26-28/06/2011 – Le Saint Sacrement

Au
Caire, entre le 28 et 31 mai 1940.

 

Le sacrement de la Présence Réelle est le refuge de la contemplation, le ferment de la charité, l’ostensoir de l’humilité, le symbole de l’unité de l’Eglise, la fontaine de miséricorde et le sceau de la paix.

Le premier sentiment au contact du Saint-Sacrement est celui du recueillement et du silence. Le silence est nécessaire à tous.

Si les artistes et les savants, si médiocres dans leur vie privée, ne se livraient souvent au silence, ils n’auraient fait aucune création. Le silence laisse passer le courant qui met en contact avec l’éternelle vérité et c’est l’éclair de la vérité qui les émeut et qui nous émeut dans leurs oeuvres.

Les mystiques, eux, doivent tout au silence.

 Ils ont compris que, dans le recueillement, le Verbe de Dieu circule et nous découvre ses ineffables secrets.

On ne peut truquer le silence et les âmes qui ne le connaissent pas n’ont jamais atteint la vérité, la beauté et l’amour. Tout ce qui est grand et créateur est formé du silence.

Le bruit est symbole de barbarie, destruction, refus, fermeture, car comment y entendre les secrets silencieux du premier amour ? Le tumulte exile le Verbe.

Le silence est forme d’ouverture, de démission, de pauvreté.

S’il est impossible de rencontrer la beauté et l’amour en dehors du silence, c’est que Dieu est silence, comme il est pauvreté.

Quel privilège d’être enveloppés dans la sainte liturgie avec ce mystère du Verbe.

C’est la chose la plus bouleversante, la plus irrésistible de notre foi, la plus haute manifestation de l’amour de Dieu que la présence cachée, silencieuse, de Jésus au Saint-Sacrement.

Méditons le miracle de la Présence réelle. Tout est absence en dehors d’elle, absence et mort. Tout aurait été perdu dans l’Eglise, s’il n’y avait cette Présence.

Il ne serait jamais venu dans un esprit d’homme d’inventer pareille chose que la Présence réelle.

La Présence réelle est le refuge de la contemplation et l’une des choses dont nous souffrons le plus, ce sont les mots qui veulent exprimer Dieu. Et les erreurs contre la foi sont la conclusion logique de ces raison­nements pleins d’artificiel comme la prédestination, qui veut que Dieu ait oublié beaucoup d’hommes, les vouant au malheur éternel.

Il est impossible d’assimiler Dieu à un homme. Puisque la Présence réelle est l’éternelle attente, comment peut-il condamner des hommes, lui qui n’est qu’Amour ?

Le mystique n’ose pas dire ce qu’il pense, de peur de réduire Dieu. Et lorsqu’il est obligé de parler, il craint que l’âme qui écoute dise :  » Ce n’est que cela, Dieu ? Et c’est tout !  » Ce n’est pas tout, mais il met sur la route, il lance l’élan du départ.

Devant ces blessures que nous impose le langage depuis celui du caté­chisme jusqu’à celui de la prédication, il y a un remède merveilleux : le silence de Jésus au très Saint-Sacrement. Il vaut mieux se cacher en Dieu pour adhérer par Jésus à tout l’inconnu de Dieu.

La Présence réelle est ferment de la charité. Il ne veut pas le mal puisqu’il est le bien et la Croix de Jésus nous enseigne qu’il est la première victime du mal. Il faut détester avec lui le mal, lutter contre lui, l’arrêter, mais il faut aller profond tarir la source du mal, en acceptant d’être avec lui victime du mal.

Nous annonçons la mort du Seigneur sur l’autel. Le Christ s’immole et c’est l’Amour qui se donne, c’est la victime qui reçoit tous les coups et qui veut vaincre la haine.

Aujourd’hui, en nous tournant vers le Saint-Sacrement, ce ferment de charité, nous voulons réparer le mal en nous identifiant à l’Amour. Si nous pouvions nous identifier à Jésus, il y aurait dans le monde quelque chose de foncièrement changé, mais Dieu seul peut nous tour­ner vers lui, nous donner la haine du mal qui n’implique aucun juge­ment sur l’intérieur des hommes qui le commettent. Tarir la source du mal en étant une offrande d’amour.

La Présence réelle est reposoir d’humilité. Ici se voile aussi l’huma­nité du Christ. Il ne pouvait choisir un lieu plus humble. Il ne pouvait se donner davantage. C’est pour lui, l’Incarnation et le Lavement des pieds jusqu’à la fin des siècles et l’expression la plus émouvante est cette condition de chose en quelque sorte à laquelle il s’est livré dans le Saint-Sacrement.

