21-27/05/2011 – Conférence – Marie, sacrement de la maternité divine

A
Ghazir, lors de la deuxième retraite aux Franciscaines de Lons-le-Saulnier entre le 3 et le 10 août 1959.

 

Avec la voix de Maurice Zundel qui nous permet d’entrer plus profondément dans le texte:

 

      Une femme dont le mari était mort et qui l’avait préparé à cette mort en s’associant à toute son évolution spirituelle, en le préparant en particulier à sa dernière Communion et à l’Extrême-Onction, et en apaisant son agonie par tout le rayonnement de son amour, me disait que, une des dernières de ses paroles, une des dernières paroles de son mari avait été celle-ci : comme elle lui demandait pardon des quelques nuages qui avaient pu assombrir à certains moments leur union, leur union conjugale, il lui avait dit, avec un sourire où passait toute la lumière de sa personne :  » Tu es ma première née.,  »  » Tu es ma première née. « 

      Et ce mot, qui situait, justement, cette femme dans la trinité humaine et qui faisait d’elle comme le fils du père tandis que, tous les deux, comme père et mère, étaient orientés vers leurs enfants, ce mot était pour elle un véritable trésor. C’était l’expression la plus tendre et la plus pure et la plus belle de cet amour.  » Tu es ma première-née !  » La femme est le fils de l’homme, comme le Verbe est le Fils du Père et l’enfant est le Saint-Esprit, je veux dire qu’il procède de l’un et de l’autre, comme l’Esprit saint dans la Trinité divine.

      Ce mot admirable :  » Tu es ma première-née ! « , c’est celui-là même qui situe la très Sainte Vierge dans sa relation éternelle avec Jésus. Marie est la Première-née de Jésus.

        Il y a, en effet, aux sources de la Rédemption, il y a un couple. Et il le fallait, puisque le péché est entré dans le monde, le péché est entré dans le monde par un couple, c’est par un couple que le refus d’amour a été accompli, c’est par ce refus que la Création est restée dans les langes, qu’elle a été livrée à la passivité des forces obscures. Et c’est par un couple qu’elle doit être reprise, refaite et accomplie. D’ailleurs, l’homme dans sa plénitude, c’est l’homme et la femme, comme la Genèse l’indique magnifiquement : l’homme cherchait son vis-à-vis, il cherchait son vis-à-vis. Et ayant vu tous les animaux défiler devant lui, dans cette grandiose vision d’un très grand poète, ayant vu tous les animaux défiler devant lui et leur ayant donné leur nom, il n’en trouva aucun de semblable à lui, et il aspira à trouver son vis-à-vis. Parce que  » Je est un Autre « , il est donc tout naturel de,. que, dans cette humanité où la vie procède continuellement du couple, ce soit par un couple que nous ayons été, que nous ayons été rachetés. Et, certainement un immense appauvrissement de concevoir le Christianisme sans donner à la femme la place qui lui revient.

      N’oublions pas, en effet, que si Jésus est la plénitude de l’Humanité, si Jésus est le chef de l’Humanité ; s’il en est la tête, si la source du salut est en lui, il ne pouvait cependant pas révéler dans sa vie qui était une vie virile, une vie d’homme, il ne pouvait pas révéler toutes les nuances d’une vie féminine. Il fallait que la Femme fût révélée par une femme et que la vie humaine fût restaurée par un couple.

      Mais ce couple, évidemment, ne pouvait pas être un couple d’époux, parce que, il n’avait pas à engendrer la vie humaine, il n’avait pas à la multiplier comme cela s’accomplit dans le mariage, parce que ce couple unique ne pouvait pas être  » un moment « ,  » un moment « , de la vie humaine, un moment partagé où la vie est recueillie, transmise, et le couple meurt parce qu’un autre couple a surgi qui transmettra de nouveau la vie qui, ayant accompli sa mission, mourra pour laisser la place à un nouveau couple, et ainsi de suite jusqu’à la fin !

