorsqu’il nous dit avec une telle profondeur et une telle touche d’humanité : « Personne, personne s’il ne naît de nouveau, personne ne peut voir le Règne de Dieu ! »

C’est vrai ! C’est là que se situe Dieu, c’est là qu’on le découvre, c’est là que son visage respire, c’est là que notre Seigneur nous engage à le chercher, lorsqu’il nous dit avec une telle profondeur et une telle touche d’humanité : « Personne, personne s’il ne naît de nouveau, personne ne peut voir le Règne de Dieu ! » (Jn. 3:3)

Et lorsque, à force d’insister, ils veulent lui faire recommencer indéfiniment son récit, l’aveugle guéri, avec toute sa bonne foi, tout son bon sens, tout son humour leur dit : « Mais est-ce que par hasard vous voudriez devenir ses disciples ? »

TRCUS (*) Livre « Vie, mort, résurrection »

 Publié par les Editions Anne Sigier – Sillery.

 Parution : septembre 2001.

 164 pages.

 ISBN : 2-89129-244-8