25/07/2010 – Homélie – L’immortalité, nous y entrons chaque jour en nous libérant de nous-même

Homélie
de Maurice Zundel donnée à Lausanne un deux novembre (?)

L’intégralité de l’homélie vous est proposée, à l’écoute, mais à l’aide du curseur, déplacé par la souris, vous pouvez morceler celle-ci, l’interrompant et la reprenant comme bon vous semble.

Dans la parabole de Lazare et du mauvais riche, Jésus nous dit une chose qui d’abord nous surprend et qui parait tout à fait inexplicable. Il dit, imaginant un dialogue entre Abraham et le mauvais riche, le mauvais riche suppliant Abraham d’envoyer des prophètes pour avertir ses frères qui sont encore sur la terre, afin que le sort qui est le sien leur soit épargné. Abraham conclut, dans le récit, dans la parabole : « Quand même on leur enverrait les prophètes et Moïse, ils ne seraient pas convain­cus ! »

Cette parole est extrêmement frappante et nous intéresse.au premier chef, parce que nous sommes toujours tentés de nous dire au fond : comment savons-nous que l’âme est immortelle, puisque jamais les morts ne reviennent pour témoigner de leur sort ! Personne n’est jamais revenu, à notre connais­sance pour nous dire : Voilà ce que c’est que la vie après la mort.

Et précisément ce texte ou plutôt cette parole de Jésus, affirme que ce serait parfaitement inutile. Si les morts revenaient, nous ne serions pas convertis davantage parce que, justement, l’immortalité dont il s’agit n’est pas une immortalité qu’on peut prendre avec les mains. Et cela n’est pas trop difficile à comprendre et nous nous expliquons mieux, que notre Seigneur ait insisté sur ce point, puisque lui-même a été continuellement méconnu. Il était là, bien sûr, on le voyait ! Pilate le voyait, Caïphe l’a vu, les apôtres le voyaient et pourtant, personne ne l’a vu, personne n’a vu sa réalité intérieure, personne n’a vu sa dignité infinie puisque on l’a condamné, crucifié, renié, abandonné. Et que les apôtres eux-mêmes, au soir de la cène, se disputaient les premières places. Pour qu’ils voient vraiment Jésus, il a fallu la nouvelle naissance, il a fallu qu’ils changent de regard et de cœur au jour de la Pentecôte.

Donc, il était parfaitement inutile que notre Seigneur fût devant eux si ils n’avaient pas les yeux de l’esprit et du cœur pour le voir ; et de la même manière, si un être immortel revenait parmi nous, nous ne pourrions pas voir son immortalité et nous le confondrions avec un autre : il nous serait impos­sible de comprendre ce que signifie l’immortalité qui est d’abord une mission ! Car l’immortalité ne peut pas nous être donnée, plus que la liberté.

Un enfant qui naît est appelé à devenir un homme libre, il est appelé à devenir un créateur, il est appelé à faire de très grandes choses. Il est appelé à devenir un saint, à porter un jour la présence de Dieu et à en communiquer au monde entier tout le rayonnement. Mais c’est une possibilité ! Il pourra devenir hélas, aussi, un assassin ! Sa liberté, c’est un possible, c’est une chance magnifique, c’est la seule chance de notre humanité, mais c’est une chance !

Et de même que la liberté est une possibilité, l’immortalité en est une ! L’immortalité ne peut pas plus nous être donnée que la liberté ou la dignité. Ce sont en nous des exigences, des vocations, des missions, des appels, des chances magnifiques, mais que Dieu lui-même ne peut pas réaliser sans nous.

Et vous le comprendrez très facilement, si vous vous mettez devant la situation des gens de Munich en 1900, 1944. A Munich en 1944, un professeur de l’Université et trois étudiants ont été décapités à la hache. Et le soir même – ou plutôt la nuit – qui suivit cette exécution, les murs de Munich se couvrirent de l’inscription : Der Geist lebt, l’esprit vit, l’esprit vit ! Ce mot était magnifique, mais évidemment les bourreaux ne pouvaient comprendre ce mot. Ceux qui écrivaient ce mot, à la craie, sur les murs de la ville, risquaient tout simplement leur vie. Car, pour le bourreau, cette inscription c’était simplement la révolte et l’indiscipline et l’insolence qu’il fallait châtier.

Ceux qui ont compris ces mots, comme ceux qui les ont tracés, c’étaient des gens qui étaient déjà en route vers l’esprit, en route vers la dignité, en route vers l’immortalité.

Et on peut faire une contre-épreuve ! Si une mère a le malheur d’avoir un fils qui est traître, un fils qui sauve sa vie, mettons au moment d’une guerre en vendant ses camarades, en les faisant tuer pour sauver sa peau, cette mère voudrait mille fois mieux que son fils fût mort, au berceau, plutôt que de l’avoir là, vivant, mais vivant comme une brute, comme un animal, vivant tenu uniquement par sa peau. Elle sent qu’il ne devrait pas être là, puisqu’il est là uniquement parce que il a trahi, parce que il a envoyé les autres à la mort afin de sauver sa peau !

L’amour maternel le plus passionné est immédiatement conscient que la mort effroyable, c’est la mort de la dignité. Quand un être meurt à sa dignité, quand il renie sa liberté, alors il est vraiment mort au point de vue humain, et ceux qui l’aiment savent qu’il est mort, même s’il est encore dans sa peau.

Car, justement, l’immortalité c’est de créer en nous une valeur, une dignité, une liberté qui soit un trésor et qui demeure à jamais.