      Mais non ! Ce couple rédempteur est un couple qui demeure. C’est un couple qui doit recueillir toute la vie du commencement à la fin et qui n’est pas dans la série, mais qui est hors de la série pour la contenir, pour la recueillir, pour lui donner son unité et son parfait accomplissement.

     C’est pourquoi ce couple sera constitué par la filiation et la maternité. Et, puisque Jésus est la source, il faudra d’abord que Marie soit la Fille de Jésus, sa Première-née.

     C’est l’intuition magnifique de Dante, bien avant la définition de l’Immaculée Conception, cette intuition qui est un des plus beaux morceaux de la Divine Comédie :  » Virgine Madre figlia del Tuo Figlio »

« Vierge mère, fille de ton Fils

Humble et haute plus qu’aucune créature,

Terme fixé dans l’Éternel Conseil,

Tu es celle qui ennoblit tellement l’humaine nature

Que son Créateur ne dédaignât point de se faire sa créature ! «  

      Elle est donc, d’abord, la Fille de son Fils. Il faut d’abord qu’elle naisse de lui, selon la grâce, et c’est là tout le sens de l’Immaculée Conception. Marie est d’abord la Fille de Jésus, elle est sa Première-née et, si l’on peut résumer toute l’histoire du cheminement du dogme de l’Immaculée Conception dans l’Église, c’est bien à ce mot qu’il faut recourir : Marie est la Première-née de Jésus.

      Ce travail a été magnifiquement fait par le Père del Prado. Il a montré que toutes les hésitations des docteurs devant le courant de la dévotion populaire ; car la dévotion populaire généralement prend des chemins courts, elle ne distingue pas, elle oublie les nuances, elle suit son sentiment et elle acclame en Marie bien plus une mère, une mère dont elle a besoin, que la Mère, la Mère du genre humain, la Mère du Christ et la Fille de Jésus.

      On voit bien aujourd’hui, où la dévotion mariale est si souvent détachée de l’amour du Christ, si souvent détachée du dogme central de la Trinité, parce que tous ces dogmes sont devenus abstraits, se sont dépersonnalisés, il ne reste plus souvent dans la foule qu’une tendresse humaine, d’ailleurs très émouvante, pour Marie, parce qu’au moins ce qu’on comprend en elle c’est qu’elle est une Femme et une Mère, la Trinité paraît comme, apparaît comme un rébus indéchiffrable qui ne parle plus au cœur, qui ne signifie plus rien parce que, on l’a vidée de sa substance et qu’on n’y voit plus le feu de l’éternel Amour.

      Mais justement, les docteurs et l’Église enseignante a freiné ce courant de dévotion populaire, parce que on ne voyait pas comment l’Immaculée Conception laisserait subsister en Marie la Rédemption par Jésus. Car, si elle n’avait pas commis de faute personnelle, comme tout le monde le pensait, il fallait bien qu’elle eût part à la Rédemption par une certaine participation au péché originel. Sinon, exempte de tout péché et même de la faute originelle, elle échappait complètement à l’ordre de la Rédemption.

      Et c’est pourquoi saint Bernard a été le premier à s’opposer le plus violemment à l’introduction de la Fête de la Conception de Marie en écrivant une épître fulgurante aux chanoines de Lyon qui avaient adopté cette fête qui s’était d’abord, en Occident tout au moins, établie à Canterbury en Angleterre. Et, si saint Bernard réagit avec une telle violence, c’est que, justement, il ne veut pas qu’on honore la Mère au détriment du Fils, il veut qu’on garde la primauté de Jésus et qu’on affirme que Marie appartient à l’ordre de la Rédemption, que d’une certaine manière elle est née de Jésus. Et il a fallu tout un immense travail qui a duré des siècles pour que l’on trouve justement le joint, que l’on arrive à comprendre que Marie est la Première-née de Jésus.

      Et ce travail est admirable parce que, il montre bien et il nous rend sensible d’une manière éclatante que le dogme est christocentrique. Le dogme est toujours un recentrement de la Vie chrétienne dans l’intimité de Jésus. Ce n’est pas du tout, comme on pense, une espèce d’entraînement sentimental qui a établi, à côté des dogmes qui définissent les rapports de l’Humanité de Jésus avec la Trinité, que les dogmes concernent la très sainte Vierge. Ce n’est pas du tout un hasard, ce n’est pas du tout un entraînement sentimental : c’est au contraire le souci de garder à la foi son orientation christocentrique et de tout ramener à l’intimité du Seigneur.

