22-23/08/2015 – Homélie – L’Eglise, Corps Mystique du Christ

Homélie
de Maurice Zundel à Lausanne en janvier 1955, pour le dimanche de l’Unité. Publié dans « Ton Visage ma lumière » (*). Les titres sont ajoutés.

Avec la voix de Maurice Zundel qui nous permet d’entrer plus profondément dans le texte. Pour l’écoute, affichez immédiatement le texte complet en cliquant sur « lire la suite ».

http://www.mauricezundel.com/medias/fic_audio/MZ-55-homelie-Lausanne-l_Eglise_corps_mystique_du_Christ

Un corps mystique

Saint Paul nous enseigne, et nous venons de l’entendre rappeler il y a un instant, que « l’Eglise est le Corps du Christ » (1 Co. 12:27) – (Ep. 5:23)

L’Eglise est un corps, et c’est précisément sous cet aspect que l’Eglise prête à confusion et devient souvent pour des hommes sincères une pierre d’achoppement.

C’est pourquoi il faut se hâter d’ajouter que si l’Eglise est un corps, c’est un corps mystique, c’est à dire que l’on ne peut pas connaître l’Eglise, ni la reconnaître, sans une vie mystique, sans une vie d’union avec Dieu, sans s’enraciner dans l’intimité de Jésus-Christ. C’est ce jour de l’intimité de Jésus-Christ que l’Eglise veut nous communiquer, dans lequel elle veut nous introduire ; et c’est dans ce même jour de l’intimité de Jésus-Christ que nous connaissons l’Eglise comme le sacrement immense, éternel, qui nous conduit à lui.

Si nous ne passons pas par la nouvelle naissance, les mots du Credo nous resteront éternellement incompréhensibles : on ne les connaît que du dedans.

Le Credo que nous récitons, le Credo, ce n’est pas une liste de propositions auxquelles il faudrait souscrire, mais c’est le programme ou plutôt le sacrement d’une expérience qu’il nous faut devenir ; car si nous ne naissons pas de nouveau, comme dit Jésus à Nicodème, si nous ne passons pas par la nouvelle naissance, ces mots du Credo nous resteront éternellement incompréhensibles. On ne les connaît que du dedans, on ne les connaît que par la Foi qui est en nous le regard même de Dieu, on ne les connaît que par l’Amour.

L’Eglise, Il faut la vivre

L’Eglise n’est pas un parti. Il est facile de connaître le programme d’un parti : il suffit de lire l’affiche qui le promulgue. L’Eglise est plutôt comme une partition musicale. Une partition musicale, on la remet entre nos mains, nous pouvons n’y rien comprendre à la lecture, si nous ne sommes pas musiciens ; et celui qui est musicien, encore faut-il qu’il la sonorise au-dedans de lui-même, qu’il devienne musique, et s’il l’exécute, il y a dix mille manières de l’exécuter. Et un musicien pourra toujours faire des progrès dans sa lecture et entrer plus profondément dans le secret de la musique.

Ainsi de l’Eglise. On ne pourra jamais dire qu’on en a jamais terminé la connaissance et la lecture. Il faut la vivre. Il faut se cacher dans l’intimité de Jésus-Christ. Il faut aimer notre Seigneur et le laisser vivre en nous ; et à mesure que l’on vit du Christ, que l’on vit plus profondément de l’intimité du Seigneur, à mesure aussi, l’Eglise prend un sens nouveau.

Les apôtres avaient entendu les mots, et ils avaient pris ces mots pour des mots, alors que ces mots étaient la vie, étaient la Présence, étaient l’éternelle Parole, étaient Dieu même.

Et cela, l’Evangile lui-même nous le donne à comprendre. Voyez le Lavement des pieds. Qu’est-ce que cela signifie ? Les apôtres avaient entendu Jésus, ils l’avaient suivi, ils avaient bu et mangé avec lui, et pourtant ils ne le connaissaient pas. Ils avaient entendu les mots, et ils avaient pris ces mots pour des mots, alors que ces mots étaient la vie, étaient la Présence, étaient l’éternelle Parole, étaient Dieu même. Et c’est pourquoi ces mots ne les éclairaient pas.

