1951 – Homélie – Tout notre amour dans les mille riens de la vie

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08-10/01/2017 janvier 2017

Homélie de Maurice Zundel à Bex en Suisse en 1951. Inédit.

Résumé : On trouve dans les Évangiles la manifestation de la sensibilité de Jésus. Dans la vie, ce sont par ces mille riens avec les nuances de notre amour que nous entrerons dans le secret du Cœur de notre Seigneur et que nous serons pour les autres, comme à l’Épiphanie, une étoile qui les conduit à l’Amour infini.

En ce jour de l’Épiphanie

Le jour de l’Épiphanie, comme vous le savez, est le jour de la manifestation, la manifestation de notre Seigneur et de l’Adoration des Mages qui sont les délégués des nations, de la manifestation de notre Seigneur au Jourdain où il reçoit le baptême, de la manifestation enfin de notre Seigneur aux noces de Cana où il change l’eau en vin.

Le miracle des noces de Cana

C’est sur cet épisode que nous allons nous arrêter un instant. Rien n’est plus étonnant, n’est-ce pas, que de trouver dans l’Evangile de saint Jean, qui est l’évangile intérieur, l’évangile spirituel, l’évangile de la contemplation, de trouver, précisément dans cet Evangile, le premier miracle signalé de Jésus, cette intervention de notre Seigneur aux noces de Cana, pour tirer d’embarras des gens qui ont invité leurs amis à leurs noces et voilà que ces amis sont venus plus nombreux qu’on ne le pensait et la fin du repas arrive et voilà que le vin va manquer.

La Sainte Vierge s’en aperçoit et fait la remarque à notre Seigneur. Mais notre Seigneur s’en était aperçu avant elle, sans aucun doute, et c’est ce qu’il y a de plus merveilleux, c’est que la sensibilité de notre Seigneur a immédiatement perçu l’embarras, la gêne, la souffrance, l’humiliation de ce couple. Il va y avoir une ombre sur la fête et une espèce de déshonneur sur cette solennité, puisqu’on ne pourra pas fêter les hôtes jusqu’au bout et on a l’air d’avoir fait les choses chichement sans avoir mis toutes les ressources au service des amis.

L’expression de la sensibilité de Jésus

Il y a dans le cœur de notre Seigneur une sensibilité extrêmement fine, exquise, infinie, qui saisit toutes les nuances de la détresse humaines et qui ne peut pas résister à certains appels venus du fond de l’homme et de la solitude du cœur.

Et c’est là d’ailleurs que va intervenir notre Seigneur, de la façon la plus silencieuse et la plus discrète, puisqu’il n’y a que le maître d’hôtel qui s’apercevra de la chose et les époux aussi qui, évidemment, comprendront que ce vin excellent, meilleur que les autres, ne vient pas de leur cave et qu’une main miséricordieuse et pleine d’amour est venue probablement à leur secours.

On retrouvera d’ailleurs d’autres traits dans l’Evangile et vous vous rappelez que c’est à cause des larmes de Marie, la sœur de Lazare, que Jésus a ressuscité son frère.

Il y a dans le cœur de notre Seigneur justement une sensibilité extrêmement fine, exquise, infinie, qui saisit toutes les nuances de la souffrance, de la détresse humaines et qui ne peut pas résister à certains appels venus du fond de l’homme et de la solitude du cœur.

Ce n’est donc pas sans raison que l’Eglise aujourd’hui, en célébrant l’Épiphanie qui représente d’abord pour nous la venue des Mages à Bethléem, a voulu associer à cette manifestation, en apparence si petite et si infinitésimale, parce que rien, justement, n’est plus nécessaire pour nous que de nous former dans ce sens des nuances et d’apprendre que la vie est faite de ces riens.

Ces riens qui sont tout dans la vie

Justement, ce sont ces nuances, ce sont ces riens qui sont tout dans la vie. Etre attentif à la douleur de quelqu’un, devenir une présence réelle, être là comme un visage ouvert et compréhensif, rendre sensible un cœur qui vibre avec le cœur d’autrui, il n’y a rien de meilleur et qui nous mette davantage en la présence de l’Amour de Dieu.

