1937 – Conférence – A travers et au-delà des textes

01-07/12/2016
décembre 2016

stn 37 0806

Conférence de Maurice Zundel en Suisse à Bourdigny, en 1937. Non édité. Les titres sont ajoutés.

Au fond, la vie quotidienne nous oriente

On pourrait écrire un livre qui aurait pour titre : A travers et Au-delà.

A travers et au-delà, c’est ce que nous essaierons de dire ce matin en montrant comment notre connaissance se fonde suivant la ligne de nos besoins et les dépasse pour s’orienter à travers eux au-delà d’eux-mêmes.

Et c’est peut-être la seule critique à faire à la philosophie de Bergson : d’avoir minimisé, trop rabaissé cette connaissance quotidienne sous prétexte qu’elle est trop utilitaire. C’est peut-être la seule critique à faire à ce système plein de lumière et de fidélité à la vérité.

La vie quotidienne n’est pas si fermée à l’esprit qu’on peut le penser. Obscurément, à travers toutes nos nécessités, nous sommes constamment orientés vers quelque chose qui nous dépasse : à travers et au-delà.

Au fond, la vie quotidienne n’est pas si fermée à l’esprit qu’on peut le penser ; obscurément, à travers toutes nos nécessités, nous sommes constamment orientés vers quelque chose qui nous dépasse : à travers et au-delà.

Quand nous nous réunissons ensemble pour un repas, cette nécessité même peut devenir le symbole de ce qui la dépasse.

La beauté qui jaillit de la nécessité est harmonie et joie

C’est tout à fait remarquable dans le domaine de l’architecture ; c’est précisément au moment où la beauté jaillit de la nécessité, de la fonction, que le sentiment d’harmonie est le plus intense et le plus joyeux.

C’est peut-être l’image de la plus haute perfection chrétienne : à travers et au-delà. Non pas en s’évadant, en refusant la tâche, mais en entrant tellement dedans, qu’on arrive au centre : où l’amour jaillit, où la fonction se recrée parce qu’elle est accomplie dans la liberté.

Nous avons ce sentiment de libération en entrant dans l’église de Sainte-Sabine à Rome. Quand on s’est rempli la vue de tous les marbres, de tous les ors des palais, de toute cette opulence de la Renaissance… c’est magnifique, toute cette richesse, cet or répandu au plafond de Sainte Marie Majeure ; mais il y a quelque chose de beaucoup plus grand, c’est cette simplicité où il n’y a rien que ce qui est nécessaire ; les colonnes sont là, non pas comme des ornements, comme quelque chose de surajouté, mais comme une chose nécessaire ; elles portent la charpente et tiennent ensemble tous les maîtres de la maison. C’est magnifique ! Les colonnes sont belles : elles remplissent leur fonction avec souplesse ; elles ont toute la beauté de cette nécessité et c’est pourquoi elles sont revêtues d’une telle joie. C’est peut-être la formule, l’image de la plus haute perfection chrétienne : à travers et au-delà.

Non pas en s’évadant, en refusant la tâche, mais en entrant tellement dedans, qu’on arrive au centre : où l’amour jaillit, où la fonction se recrée parce qu’elle est accomplie dans la liberté.

La mystique chrétienne nous fait entrer dans la réalité

C’est peut-être par-là que la mystique chrétienne, que la doctrine de Jésus révèle admirablement ses racines terrestres. Comment, en effet, elle s’inscrit au cœur de la réalité, non pas pour nous y soustraire, mais pour nous faire entrer dedans, jusqu’à la rencontre de l’amour dans la liberté.

Ces deux mots : à travers et au-delà, au-dedans contiennent toute la philosophie, sont les caractéristiques de l’ensemble de la doctrine du Christ.

Ces deux mots : à travers et au-delà, au-dedans contiennent toute la philosophie, sont les caractéristiques de l’ensemble de la doctrine du Christ.

Jésus dépassant tous les rêves, on le déforme inconsciemment

Je voudrais aborder un autre sujet – quoique ce soit, au fond, toujours le même – en vous parlant de la personne de Jésus et de sa mission.