      Et je le rappelais la semaine dernière ou il y a quinze jours, c’est lorsque, en méditant sur la première aux Corinthiens et en voyant saint Paul affirmer que les derniers survivants – lors du suprême retour de Jésus – ne passeraient pas par la mort mais seraient immédiatement transformés et revêtus de la résurrection, ou plutôt de la gloire de la Résurrection sans avoir passé par la mort, car c’est là l’affirmation du chapitre 15 de la première aux Corinthiens :   » Ceux qui seront trouvés vivants au retour suprême et dernier du Seigneur ne mourront pas, mais ils seront immédiatement revêtus de la gloire éternelle, sans passer par la mort « , bien qu’ils soient, de leur nature, mortels, comme tous les hommes. Mais, bien que, étant par nature mortels, leur mortalité sera absorbée, en quelque sorte, et prévenue par le retour du Seigneur.

      C’est cette affirmation de saint Paul qui a donné par l’an.. analogie aux docteurs, soucieux de ramener l’Immaculée Conception au christocentrisme qui caractérise tout le dogme chrétien ; c’est l’analogie qui leur à permis d’affirmer que Marie, par sa nature, devait être soumise au péché originel, puisque elle était née par la voie charnelle commune à tous les hommes, comme ceux de la dernière génération, par leur nature devraient mourir mais ne mourront pas parce que le retour du Christ préviendra la mort de les investir et de les envahir, bien qu’elle soit contenue dans leur nature. De même Marie, étant donné son origine charnelle, aurait dû encourir le péché originel, mais elle a été prévenue au titre de sa maternité divine, prévenue d’une grâce incomparable qui fait d’elle, non seulement la première des rachetés, mais celle qui a eu la part la plus profonde à la Rédemption. Elle a été surabondamment rachetée, comme dit la Bulle de Pie IX qui promulgue l’Immaculée Conception.

      Elle est donc vraiment, et c’est la formule la plus brève, la plus vivante et la plus émouvante que nous puissions retenir, elle est vraiment la Première-née de Jésus ». Figlia del Tuo Figlio », elle est, d’abord, la Fille de son Fils. Et il le fallait absolument parce que la maternité de Marie ne pouvait être que une maternité de toute sa Personne.        

      La maternité des femmes ordinaires est très souvent une maternité instinctive, une maternité, maternité de la nature. Les femmes, souvent, ne savent pas quand commence leur grossesse. Elles la découvrent comme une surprise. C’est la nature qui a agi indépendamment de leur volonté et c’est elle qui agira jusqu’au bout dans la formation du corps de l’enfant dont elles sont le berceau. Si bien qu’elles ne savent pas qui est cet enfant, comment il sera, quels seront, quels seront ses traits, quel sera son caractère et, à plus forte raison, quelle sera sa personnalité, puisque c’est lui qui aura à la créer.

      L’enfant qu’elles portent dans leur sein est un enfant inconnu. Et c’est pourquoi un père de famille dont la femme attendait un enfant me disait :  » Est-ce qu’on se reconnaîtra ? Est-ce qu’on se reconnaîtra ? Il est pour nous un inconnu, nous sommes pour lui un inconnu. Quelle va être la surprise de la première rencontre ?  » Justement, parce que la maternité commune est une maternité selon la nature et non pas selon la personne.

      Aussi bien cette maternité est-elle très insuffisante : il faudra, pour créer un véritable lien entre la mère et l’enfant, il faudra beaucoup plus encore, il faudra une maternité de la personne, il faudra que la mère, justement, se donne, se dévoue, se purifie toujours davantage et établisse entre son enfant et elle un lien dont Dieu est tout le mystère. Et c’est quand ce lien aura été établi entre ce qu’il y a de plus profond dans l’enfant et ce qu’il y a de plus profond dans la mère, à travers l’intimité de Dieu, que la maternité sera véritablement humaine.

