25-26/01/2014 – Homélie – Unité de l’humanité et de l’Église en Jésus

Homélie
de Maurice Zundel à Lausanne en 1972. Paru dans Ta Parole comme une source p.150 (*)

 

Avec la voix de Maurice Zundel qui nous permet d’entrer plus profondément dans le texte. Pour l’écoute, affichez immédiatement le texte complet en cliquant sur « lire la suite ». La qualité de cet enregistrement est très médiocre, il est d’autant plus recommandé de suivre le texte lors de l’écoute.

 

[?…] le souci de l’œcuménisme qui est la vocation particulière de cette semaine, le souci de l’unité qui est l’œcuménisme, dérive de la structure personnelle de Jésus-Christ. C’est parce que Jésus-Christ est ce qu’il est, parce qu’il est le second Adam, parce qu’il embrasse toute l’humanité, parce qu’il est intérieur à chacun de nous, que nous avons la charge ou que nous sommes appelés en tout cas à porter la charge de l’unité [?].

 

La meilleure preuve d’ailleurs que l’œcuménisme dérive de la structure personnelle de Jésus-Christ, c’est que, en fait, Jésus-Christ est entré dans l’Histoire en forme d’Église.

 

Au soir du Vendredi Saint, tout est consommé sur le plan de l’Histoire visible ou, si l’on peut dire, de l’Histoire officielle. Tout est arrêté, l’affaire est close. Ils se sont débarrassés définitivement de cet ennemi, de ce gêneur qui repose dans son tombeau. On n’en entendra plus parler. Et pourtant Jésus va resurgir plus vivant que jamais, non pas dans une apparition sensationnelle, non pas en confondant les autorités avec sa survie, en leur montrant qu’il est bien là vivant, qu’ils ont manqué leur coup. Nullement ! Jésus va revivre, resurgir, prendre la possession de l’Histoire en forme d’Église, c’est-à-dire dans une communauté universelle, dans une communauté œcuménique, dans une communauté dont, en droit, font partie tous les hommes.

 

Ce n’est pas un « geste » que l’avènement du Christ dans l’Histoire. Il va laisser une forme de communauté qui embrasse tous les hommes. C’est dire précisément qu’il est impossible d’adhérer à Jésus-Christ sans prendre en charge toute l’humanité et tout l’univers. Et cette présence du Christ à l’Histoire en forme de communauté universelle nous est d’autant plus sensible que, elle a été exprimée par le plus juif des Juifs, qui est Saul devenu saint Paul ; le plus juif des juifs, le plus hostile, le plus opposé, le plus passionnément ennemi de la communauté de l’Église naissante. C’est lui précisément, qui sera retourné de fond en comble, qui sera entièrement transformé en membre du Christ en forme d’Église : « Je suis Jésus que tu persécutes » (Ac. 9,5).

 

Et précisément cet homme qui voulait détruire la communauté naissante comme l’image de la Synagogue, deviendra le grand apôtre des nations, l’homme le plus passionnément adonné à une mission qui concerne tous les hommes sans exception, l’homme qui s’acharnera avec un amour inépuisable à faire tomber tous les murs de séparation.

 

Et, non seulement le Christ prend possession de l’Histoire en forme de communauté universelle, mais cette communauté universelle, autrement dit l’Église, s’entretient par la fraction du pain, c’est-à-dire précisément par un geste de communion universelle.

 

Car pratiquer la fraction du pain – qui est devenu la liturgie, qui est l’Eucharistie, qui est la messe, qui est la communion – pratiquer la fraction du pain c’est vivre l’acte rédempteur, c’est l’assimiler, c’est l’actualiser. Or l’acte rédempteur, accompli par le Christ sur la Croix par le don de sa vie, concerne évidemment tous les hommes, comme il accomplit la sanctification de toute l’Histoire et de tout l’univers.

 

Dans tous les aspects, le Mystère du Christ, deviendra précisément la Présence du Christ à l’Histoire prend cette forme de structure de communauté universelle, tellement qu’il est impossible d’adhérer à Jésus-Christ sans prendre en charge toute l’humanité et tout l’univers. Nous pouvons donc en tracer une fresque extrêmement brève qui va de saint Martin au Père Kolbe.