Ces mots, au contraire, créaient dans leur esprit de fausses perspectives : ils les tournaient dans leur sens, ils y attachaient des espérances égoïstes et intéressées, et c’est pourquoi notre Seigneur est à genoux au Lavement des pieds. Il est à genoux, pour éveiller leur cœur, pour ouvrir leur esprit, pour leur faire comprendre toute la distance qu’il y a entre ce qu’ils comprennent et ce qu’il faudrait comprendre, pour qu’ils passent par la nouvelle naissance, pour qu’ils découvrent dans leur cœur ce trésor caché en eux et qui est confié à leur amour.

Et il faudra la mort de Jésus. Il faudra, comme dit le Seigneur lui-même, que le grain de blé soit jeté en terre, il faudra la mort de Jésus. (Jn. 12:24). Il faudra la Résurrection. Il faudra la Pentecôte. Il faudra le feu du Saint-Esprit. Il faudra cette nouvelle naissance de l’eau et de l’Esprit pour que leur cœur, que leur intelligence s’ouvre, pour qu’ils comprennent, pour qu’ils entrent jusqu’au fond de leur promesse en s’enracinant dans l’intimité de Jésus.

Ne pas être un obstacle au Mystère de Jésus

C’est pourquoi il faut une telle prudence quand on parle de l’Eglise. C’est pourquoi nous risquons tous de faire écran, d’être un obstacle au Mystère de Jésus en durcissant l’Eglise comme un corps et en oubliant que, pour l’atteindre, il faut une vie mystique.

On ne saurait être catholique sans se transformer tous les jours, sans dépasser les mots, les formules, sans voir dans les mots ce qu’ils sont réellement : un sacrement.

On s’imagine trop souvent que le catholique est celui qui avale tout crus des mots tout faits, qui les récite sans les comprendre, alors qu’au contraire, on ne saurait être catholique sans se transformer tous les jours, sans dépasser tous les jours les mots, les formules, sans voir dans les mots ce qu’ils sont réellement : un sacrement, c’est à dire le signe qui nous communique l’intimité même de Jésus-Christ.

Rien n’est plus difficile que d’être chrétien, justement, parce qu’un chrétien doit toujours dépasser le signe, doit toujours aller plus loin que les mots, pour tomber, pour se perdre dans l’unique Parole qui est une vie, qui est une Présence, qui est un visage, qui est l’éternel Amour.

Même les âmes les plus saintes risquent de se tromper

Saint Jean de la Croix nous avertit. Il montre que les âmes les plus parfaites, les plus parfaites, celles qui traversent les nuits mystiques dans lesquelles sont en train de se purifier, qu’elles sont dans une espèce de purgatoire ; elles s’imaginent que Dieu les poursuit, que Dieu est leur ennemi, que Dieu veut absolument les crucifier, qu’il se plaît à les faire souffrir, et elles ont l’impression qu’elles-mêmes se dérobent à Dieu, qu’elles sont ennemies de Dieu.

Et comment, comment cela est-il possible, se demande saint Jean de la Croix, puisque bientôt ces âmes, en sortant du tunnel, découvriront Dieu comme la joie, la joie immense, la joie parfaite, la joie infinie. Comment est-il possible qu’elles voient Dieu sous ce jour, comme un ennemi, comme une souffrance, comme une torture ?

Mais, s’est dit saint Jean de la Croix, c’est uniquement le fait de leur imperfection. Dieu est toujours ce qu’il est. Il est toujours l’Amour, il est toujours la joie, il est toujours le don, il est toujours la générosité infinie. C’est nous qui ne le sommes pas. C’est nous qui sommes absents, tandis qu’il est toujours Présent. C’est nous qui lui donnons notre propre visage et qui en faisons une idole.