      Ce ne sera plus une maternité où la nature simplement est à l’œuvre, ce sera une maternité de la personne, où tout l’être de la femme sera engagé, où il faudra qu’elle se purifie jusqu’à, jusqu’à la racine d’elle-même pour atteindre aux racines de l’enfant et former en lui cette personnalité qui doit être axée sur le moi divin.

      Mais en Jésus, cette situation était impossible, parce que en Jésus, la nature humaine est tout entière et dès le premier instant, dans la condition de la personne. En Jésus, c’est la personne qui est première, car le moi dont la nature humaine de Jésus est revêtue, ce n’est pas un moi balbutiant, qui se cherche, qui a à se créer, à se transformer, à renaître, comme le nôtre. C’est le moi divin, c’est donc un moi infini, c’est le nom même de l’éternel Amour qui est tout le Fils dans son élan vers le Père.

      Donc, la personnalité de notre Seigneur est complète, non seulement elle est complète, elle est infinie puisqu’elle est divine, dès le premier instant de son existence humaine. Ce germe infinitésimal dans le sein de Marie subsiste déjà et est uni hypostatiquement, c’est-à-dire d’une manière inséparable et par une union personnelle à la personnalité du Verbe éternel. Donc ce germe infiniment fragile est déjà porté tout entier, est déjà tout enveloppé, il subsiste dans le moi divin.

      Pour atteindre donc l’humanité de notre Seigneur, pour atteindre cette humanité-sacrement, cette humanité qui témoigne du Verbe et jamais de soi, qui, dans tout ce qu’elle est et dans tout ce qu’elle fait, dès le premier instant de son existence, est déjà tout entière imprégnée du Verbe, est déjà le sacrement du Verbe, il faut nécessairement un cheminement, un regard et un toucher intérieur.

      Et c’est cela justement qui nous fait toucher du doigt le drame, la tragédie de notre Seigneur, c’est que, il a été tout le temps pris par le dehors : on a voulu toujours, toujours, voulu le charger de ce qu’il n’était pas, on a voulu faire de lui un Messie dans un sens temporel et tout extérieur, on a voulu le toucher, avoir la preuve par ce toucher qu’il était bien Quelqu’un d’exceptionnel, et il a fallu toujours qu’il établisse la distance :  » Ne me touche pas « , comme il le dira au matin de Pâques.

      Car on ne peut pas, on ne peut pas par un toucher purement physique, on ne peut pas l’atteindre. Son corps échappe littéralement à tout atteinte purement physique, parce que c’est un corps tout enveloppé de la Présence divine, tout traversé par la lumière divine et qui est tout entier le sacrement inséparablement uni à la divinité, le sacrement du Verbe éternel.

      C’est donc par la foi, par l’amour, que nous avons un contact réel avec cette humanité entièrement personnifiée et toujours entièrement traversée et pénétrée par la lumière du Verbe. Marie n’aurait eu aucun rapport réel avec son Fils si elle ne l’avait pas atteint, précisément, du dedans, du dedans et selon la ligne de la personne et dans la lumière de la grâce, par un toucher qui l’engage tout entière, et non seulement qui l’engage tout entière mais qui la constitue dans sa personnalité même.

      La maternité de Marie est tout entière dans la condition de la personne, comme Jésus est tout entier dans la condition de la personne, comme sa nature gravite dans la Personne du Verbe. La mater.. la maternité de Marie est tout entière une relation à cette nature à travers la personne du Verbe. Et c’est pourquoi Marie doit d’abord être enfantée par le Verbe de Dieu. Il faut que elle soit scellée par la personnalité du Verbe, il faut qu’elle soit une relation vivante à Jésus, que tout son être soit imprégné de la lumière de Jésus, qu’elle soit un cri vivant vers Jésus. Alors elle le touchera, elle le portera et d’abord dans sa personne, et d’abord dans son esprit, et d’abord dans son intelligence, et d’abord dans sa contemplation, et d’abord dans son amour, et puis dans sa chair virginale qui sera tout imprégnée, tout imprégnée de sa contemplation et qui finira par devenir le berceau du Verbe fait chair.