A quoi bon prétendre ? Si Dieu est au dernier rang des choses, la seule grandeur est de se donner, et comment ne pas comprendre que pour agir, il faut choisir la dernière place comme au Lavement des pieds. Lorsqu’on veut châtier, notre orgueil ne fait que s’exaspérer. Nous ne pouvons discerner ce qui, en nous, est impuissant et estimable et n’acceptons pas d’être jugés par des hommes et critiqués. Le Christ nous a révélé la grandeur suprême de l’amour qui se met au dernier rang et, par son seul silence, Jésus nous guérit de l’orgueil, de ce retour sur soi-même qui nous rend opaque à la lumière divine, parce que lui seul a respecté en nous tout ce qui peut vivre éternellement.

Quand Jésus rencontre la femme adultère, ce qui la guérit, ce sont les yeux baissés de Jésus. Jésus les baisse encore au Saint-Sacrement. Il est sans reproches, sans jugements, il est tout Amour.

Les yeux baissés du Christ sauvent l’homme du désespoir parce qu’il pardonne toujours et fait jaillir de nouveau l’acte d’amour. Comment être impitoyable pour les autres devant les yeux baissés qui attendent le pêcheur, au jour et à l’heure où il voudra ?

Le Saint-Sacrement est le symbole de l’unité de l’Eglise. Si le Christ nous a donné rendez-vous dans l’Eglise, c’est parce qu’il veut notre cœur aussi vaste que le sien, pour nous rendre présents à toutes les âmes, à toutes les choses, à toute l’Eglise qui est le refuge actuel de l’humanité séparée par la haine. Il faut que l’Eglise demeure, qu’elle soit catholique, en chacune de ses nations, où existent des chapelles où le Saint-Sacrement, comme signe de ralliement universel, de catho­licité. Jamais, comme aujourd’hui, l’unité de l’Eglise n’est plus menacée intérieurement par la barrière de haine dans les âmes. Remercions Dieu de nous avoir donné le pape au-dessus des nations, sinon l’unité de l’Eglise n’aurait jamais pu exister.

On ne peut pas rester impassible devant les crimes, on ne peut pas ne pas penser à la patrie et à la France. Nous ne pouvons pas ne pas demander à Dieu de la garder, ne pas penser à la Hollande et à la Belgique envahies, sans faute de leur part. Nous ne pouvons pas ne pas être avec eux. Et pourtant, nous ne pouvons non plus oublier que nous avons la charge de la Catholicité de l’Eglise. Quelque fort que soit notre amour pour la patrie, nous ne pouvons lier le sort de Dieu au sort de notre patrie. Ce qu’il faut sauver avant tout, c’est le règne du Christ et la catholicité de son amour et ressentir avec douleur que toutes les blessures faites aux hommes sont faites au cœur de Dieu qui souffre comme une mère souffre de la douleur de ses enfants.

Il faut que nous ressentions comme une blessure personnelle chacun des coups qu’on donne à Dieu.

Si les hommes de guerre qui remplissent le monde de haine et de mort pouvaient s’arrêter pour écouter leur âme, ils se prendraient en horreur et se verraient comme une caricature de l’humanité qui fait le déshonneur de l’homme et de Dieu.

Demandons à Dieu de ne pas ajouter à l’horreur de la guerre, l’horreur de perdre la liberté de l’esprit, le sens de l’avenir de l’esprit, la foi dans le règne de Dieu, la possibilité du pardon.

Dilatons notre amour en demandant à Dieu de le rendre d’autant plus grand que le mal est plus épouvantable.

La patrie n’est sauvée que dans la mesure où elle est consacrée. Que Dieu ait le dernier mot et que le Christ remporte la seule victoire ! Qu’il y ait une cité de Dieu où règne la tranquillité de l’homme, où règne le Prince de la Paix et du Silence !

L’Eglise est la ligne verticale de l’Esprit.

M. Z. fait le rêve d’une église nommée Aghia… Saint Silence comme Aghia Sophia est Sainte Sagesse, où la liturgie sera le chant d’amour. Cette basilique du silence, chacun peut la construire en soi.

Ne parlons pas de cette guerre, pensons-y devant Dieu pour mériter le retour de la paix

Une pauvre femme disait un jour :  » Ce qui est le plus dur pour nous, les pauvres, c’est qu’on ne nous aime pas. Personne ne nous demande notre cœur, personne n’a besoin de lui, personne ne veut notre amitié  ».

Dieu est Amour, il faut l’aimer et le faire aimer en aimant.

Quand nous dormons, nous continuons à vivre, parce que Dieu, lui, ne dort pas..