 

Saint Martin, vous connaissez le geste, universellement connu [?] de tous les enfants. Saint Martin, catéchumène, va devenir chrétien, et il entrera précisément dans le mystère de l’Église, qui est le mystère de Jésus perpétué à travers l’Histoire, il y entrera en partageant son manteau avec un pauvre. Immédiatement, il vit cette référence à autrui, cette référence à l’humanité qui est entier dans l’adhésion à la personne et à la Présence de Jésus.

 

Bien des siècles après – saint Martin se situe au 4ème – au 17ème siècle, saint Vincent de Paul, avec une charité inépuisable, va solliciter des grands de son époque [?] qu’ils ouvrent leur porte. Il aura le génie le plus inventif pour aller au-devant de toutes les détresses. Et son œuvre ne suffit pas, au cours de sa vie terrestre, elle va lui survivre avec une surabondance magnifique dans la vie de l’Eglise, à travers toutes ses fondations.

 

Le Père Damien au 19ème siècle va devenir lépreux pour l’amour des lépreux, ne pouvant mieux leur faire sentir la fraternité de Jésus-Christ qu’en épousant et en vivant jusqu’à la mort leur propre condition.

 

A Auschwitz en 1941, le Père Kolbe donnera sa vie physique en acceptant de mourir de faim et de soif, à la place d’un père de famille qui n’est pas prêt à subir cette suprême épreuve.

 

Mais il ne faut pas oublier un exemple plus profond encore, cette sainte admirable, qui est sainte Thérèse de l’Enfant Jésus. Qui atteint jusqu’aux racines du mal humain, qui se fait victime d’amour pour faire contrepoids à tous les refus d’amour puisque, finalement, la racine du mal, c’est notre absence à l’amour, c’est le refus d’accueillir ce Dieu qui ne cesse de nous être offert et qui nous attend chacun au plus intime de nous.

 

Nous voyons donc admirablement que le mystère de l’Eglise s’accomplit dans une prise en charge de toute l’humanité, de tous les maux, de toutes les misères, de tous les types de souffrances, de toutes les attentes et de tous les espoirs.

 

Et nous sommes ici précisément pour cela, et pour rien d’autre : pour assumer avec lui en renouvelant ce soir l’acte de la Rédemption, en l’actualisant. Nous sommes ici pour cela : pour assumer tous nos frères humains, pour récapituler toute l’Histoire, pour être présents à tous ceux qui sont en attente de leur rédemption, qu’ils le sachent ou non.

 

Mais nous n’allons pas rester dans une espèce de rêve intégriste. Cette prise en charge, nous avons à l’exercer dans notre vie quotidienne. Nous avons tous quelque chose ou quelqu’un à supporter et nous sommes vraiment tous tentés de nous plaindre de notre destin, de nous plaindre des autres qui rendent notre vie plus dure, en oubliant que justement nous avons la mission de prendre en charge le mal même de ceux qui nous font du mal parce que, précisément, nous sommes chargés d’accomplir et d’accepter dans la vie d’aujourd’hui le mystère éternel de la Rédemption où l’amour fait contrepoids à tous les refus d’amour.

 

Comment donc entrer mieux dans un œcuménisme efficace, concret, pratique et quotidien qu’en essayant, en nous y reprenant tous les jours, d’assumer le mal même de ceux qui nous font du mal, sachant que nous sommes chrétiens pour cela ! Pour rendre témoignage au Fils de l’Homme et au Fils de Dieu, pour rendre témoignage au second Adam qui est le chef et la tête d’une humanité nouvelle, et comme dit l’Apôtre saint Paul dans un raccourci magnifique pour vaincre le mal par le bien (Rm. 12, 21). Nous allons retenir cet appel de l’apôtre qui retentit dans l’Epître aux Romains : « Bénissez et ne maudissez pas. Ne te laisse donc pas vaincre par le mal, mais soit vainqueur du mal par le bien ! » (Rm. 12,14 et 21)

 

(*) TRCUSLivre « Ta parole comme une source, 85 sermons inédits »

Publié par Anne Sigier, Sillery, août 2001, 442 pages

ISBN : 2-89129-082-8