23/10/08 La personne doit être le but de l’espèce. L’amour ne peut être une découverte toujours nouvelle que s’il est une croissance permanente de chaque époux par l’autre dans une conquête toujours plus généreuse de la personne.

Personne ne peut être dispensé de se libérer de l’espèce . Il faut que le célibat des prêtres soit intégré dans une vie ascétique profondément mystique.

Suite 3 et fin de la 9ème conférence donnée au mont des Cats en décembre 1971. Zundel envisage l’éventualité de l’ordination de gens mariés qui auront vécu leur mariage comme les parents de sainte Thérèse.

« Il y a donc une légitimation profonde de la chasteté consacrée dans une perspective de libération ! Si l’on admet que c’est le sens de la vie, si l’on admet que l’homme doit se créer, qu’il a à se faire, qu’il doit être l’origine de lui-même, qu’il ne doit pas se subir, comment pourrait-on admettre qu’il subisse l’espèce ? C’est la plus grande des défaites ! Si je subis l’espèce, je renonce à être moi-même, je m’immerge dans cette espèce d’indéfini au lieu que la personne doit être la fin, la fin de l’espèce, le but de l’espèce ! ce qu’il faut, c’est justement aboutir à cet Himalaya qui est la per­sonne et non pas de répéter indéfiniment le même modèle ou de manière stéréotypée, de multiplier des individus par milliards sans qu’ils aient aucune espèce de signification.
Donc la chasteté est une forme de liberté.