      Il fallait donc cette préparation et, comme cette maternité ne saurait être préparée de trop loin, c’est dès le premier instant de son existence que Marie est tout entière, tout entière scellée dans la Personne de Jésus, tout entière relative à lui, tout entière un élan vers lui, tout entière déjà sa Mère dès ce premier instant, parce qu’elle est sa Mère selon la personne avant de l’être selon la nature.

      Et c’est pourquoi Jésus naîtra virginalement, justement parce qu’il naîtra d’une maternité selon la personne, où c’est la personne qui est la source de tout le processus, où c’est la personne qui mettra en mouvement la nature et qui fera éclore dans le sein de Marie cette fleur de Jessé que chantait déjà le prophète Isaïe.

      Il est donc parfaitement clair que l’Immaculée Conception c’est l’investissement, c’est le revêtement de Marie par Jésus. Il est donc bien vrai, comme Dante l’avait si magnifiquement entrevu, que Marie est la Première-née de Jésus. Il n’y a rien en elle qui ne soit de lui, il n’y a rien en elle qui ne soit pour lui, il n’y a rien en elle qui ne l’ordonne à lui. Elle est tout entièr sa Mère dès le premier instant de son existence, et dès le premier instant de son existence elle réalise ce mystère de pauvreté dont nous avons vu qu’il est la clé de l’Évangile.

      Cette pauvreté que nous avons contemplée dans la très Sainte Trinité, cette pauvreté qui est le sceau de l’humanité de notre Seigneur, qui lui confère cette absolue transparence, qui fait d’elle le sacrement inséparable de la divinité, nous la retrouvons en Marie.

     Marie est la Femme Pauvre, celle qui n’a plus rien, plus rien, qui n’est plus rien qu’une relation vivante à Jésus. Tout en elle est pour lui, de lui, en lui. Et c’est pourquoi il est impossible de la regarder sans voir en elle, dans une transparence absolue, le Visage de Jésus. Elle ne peut pas nous donner autre chose, parce que elle n’est rien d’autre, elle n’est rien d’autre que ce cri vers Jésus. Et, quand nous l’appelons  » Marie « , elle répond toujours, elle répond toujours :  » Jésus. « 

      Car elle est Marie pour nous donner Jésus, elle est immaculée pour l’enfanter, mais elle ne l’enfante pas pour elle. Ce n’est pas une maternité qui va combler le vide de son existence, qui va lui donner un compagnon pour combler sa solitude, comme tant de femmes cherchent dans l’enfant le compagnon de leur solitude. Elles savent que, elles ne le trouveront pas dans l’homme, l’homme si souvent grossier, charnel, extérieur, mais l’enfant du moins, le rapport sera dans un rapport virginal où la chair n’aura pas ce poids et cette opacité, l’enfant leur sera un compagnon, leur donnera un motif d’exister et de se donner.

      Ce n’est pas du tout le cas pour Marie. Jésus ne comblera rien d’une solitude qui cherche à être comblée parce que elle est toute donnée, elle est toute pauvre à ses propres yeux, elle n’a pas de regard pour elle-même. Pour elle,  » Je est un Autre.  » Elle est tout entière pour Jésus, de Jésus et en Jésus. Sa maternité, par conséquent, l’ordonne à nous et à la Rédemption de toute l’humanité, et à l’accomplissement et au redressement de tout l’Univers. Le  » Oui  » de l’Annonciation qui scelle l’Immaculée Conception et lui donne son plein accomplissement, le  » Oui « , le  » Fiat  » de l’Annonciation nous concerne tous et chacun ! Dans cette maternité, c’est vraiment toute l’humanité qui est assumée au titre de la maternité divine, et c’est chacun de nous qui naît personnellement par Marie en Jésus, de Marie en Jésus, de Marie pour Jésus.

