20/03/2009 – Tout un matérialisme s’est installé autour de l’hostie. …

Suite 5 de la 5ème conférence donnée à La Rochette en septembre 1963 par Maurice Zundel.

Communier, c’est constituer le Corps du Christ, le Corps mystique, c’est assumer toute l’humanité et tout l’Univers. La présence réelle n’est pas une présence locale.

« L’hostie dans le tabernacle comme un objet est inefficace, aussi inefficace que la Présence du Verbe qui luit dans les ténèbres et que les ténèbres ne reçoivent pas !

Il est absolument inutile d’ériger une église sous prétexte qu’on y mettra le Saint Sacrement si personne n’en vit ! si cette présence n’est pas conçue comme une présence communautaire dans l’Eglise, par l’Eglise et pour elle, c’est-à-dire en l’humanité, par l’humanité et pour elle. Si cette présence n’est pas conçue comme une présence communautaire qui nous veut fraternellement unis, nous sommes complètement en dehors des perspectives de l’Evangile.

Tout un matérialisme s’est installé autour de l’hostie, précisément parce qu’on en a perdu de vue l’exigence fondamentale.

Je me souviens de cette institutrice, d’ailleurs angélique et de très bonne foi, qui disait gravement aux petits qu’elle catéchisait qu’ils ne devaient pas toucher l’hostie avec leurs dents, que, seul, le prêtre avait le droit de la croquer ! C’est misérable d’en arriver à cette casuis­tique – avec les meilleures intentions – où l’hostie devient un objet, où on perd de vue que communier, c’est constituer le Corps du Christ, le Corps mystique, c’est assumer toute l’humanité et tout l’univers.

On perd ainsi de vue également que, selon l’enseignement le plus clas­sique, la présence réelle n’est pas une présence locale, ce n’est pas une présence physiquement accessible, elle ne peut être atteinte par aucun instrument, même sacrilège, elle ne peut pas apparaître, même par miracle, comme le dit formellement Saint Thomas d’Aquin, parce que Jésus n’est pas là à la mesure d’un objet. A travers l’hostie, oui, réellement, plus réellement que nous sommes ici, Jésus se communique à nous, à condition que nous soyons nous-mêmes en état de communication avec tous nos frères humains et avec toute la Création.

C’est pourquoi nous devons nous approcher du très saint Sacrement en purifiant autant que possible notre langage. Nous ne dirons pas que « l’hostie, c’est Jésus », en télescopant le sacrement. Disons que c’est le sacrement de la Présence réelle de Notre Seigneur (1), ce n’est pas tout à fait la même chose parce que toutes les opérations physiques, l’ingestion, la digestion, le partage, la fraction du pain, le transport, tout cela se rapporte aux espèces et nullement à la Personne du Seigneur. Soyons prudents comme le dogme l’est lui-même, car le dogme est juste­ment défini avec cette précision d’amour qui évite tout matérialisme pour prévenir toute matérialisation. Il ne faut donc jamais s’approcher du Saint Sacrement sans une pensée communautaire.

On a peut-être exagéré ce culte du Saint Sacrement hors de la liturgie, qui n’est pas du tout familier aux Eglises d’Orient. Les coptes ne gardent pas le saint Sacrement. On porte la communion aux malades au cours d’une célébration. Si je ne me trompe, les Grecs gardent le Saint Sacrement mais secrètement, ils n’en font pas un culte. C’est dans l’action liturgique que le culte eucharistique se déploie, juste­ment pendant cette action où l’Eglise est effectivement rassemblée autour de l’autel.

La logique occidentale, cette terrible logique des juristes romains a poursuivi dans ses dernières conséquences et presque méca­niquement l’affirmation de la présence réelle. C’est ce qui fait que, dans la dévotion du 19ème siècle, le salut au Saint Sacrement prenait infiniment plus d’importance que la messe elle-même. On voit encore, ou du moins on voyait encore en Italie il y a quelques années, ces grands saluts avec des chanteurs attitrés, alors qu’on pouvait manquer la messe sans scrupules.

Mais, puisque la liturgie romaine est plus ou moins la nôtre (1), acceptons ce culte du Saint Sacrement en dehors de la liturgie mais toujours pour y prolonger la liturgie, toujours dans cette pensée communautaire, en y portant dans notre coeur toute l’humanité et tout l’univers. A ce titre, oui, si on lui donne cette signification – et c’est la seule qu’elle puisse avoir – la présence réelle peut être, à toute heure du jour et de la nuit, le ferment en nous de cette désappropriation qui doit nous rendre totale­ment disponibles à l’humanité pour nous offrir comme un espace illimité à l’invasion de la présence divine.

La préparation à nos communions comme nos actions de grâces ne peu­t être alors qu’une oraison sur la vie, une oraison sur l’homme, une oraison sur le prochain, et c’est exclusivement en nous mettant à son service au lavement des pieds que nous nous préparons à recevoir la présence du Seigneur, que nous nous ouvrons à elle et que nous correspondons à Ses intentions. »

(à suivre)

Note (1) : C’est le sacrement de l’offrande parfaite réelle du Christ. Suivant l’enseignement le plus traditionnel l’Eucharistie est le sacrement du sacrifice de Jésus-Christ.