C’est un des aspects essentiels de notre libération. Elle ne s’oppose pas à un mariage de sainteté. Le mariage est un sacrement, mais il ne peut s’accomplir qu’en tenant compte de ses exigences au maximum puisqu’il y a là deux êtres qui ont à s’affron­ter le long de toute une vie et qui doivent se combler l’un l’autre toute une vie, comment le pourraient-ils si chaque jour ils n’avaient une dimension nouvelle à découvrir l’un dans l’autre ? Immédiatement, ils se lasseront.
« Dire que tu es vieille et que je dois coucher avec toi ! » disait un mari à sa femme. Tu me dégoûtes enfin !  » Mais comment pouvait-il dire ces paroles sans faire l’aveu qu’il n’avait jamais rencontré sa femme ? Il ne l’avait jamais vue ! Il s’en était pris à des apparences et il avait suivi la ligne tracée par l’espèce, et puis les charmes s’étaient évanouis et il ne restait plus qu’une contrainte répugnante. Il est évident que l’amour ne peut garder sa liberté que s’il est une libération. Et il ne peut être une découverte toujours nouvelle que s’il est une croissance permanente de l’un par l’autre dans une conquête toujours plus généreuse de la personne.
Le mariage ne peut être qu’un mariage de sainteté comme d’ailleurs le célibat consacré ne peut être qu’un célibat de sainteté. Il ne s’agit donc pas d’opposer l’un à l’autre mais de montrer que ce sont deux voies qui comportent les mêmes difficultés, qui comportent les mêmes exigences, parce que personne ne peut être dispensé de se créer lui-même. Personne ne peut être dispensé de se libérer de l’espèce. C’est une immense illusion de croire que les gens mariés ont des permissions spéciales ! ce serait une fatalité. Ce serait leur refuser leur humanité ! Bien entendu tout cela est totalement inconnu parce que le problème sexuel est toujours en porte à faux.
Donc on peut concevoir que le célibat demeure un engagement, comme le synode vient d’ailleurs de le confirmer, mais il faudrait tout de même étudier les conditions de ce célibat (les conditions qui le rendent viable) et il est certain qu’il ne suffit pas de le prescrire pour qu’il devienne vivable, il faut qu’il soit entouré de conditions qui lui donnent un sens. Si le prêtre vit comme un grand bourgeois, s’il fait bonne chair, s’il n’a pas le sens de la pauvreté, s’il n’a pas le sens de l’ascétisme et de la pénitence, ce célibat réduit à une simple défense risque de s’amenuiser et finalement de perdre sa signification.
Il faut donc que ce célibat soit intégré dans une vie profondément mystique, dans une vie ascétique, dans une vie qui ne redoute pas la pénitence, dans une vie de profonde oraison, enfin dans une vie passionnément unie à Dieu. Et il faudrait – et c’est ici que votre vocation peut obtenir une de ses voies les plus fécondes de réalisation – il faudrait que le célibat du prêtre s’adosse à la vie monastique.
Les prêtres sont souvent des êtres solitaires. Sans doute ils ont des contacts entre eux, mais très matériels. Ils peuvent vivre en communauté mais très superficiellement. Ils auraient besoin de se ressourcer dans des monastères fervents, ils auraient besoin d’y être admis, d’y être agrégés, d’y venir comme chez eux, de participer à toute la vie monas­tique pour que, justement, ils saisissent les racines mystiques de leur consécration, qu’ils comprennent l’immense importance, – aujourd’hui plus que jamais où la démographie est galopante … …
En tous cas, il est certain que le témoignage de la chasteté est un témoi­gnage admirable si il s’agit de réaliser une société de personnes, si l’humanité n’est pas une masse animale qui se reproduit aveuglément, si l’humanité a son centre dans la personne, si chacun est le coeur de l’humanité et le centre, si chacun porte en lui tous les autres et est capable et est appelé à donner à tous les autres, comme un ferment de libération, le fruit de sa générosité.
Je ne pense pas d’ailleurs que le mariage soit de soi encore une fois un obstacle. Il s’agit d’un problème limité à ceci : est-ce que les gens qui sont prêtres aujourd’hui sont appelés à se marier ? Non. Autre chose est de savoir si demain on ordonnera prêtre des hommes mariés. L’expérience de l’Orient prouve qu’il est possible, en vivant un mariage de sainteté, de vivre aussi un sacerdoce de sainteté.
Un exemple magnifique, c’est l’histoire du Père de Gheorghim tel que ce grand romancier roumain l’a écrite dans « De la vingt-cinquième heure à l’heure éternelle », où la vie de son père qui est un prêtre roumain vraiment absolument évangélique montre qu’il y a une compatibilité entre un mariage de sainteté et un sacerdoce d’ailleurs de campagne qui a, qui ait, été essentiellement un témoignage, d’ailleurs brûlant, magnifique et bouleversant.
Alors qu’on ne dise pas qu’il y a une antinomie entre un mariage de sainteté et le sacerdoce. On y arrivera, je pense, lorsque le recrute­ment ne pourra pas se faire, ne pourra plus se faire à travers des adolescents, lorsqu’on n’or­donnera que des gens responsables et qui aient des compétences humaines éprouvées et qui seront d’ailleurs désignés par ceux au milieu desquels ils devront exercer leur apostolat.
Je pense qu’on arrivera à ordonner des gens mariés qui auront vécu leur mariage de cette manière dans la chasteté, comme les parents de sainte Thérèse de l’Enfant Jésus. On y arrivera sans qu’il y ait la moindre diminution dans l’idéal de chasteté qui devra toujours se maintenir dans l’Eglise de Dieu pour affirmer précisément cette nouvelle humanité qui commence par le couple virginal, Jésus et Marie. S’il y a un couple virginal, unique, incomparable, c’est qu’en effet l’humanité née de Jésus Christ, cette humanité nouvelle, cette humanité personnelle, c’est une humanité qui est appelée à se créer, à se libérer, à laisser transpa­raître dans toutes ses fibres le visage de l’Esprit.
Nous pouvons donc entrer à fond dans notre célibat consacré avec la certitude que nous accomplissons une oeuvre universellement humaine et que, si nous le vivons en esprit et en vérité, nous pouvons féconder tous les foyers – féconder de la vie de l’Esprit – nous pouvons purifier tous les amours, nous pouvons aller à la rencontre de tous les petits enfants, parce qu’à l’intérieur de cette oblation, nous sanctifions les sources mêmes de la vie et nous affirmons que l’homme n’est pas tout entier contenu dans l’espèce, que c’est l’espèce au contraire qui est contenue dans la personne et que, lorsque naît une personne authentique, elle n’a pas besoin de postérité, elle est à elle-même sa propre posté­rité parce qu’elle dure éternellement. » (fin de la 9ème conférence)