      Si quelqu’un n’a pas eu de mère, en tout cas il a eu cette Mère-là, il a eu cette mère-là qui nous a appelés chacun par notre nom, qui nous appelle chacun par notre nom, parce que, justement, elle nous a enfantés dans la vie de la Personne où chacun est unique, est unique. Nous avons donc chacun un lien unique avec cette Mère-là qui est la Mère de Jésus et qui est, inséparablement, indissolublement la nôtre.

      A l’extrémité de la vie de Marie, nous retrouvons la même identification avec Jésus, et l’Assomption ne voudra pas dire autre chose que ceci : toute la Vie de Jésus, tout son être, toute la vie de Marie, tout son être s’accomplit en Jésus et, comme elle est la Première-née de Jésus, comme toute sa vie s’accomplit en Jésus qui est vie éternelle, en Jésus, le mort, en Marie la mort ne peut pas entrer. Il n’y a pas la plus petite fiss.. la plus, la plus, la plus petite fissure en elle par où la mort puisse s’introduire.

      Ce que nous disions de Jésus, il faut le dire proportionnellement de Marie. Rien en elle ne peut être purifié par la mort. Il n’y a rien à émonder, parce que tout en elle est lumière. Il n’y a pas la moindre absence à celui qui est le Prince de Vie. Elle vit tout entière de lui. Il est, dans un sens unique, sa totale respiration. Par conséquent, la mort ne peut pas entrer en elle pour son compte à elle, ni pour émonder quoi que ce soit, ni pour purifier quoi que ce soit, ni pour préparer une union plus profonde et plus centrale avec la vie éternelle qui est Jésus.

      Si elle meurt, c’est une mort de conformité, c’est une mort corédemptrice, c’est pour entrer à fond dans cette, dans cette maternité qu’elle exerce à l’égard du genre humain tout entier. Elle mourra, comme Jésus, pour lui, avec lui, donc pour lui et avec lui pour nous, avec nous et en nous. Elle mourra donc d’une mort intérieure, d’une mort spirituelle, d’une mort incorruptible, d’une mort qui ne peut pas aboutir au cadavre. Il n’y aura jamais de cadavre de Marie, pas plus qu’il n’y a eu un cadavre de Jésus. Il y aura après cette mort d’amour, après ce suprême offertoire, après cette consommation du mystère rédempteur dans le couple Jésus et Marie, il y aura cette reprise de la vie qui est inévitable, qui est connaturelle, qui est la conséquence intérieure de la maternité même de Marie, qui est de la personne tout entière, de la personne née de Jésus qui est la vie éternelle.

      Et l’Assomption, ce sera, justement, dans la chair virginale de Marie, l’affirmation de la vie éternelle qui est Jésus. Elle sera scellée en lui dans sa Résurrection, comme elle est scellée en lui dans son Immaculée Conception. Elle est donc tout entière contenue en lui. Elle n’a rien vraiment en elle qui ne soit que lui, en lui et pour lui. C’est là ce que la définition de l’Assomption voulait établir, une fois de plus et de la manière la plus éclatante, que Marie est la Première-née de Jésus.

      Mais justement parce que, elle est tout entière de Jésus, en Jésus et pour lui, elle est naturellement le chemin qui nous conduit à Lui. Tout ce que, elle nous donne est impossible à dire ! Ce qu’elle nous donne peut-être, au tout premier chef, c’est de nous rendre sensible l’amour maternel de Dieu. Elle est, si vous le voulez, le sacrement de la tendresse maternelle de Dieu.

      Nous sommes habitués à appeler Dieu notre Père, mais nous avons vu qu’il est notre Mère, au même degré, c’est-à-dire infiniment. Mais il ne nous est pas très aisé de dire en même temps notre Père et notre Mère à la même personne. Marie, justement, parce qu’elle est femme, parce qu’elle est mère, même au sens humain du mot, quoiqu’elle le soit d’une toute autre manière que la maternité commune, qui peut d’ailleurs heureusement se transfigurer, justement, à son contact et qui est appelée à le faire, parce que Marie nous présente ce visage de mère, il nous est plus naturel de l’appeler, elle,  » Mère « . Il nous est plus naturel de lui dire  » maman  » à elle, mais ce mot, à travers elle, monte jusqu’à Dieu, car c’est lui notre Maman, finalement, dans un sens infini, infiniment plus qu’elle encore, parce que tout ce qu’il y a dans le coeur de Marie, tout ce qu’il y a de tendresse inépuisable, universelle, personnelle et unique en faveur de chacun, tout cela n’est que le rejaillissement de la source éternelle.