La nature ne peut pas nous porter tout le temps ! La nature – je veux dire les énergies physiques que nous recevons au moment de notre conception et de notre naissance – ces énergies qui sont charriées par le sang, qui. nous viennent par l’atmosphère, par la respiration, elles ne peuvent pas nous porter jusqu’au bout. Nous avons à notre tour à les porter ! Et la nature c’est comme un porte-avions.

Vous savez qu’un porte-avions possède un dispositif pour lancer l’avion ; il ne peut pas décoller sur un terrain trop étroit, sur une base trop étroite, mais une fois que l’élan est donné, c’est à l’avion de se débrouiller, de faire marcher ses moteurs et de prendre son vol. Il en est de même pour nous : la nature nous donne, une fois, cette somme d’énergie qui nous lance dans l’existence, mais, une fois ce lancement accompli, c’est à nous de faire marcher les moteurs, c’est-à­-dire de nous prendre en main et d’accomplir cette création unique et incomparable qui est celle d’une liberté qui s’est conquise elle-même et qui a fait de la vie un chef-d’œuvre de lumière et d’amour.

Nul doute donc que l’immortalité nous soit proposée, nous soit offerte, ne soit exigée de nous, c’est le cadeau le plus magnifique que l’on puisse nous faire, exactement comme la liberté, elle est comme la dignité avec laquelle d’ailleurs elle se confond.

Et si l’homme ne réalise pas, ici-bas, sa dignité, s’il ne réalise pas et n’accomplit pas jusqu’au bout sa liberté, il faudra que, au-delà, il pour­suive l’expérience, dans ce que nous appelons, si vous le voulez le purgatoire. Il faudra que il se reprenne en main, il faudra qu’il consente au don de lui-même, mais Dieu ne peut pas l’accomplir à notre place.

Il est donc parfaitement oiseux de se demander pourquoi les morts ne reviennent pas ! Sous une forme matérielle et physique ! Cela ne nous apprendrait strictement rien, cela nous induirait en erreur, ca nous dispenserait de cette mission magnifique qui est la mission humaine de se conquérir, de s’élever, de se donner, de se créer en créant un monde de lumière et d’amour.

Il est aussi absurde finalement de se demander pourquoi on croit à la valeur humaine, que de se demander pourquoi il ne faut pas assassiner un petit enfant qui dort. On ne pourra jamais prouver qu’il ne faut pas assassiner un petit enfant qui dort si on ne le sent pas, si on n’est pas ouvert au sens de la valeur et de la dignité humaine – ni on ne comprendra ce que c’est que la vie ni ce que signifie la dignité, ni le drame magni­fique de la liberté, ni l’éternel, l’éternel de l’immortalité.

Mais justement, cet éternel de l’immortalité, c’est à nous de le conquérir. C’est à nous de nous éterniser en développant toutes nos énergies dans le sens d’un don et d’une création. C’est d’ailleurs par-là que nous serons présents éternellement à l’histoire, car il est évident que un être qui s’est éternisé, comme saint François d’Assise, il ne meurt plus. Il mourra de cette mort biologique qui n’est plus rien du tout chez un être tel que lui ! Mais il vit éternellement dans sa dignité, il vit éternellement dans son amour, et il est pour nous une présence qui ne cesse de faire fermenter notre émerveillement et notre liberté.

C’est par-là enfin que nous aiderons nos bien aimés qui sont au-delà du voile. Car, justement, rien n’est jamais fini et si la vie doit être une continuelle promotion à l’immortalité, une perpétuelle victoire sur la mort, si nous avons à porter la vie après avoir été portés par elle, il n’est pas dit que – une fois la course achevée – on ait tout accompli.

Et nos bien aimés au-delà du voile, qui sont en communicaton avec nous, qui sont en nous – car, finalement, où est le ciel, sinon en nous ? Où est le ciel et qui est le ciel ? Sinon Dieu dans lequel nous vivons comme il vit en nous ! – Et tous nos bien aimés sont là, ils sont dans cette Présence divine qui nous restitue toute présence. Et nous pouvons les atteindre avec la même réalité, la même plénitude que nous atteignons Dieu.

Plus nous sommes en contact avec Dieu, plus nous sommes en contact avec eux. Et plus notre intimité s’enracine en Dieu, plus elle communie avec leur intimité. Et plus nous nous élevons, plus nous les élevons.

Et c’est cela qui est magnifique : notre amour non seulement peut durer, non seulement peut communiquer, mais notre amour peut accroître, peut accroître ! Nous pouvons aider ces âmes à monter nous pouvons leur donner un surcroît de joie immense dans notre fidélité et dans notre propre montée vers la lumière et vers l’amour.

Il est impossible d’entendre la résonance de l’Evangile, sans se convaincre chaque jour davantage que il y a dans l’Evangile, une connaissance de l’homme et une introduction à la connaissance de l’homme qui est unique, qui est incomparable, qui est merveilleuse. Au fond, nous n’apprenons les véritables dimensions de notre vie, toute sa grandeur et toute sa beauté, qu’à travers le rayonnement de la présence de Jésus-Christ.

Et ce que nous venons de méditer nous montre bien qu’il en est ainsi, puisque l’immortalité resplendit aux yeux de notre esprit comme une tâche à accomplir, comme une mission à réaliser comme un trésor, un bien commun à devenir, comme un don de soi à réaliser toujours mieux, afin que le monde entier trouve en nous une réponse à son angoisse et que, en nous élevant, nous l’élevions avec lui, avec nous-mêmes puisque toute âme qui s’élève élève le monde. ( Elisabeth Lesueur ) »