Voyez : saint François va mourir. Il y a là une immense détresse pour ses disciples. Eh bien ! Il fait chanter le Cantique du Soleil. Ce chant va détendre, détendre ce deuil, jeter sur cette scène déchirante une note de joie et les disciples ne pourront jamais se souvenir de cette mort, sans y puiser cette pensée de vie et de jubilation et ils sauront que, pour leur maître, la mort n’a pas été une détresse, mais un grand élan d’amour vers le Christ dans lequel il n’a jamais cessé d’espérer.

Ou bien Thomas More, ce grand martyr anglais du 16ème siècle, quand il va monter à l’échafaud, dit au bourreau : « Aide-moi à monter. Pour la descente, je me tirerai d’affaire tout seul. » Il fait une plaisanterie qui doit donner au bourreau le sentiment qu’il n’accomplit pas quelque chose de terrible puisque le martyr, car c’est d’un martyr qu’il s’agit, le martyr monte à l’échafaud avec tant de paix dans le cœur et tant d’allégresse dans la voix.

Sainte Catherine de Sienne, dans une de ses lettres les plus célèbres, raconte une visite qu’elle a faite à un jeune homme, Nicolas Toldo, qui est condamné à mort, condamné à mort pour un rien : il a dit quelque plaisanterie un peu irrévérencieuse à l’adresse du magistrat et, pour ce simple fait, il va être décapité. Ce jeune homme qui est de Pérouse, qui est plein de vie (c’est le printemps), voudrait vivre de toute sa force de jeunesse. Il est désespéré, il est plein de révolte contre Dieu. Et Catherine va le trouver dans sa prison, elle lui parle de l’Amour du Christ, de sa Présence, de sa Passion et de sa participation à sa mort, s’il l’accepte, de devenir un mystère de la Rédemption.

Il y a dans la présence de Catherine une telle charité, un tel rayonnement, une telle transparence que ce jeune homme est transfiguré et il dit oui, il l’accepte, il accepte cette mort, il est tout prêt à l’offrir à Dieu pourvu qu’elle accepte, elle aussi, de l’accompagner au lieu de son supplice. Catherine en effet, le jour de l’exécution, précède Nicolas et met sa tète sur le billot et prie longuement pour lui et elle supplie le Seigneur d’être une présence réelle au moment de l’exécution et, quand Nicolas arrive accompagné du bourreau, Catherine dispose sa tète sur le billot, elle l’encourage et lui sourit : « Va, ne crains pas, mon frère, sous peu tu seras aux noces de l’éternel. » Et Nicolas ne voit plus que ce visage, ce visage de bonté, ce visage de grâce et de charité et le condamné meurt sans même s’être aperçu de son exécution et Catherine reçoit sa tète sanglante contre son cœur.

Prévenir les blessures du cœur

Ce n’est rien, justement, ce rien c’est cette nuance exquise de la grâce et de la charité qui était plus forte que la mort, qui en a dissipé les appréhensions et toutes les révoltes et qui a fait de cette exécution injuste et brutale une offrande presque joyeuse d’amour.

Nous n’aurons pas encore aujourd’hui, peut-être, nous n’aurons pas encore l’occasion d’assister à une exécution capitale et d’en adoucir l’amertume, mais nous pouvons, à chaque instant du jour, prévenir les blessures du cœur qui sont déjà une manière de mort.

Conduire à l’Amour infini

C’est en tissant ces mille riens avec les nuances de notre amour que nous entrerons dans le secret du Cœur de notre Seigneur, et que nous serons pour les autres, l’étoile qui les conduit à l’Amour infini qui nous apparaît, aujourd’hui, sous les traits d’un tout petit enfant.

Par ces toutes petites prévenances qui sont des riens, par ces nuances exquises de la bonté et du silence et de la tendresse qui introduisent justement dans la vie une présence dont notre visage fait sensible un cœur. Et c’est par-là que nous engendrons notre Seigneur Jésus-Christ dans le mystère de son Epiphanie.

Car c’est Jésus, justement, qui est allé jusqu’au bout de cette sensibilité humaine et, pour répondre aux appels de cette sensibilité humaine, il a fait son premier miracle et il a fait aussi la résurrection de Lazare, son plus grand miracle.

La vie est composée de ces riens comme la musique est faite tout entière de nuances et c’est en tissant ces mille riens avec les nuances de notre amour que nous entrerons dans le secret du Cœur de notre Seigneur et que nous serons, pour les autres, l’étoile qui les conduit à l’Amour infini qui nous apparaît, aujourd’hui, sous les traits d’un tout petit enfant.