      Dieu est infiniment plus Mère que toutes les mères, et le miracle de l’amour maternel, même en Marie, est encore un écho de cette maternité divine qui est première. C’est pourquoi, à travers elle, c’est bien la maternité de Dieu que nous invoquons, c’est à Dieu, à travers elle, que nous disons  » Maman « . Elle assume ce cri et elle le fait monter jusqu’à Dieu.

      Mais, tandis que nous nous approchons d’elle, que peut-elle accomplir en nous sinon de rayonner de tout ce qu’elle est, c’est-à-dire de sa suprême pauvreté ? C’est le mystère de sa Pauvreté qui rayonne sur nous, c’est sa transparence qui nous enveloppe, car pauvreté et transparence ici signifient exactement la même réalité.

      Justement, elle nous apprend ou plutôt par son rayonnement elle nous émonde, elle nous attire, elle nous fait baigner dans toute cette lumière qui rayonne en elle, elle apaise notre sensibilité, elle ordonne nos puissances d’aimer et, peu à peu, elle tourne notre regard vers Jésus, afin que nous naissions, par elle, de lui. C’est une médiation merveilleuse, parce que, elle parle à tout notre être, parce que c’est par-là que, humainement, nous avons été formés, tout d’abord dans le sein de notre mère et c’est d’abord dans le rayonnement le plus immédiat de sa présence, et la première empreinte humaine a été scellée en nous par la tendresse de notre mère.

      C’est pourquoi il est presque constant que le dernier cri du mourant soit un appel vers sa mère, non pas vers sa femme qui peut être à côté de lui s’il s’agit d’un homme, mais vers la mère :  » Maman…  » Un vieillard de 80 ans et plus appellera, justement, dans son agonie  » Maman « , cette mère qui n’est plus là mais qui est toujours là dans son cœur, justement, comme la première révélation d’une tendresse inépuisable. C’est donc par ce chemin merveilleusement humain que nous sommes acheminés vers la suprême grandeur, vers ce dévêtement du moi limité et charnel en vue du revêtement du moi divin en Jésus-Christ, en Jésus-Christ. Et Marie est là, toujours agissante, car sa médiation n’attend pas que nous l’invoquions, elle nous précède, elle nous prévient, elle ne cesse de venir à notre rencontre, justement, pour rayonner sur nous toute cette transparence qui laisse éclater et resplendir en nous le visage de Jésus. Et rien, rien n’est plus sûr, rien n’est meilleur pour nous que de combler l’écart entre nous et le Christ en nous appuyant sur elle, en empruntant à sa lumière et à son amour.

      Comment, comment célébrer, célébrer la messe, comment la célébrer chaque matin ? Comment, comment oser, comment oser dire les paroles de la Consécration qui supposeraient vraiment qu’on s’est identifié avec toute l’humanité, qu’on la porte, qu’on la vit, qu’on est présent à toutes les douleurs, à toutes les misères, à tous les espoirs, à toutes les attentes, qu’on n’a laissé personne en dehors, qu’on a recueilli tous les vivants, tous les morts, comment oser dire ces mots sans être épouvanté, justement, d’être insincère, insincère et de dire des mots qui ne sont pas des mots vivants.

      Et c’est là, justement, que la médiation de Marie apparaît comme la seule manière de remplir ces mots d’une vérité totale, car elle les vit, elle les a vécus, elle a consenti, elle était OUI au pied de la Croix, pour tous, en tous… Elle nous a vraiment tous portés, tous assumés depuis le commencement du monde jusqu’à la fin.

     Et elle peut dire avec nous, elle peut dire avant nous, elle peut dire au-dedans de nous, elle peut dire par nos lèvres :  » Ceci est mon Corps, ceci est mon Sang « , sur lui, sur toute l’humanité. Elle peut vraiment donner à ces mots toute leur valeur de vérité, de générosité et d’amour.