Si donc les âmes les plus saintes risquent de se tromper, si elles se trompent en quelque sorte inévitablement à une certaine étape de leur ascension, à combien plus forte raison nous autres sommes-nous exposés à nous tromper et à faire de Dieu une caricature et une idole ?

Il n’y a qu’un seul témoignage possible, c’est celui de la vie.

C’est pourquoi, finalement, il n’y a qu’un seul témoignage possible, c’est celui de la vie. Rien ne pourra jamais convaincre ceux qui nous entourent de la présence de l’Eglise, de la Présence de Jésus, sinon que tout est changé, tout est transfiguré, tout est transformé, parce que Jésus est là en nous, avec nous, au-dedans de nous.

Porter vraiment l’Evangile

Si la Présence de Jésus ne change rien, alors c’est que tout cela n’est qu’un mensonge et une illusion. Le Père Damien, qui était un flamand, un paysan flamand, qui n’avait jamais quitté sa province avant d’aller aux Iles Hawaï, où il devait devenir le grand apôtre des lépreux, était un esprit étroit et fermé, et il ne serait pas digne d’être nommé, si il n’était devenu lépreux des pieds à la tête par amour pour ses fils spirituels. C’est sa lèpre qui était son catéchisme. C’est que il n’a pas voulu sauver sa peau. C’est qu’il a donné sa vie afin de communiquer la vie divine. A ce moment-là, tous les cadres de sa pensée éclataient dans le feu de l’Amour, et on savait que il portait vraiment l’Evangile, la Bonne Nouvelle de la lumière et de la paix.

Un grand dominicain qui prêchait à Londres dans un parc, à Hyde Park, rencontrait chaque dimanche un libre penseur qui venait tout exprès pour le chahuter, pour l’empêcher de parler, en s’efforçant de couvrir sa voix pour qu’il ne pût atteindre son auditoire. Et le Père Mac Nabb, qui était un homme de génie, qui était plein d’humour, et qui était aussi plein d’amour, le Père Mac Nabb savait très bien que il n’en viendrait pas à bout par des moyens humains ; et pour le désarmer, il retrouva le geste de Jésus : il alla se mettre à genoux devant cet homme qui faisait une obstruction systématique, et il lui baisa les pieds. C’était le geste même de l’Evangile, et ce geste était tellement inattendu, et il était tellement sincère, tellement authentique, que l’homme fut réduit au silence et on ne le revit plus.

C’est là un symbole : c’est bien le signe que le témoignage que nous avons à rendre, c’est celui de la vie. Si nous portons le Christ vraiment, cela se verra ; si nous vivons de Dieu, on le sentira ; si nous portons celui qui est la joie, cette joie se répandra ; si nous vivons dans la flamme de cette bonté, cette bonté se communiquera. Il y aura quelque chose de changé : la vie sera plus belle et c’est là le message de l’unité.

Ah ! Ne parlons pas de l’Eglise…, vivons l’Eglise…, en portant en nous… la Présence même de Jésus.

Ah ! Ne parlons pas de l’Eglise, ne défendons pas l’Eglise, vivons l’Eglise comme un mystère de foi en nous enracinant toujours plus profond dans l’intimité de Jésus-Christ, en portant en nous cette Présence, ce visage, ce cœur, cette tendresse infinie, et si la vie est plus belle, il n’y aura pas besoin de nommer Dieu, de parler de l’Eglise, on la verra, on la reconnaîtra, on l’aimera parce qu’elle sera devenue à travers nous ce qu’elle est vraiment : la Présence même de Jésus, la Présence de l’éternel Amour, de l’éternelle joie, la Présence de celui qui est au plus profond de nous-même la vie de notre vie.

couverture (*) Livre « Ton visage, ma lumière, 90 sermons inédits »

 Publié par les éditions Mame, Paris, 2011. 510 pages

 ISBN : 978-2-7289-1506-4

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