22/07/2010 – Homélie – Dogme, connaissance et présence

Homélie
de Mauirce Zundel à Lausanne, en 1955. (inachevé)

L’intégralité de l’enregistrement de l’homélie vous est proposée, à l’écoute, mais à l’aide du curseur, déplacé par la souris, vous pouvez morceler celle-ci, l’interrompant et la reprenant comme bon vous semble.

Dans une analyse cruelle du regard humain, Sartre nous représente, déployant chacun le monde à partir de nous-même. Nous ouvrons les yeux, nous regardons : il y a nous, et puis le monde. Nous sommes au centre de ce monde que nous déployons à partir de nous-même. Et dans ce monde, les autres sont des objets. Ce sont les autres, ce sont des objets, comme l’arbre, comme la maison, justement parce que le monde se déploie à partir de nous-même.

Et il en est bien ainsi la plupart du temps : nous regardons les autres comme des objets, nous oublions qu’ils ont comme nous une intimité, qu’ils portent comme nous un secret, qu’ils vivent comme nous, tout un drame où leur liberté cherche péniblement son issue.

 » Ces bicots, me disait un prêtre français éminent, ces bicots – c’est-à-­dire ces africains du nord – ils sont juste bons pour être domestiqués.  » Ce mot affreux montre bien l’inconscience effroyable où nous pouvons atteindre. Ces bicots, comme des chevaux de trait qu’on utilise et on oublie que ce sont des hommes, on oublie qu’ils ont une dignité, on ou­blie qu’un jour la révolte grondera parce que on a méconnu cette dignité.

Il y a cependant des moments privilégiés où les autres cessent d’être des objets : c’est un enfant pour ses parents, c’est une fiancée pour son fiancé. Tout d’un coup, cet être n’est plus extérieur à soi, il entre dans le monde intérieur qui nous constitue, il prend un visage indispen­sable, il habite notre cœur, il devient la respiration de notre vie, il est quelqu’un, il est un foyer, il est un centre, il est une source, il est un sujet.

Et il est clair que, lorsque dans l’amitié ou dans l’amour, l’homme entre en contact avec un autre intérieur à lui-même, la connaissance qu’il en a, elle n’est plus une connaissance extérieure, celle que nous prenons des choses, c’est une connaissance qui a son foyer au-dedans.

Deux fiancés se joignent, comme un enfant et sa mère se joignent dans le jour de leur intimité. Il y a quelque chose d’absolument inexprimable qui fait que une âme s’échange avec une autre, que le mystère de l’un devient le mystère de l’autre et que dans le regard, déjà, passe toute une merveilleuse connivence : on se devine, on se comprend sans parler, justement parce que on est devenu intérieur l’un à l’autre.

Cette connaissance privilégiée, cette connaissance qui va d’une âme à l’autre, cette connaissance de l’amitié et de l’amour, cette connaissance du sujet par le sujet, cette connaissance au-delà de tout langage, cette connaissance ineffable, cette connaissance qui est tout en lumière et en joie et en beauté, cette connaissance, évidemment, c’est la seule que nous puissions avoir de Dieu.

Dieu n’est pas un objet posé devant nous. Il est un sujet. Dieu est une intimité, l’intimité même de l’éternel Amour. Il est donc absolu­ment impossible de connaître Dieu du dehors. On ne le connaît que sur le mode de la confidence. On ne le connaît que par l’identification avec lui-même. On ne le connaît qu’en s’échangeant avec lui. Et c’est là, justement, le secret de la foi.

Nous imaginons facilement – et on me le rappelait cette semaine – nous imaginons facilement que l’Eglise nous présente un ensemble de choses à croire qui sont inscrites dans le Credo du N° 1 au N° 12 et, lorsque nous avons enregistré ces propositions, lorsque nous déclarons que nous les admettons, alors tout est fait, tout est bien. Rien n’est plus erroné. Il n’y a pas dans l’Eglise de choses à croire, il y a une Présence, il y a une Personne, il y a une vie, il y a une intimité qui est Dieu même dans laquelle il s’agit d’entrer. Et c’est dans la mesure où nous commu­nions avec cette intimité divine que le dogme qui n’est qu’une confidence sacramentelle où l’intimité de Dieu s’adresse à la nôtre, c’est dans cette mesure que le dogme déploie en nous toute sa lumière qui est le jour même de l’intimité divine.

La Révélation, ce n’est pas un téléphone céleste où Dieu nous donne des renseignements sur l’origine du monde ou sur sa fin ! La Révélation, c’est toujours de la part de Dieu une confidence de soi à travers l’His­toire, à travers l’humanité, à travers notre esprit comme à travers notre corps. Il est donc absolument impossible d’entendre la Révélation, impossible de vivre la foi si nous ne sommes pas enracinés dans l’intimité de Dieu.

Il y a, me disait quelqu’un, mais des choses précises à croire, comme la résurrection de la chair ! Non, ce n’est pas du tout cela, la résurrec­tion de la chair : c’est une confidence que Dieu fait de lui-même à tra­vers notre corps, c’est le rayonnement de son intimité à travers notre chair, c’est notre corps vu dans son regard, connu à travers son Amour, comme un petit enfant peut se connaître lui-même…