      C’est pourquoi je ne pourrais pas dire la messe si je ne sentais pas qu’elle est là ! Qu’elle est là, qu’elle est là Nous avons vraiment cette caution que ces mots ne seront pas des mots vides, nous aurons la caution d’un don illimité. Et, chaque fois que j’hésite, je me dis :  » Mais dites-le avec moi, ce sera vous, ce sera vous !  » Je suis sûr qu’alors, ayant la caution de Marie, ils sont vraiment l’appel, l’appel de toute l’humanité, l’appel de tout l’univers, que vraiment toute l’humanité, et toute l’Histoire, est rassemblée dans le Cœur de la Mère du genre humain, de la seconde Eve, de la seconde Eve qui est inséparable, inséparablement unie pour la Rédemption du monde, de l’Humanité et de tout l’Univers, au second Adam. Je suis sûr qu’alors ces mots porteront la vie. Eh bien !  Il faut le faire sans cesse, il faut le faire sans cesse.

      On ne peut rien faire de bon sans elle ! On ne peut rien faire de mal quand on est avec elle. Alors, il ne faut jamais la quitter, il ne faut jamais la quitter. Et, justement, chaque fois que on se sent fatigué, las, accablé par le travail et les épreuves de la vie, par toutes les poussières qui s’accumulent, par toutes les infidélités qui échappent à la fragilité de l’homme, il faut s’exposer à cette lumière virginale et, rien qu’en entrant dans cette mouvance, rien qu’en entrant dans ce sillage, déjà on respire mieux, déjà se fait une clarté, et on, on est attiré, on est attiré doucement et de l’intérieur vers le centre qui est Jésus.

      En tout cas je n’hésite pas pour ma part, et chaque fois que je ne sais pas – et c’est bien souvent – chaque fois que je ne peux pas, je commence par elle. Se remettre entre ses mains, oui, se remettre entre ses mains, et je ne dis pas ça d’une manière sentimentale et non pas du tout pour se laisser porter et ne rien faire, au contraire, pour savoir quelle est la route, pour être plus vite désentravé de soi, pour être plus vite purifié, pour être plus vite capable d’accueillir le Christ, pour être plus vite un sacrement un peu moins indigne, un peu plus transparent, pour être plus vite une générosité, identifié avec lui et avec tous.

      Oh ! Non pas, bien sûr, pour être un poupon qui se laisse dorloter. Non, j’ai horreur de cela. Non, ce n’est pas cela. Marie est grande, immense, et la Mère du genre humain. Il ne s’agit pas de se faire pouponner par elle. Il s’agit, à travers elle, justement, qui est toute entière Mère par sa Personne, c’est-à-dire par un  » oui  » qui la prend tout entière, d’entrer, nous aussi, dans cette action, dans cet apostolat où c’est notre personne tout entière qui doit être engagée dans une maternité qui prend toutes les fibres de notre coeur, toutes les puissances de notre esprit pour amener l’humanité à la source éternelle et aider chacun à revêtir le moi infini qui fait de lui un commencement, une origine, une source, un espace, un créateur.

      Tout cela est très grand, et justement le dogme, le dogme ce n’est pas une sorte de sentimentalité à la petite semaine. Le dogme, parce qu’il a recentré toujours le mystère de Marie dans le mystère de Jésus, a laissé à Marie toute sa grandeur et lui a donné ou plutôt il a révélé son visage de seconde Eve. Nous allons donc nous remettre entre ses mains, justement, pour que nous soyons à travers elle plus sûrement identifiés avec Jésus, délivrés de notre moi charnel, égocentrique et propriétaire, pour être revêtus de Jésus, afin que notre action comme la sienne soit tout entière et toujours plus, l’action, à travers nous, l’action personnelle de Jésus, puisque, il est impossible d’aimer Marie, il est impossible de l’appeler, il est impossible de dire  » Marie  » sans qu’elle réponde :  » Jésus  » !