Albert Schweitzer, dans un livre allemand a étudié avec une admirable lucidité, l’histoire de l’exégèse allemande du 19ème siècle.

Dans ce livre, il a analysé, avec une lucidité adamantine, tous les portraits que les exégètes protestants, en Allemagne, se sont faits de la personne de Jésus. Et, lui-même, théologien, professeur à Strasbourg, médecin, a tracé « son » portrait du Christ et il a montré que, au fond, chacun de ces exégètes du 19ème siècle, a cherché dans le Christ, l’image de sa propre pensée, de son propre désir ; que chacun a découpé dans le Nouveau Testament ce qui lui convenait, ce qui s’accordait avec lui-même et a donné cette espèce d’inflexion personnelle aux textes, et après avoir éliminé tous ceux qui ne s’accordaient pas avec ce rêve, on a tracé un portrait du Christ qui n’était qu’une projection de ses propres rêves.

Il y a dans la personne de Jésus quelque chose… de tellement admirable, que chacun voudrait le tirer à soi… Lorsque l’on veut le mesurer à ses propres rêves, on le mutile, on le déforme inconsciemment et on le ramène au niveau de soi-même.

Rien n’est plus pathétique, que cette lecture qui montre à la fois qu’il y a dans la personne de Jésus quelque chose de tellement séduisant, de tellement unique, de tellement admirable, que chacun voudrait le tirer à soi, en faire le héros de ses propres rêves – et en même que cette personne dépasse tellement tous les rêves de l’homme, que lorsque l’on veut le mesurer à ses propres rêves, on le mutile, on le déforme inconsciemment et on le ramène au niveau de soi-même.

Et ce qu’il y a de plus caractéristique dans ce livre, écrit par un homme qui est la sincérité même, c’est que lui-même, à la fin du livre, esquisse une histoire de Jésus à son propre point de vue. Il ne rend pas justice, du reste, à toutes les données du Nouveau Testament.

Jésus désirait-il convertir Israël avant les autres nations ?

Rien n’est plus difficile que d’écrire une histoire de Jésus. Les données du Nouveau Testament ont une apparence contradictoire si on s’en tient à la lettre des documents, tellement, que si l’on se heurte à l’un de ces textes sans aller à son contenu, on risque de se dire : le Nouveau Testament exprime la pensée et la mission de Jésus comme une mission terrestre.

On a pu dire que Jésus était juif et non pas chrétien et que c’était une extrapolation injustifiée que d’en avoir voulu faire l’auteur d’une religion nouvelle, alors qu’il était simplement un continuateur de la tradition juive.

Prenez ce passage où Jésus dit à la Cananéenne : « Je n’ai été envoyé qu’aux brebis perdues de la Maison d’Israël » (Mt. 15:24). On s’en servira contre l’universalité de la mission du Christ qui ne serait pas envoyé au monde entier.

Jésus dira à ses disciples : « Voici que je vous envoie prêcher la Bonne Nouvelle du Royaume, n’entrez pas dans les villes des Gentils et ne pénétrez pas dans la demeure des Samaritains. » (Mt. 10:5)

On peut se demander si Jésus avait espéré convertir Israël avant les autres nations. A-t-il envisagé la conversion de toute la nation, en masse ? Espérait-il que le Royaume de Dieu se répandrait à partir d’Israël ?

La fin des temps devait-elle s’accomplir en la génération de Jésus ?

C’est là, un problème très délicat. Prenez le texte de la fin des temps : « Cette génération ne passera point sans que tout cela soit accompli. » (Mt. 24:34) Il semble que dans l’esprit du Christ, la fin des temps doive s’accomplir en la génération actuelle. Et vous savez que l’Église chrétienne vivra de cet espoir et les Apôtres attendront le retour du Christ.

Alors, est-ce que Jésus ne s’est pas trompé en envisageant la fin des temps pour tout de suite, sans penser à la fondation d’une Église qui devait durer, être une organisation du Royaume de Dieu sur terre ?

Ce point de vue a tellement frappé les exégètes que certains ont construit toute leur thèse sur cette donnée eschatologique : Jésus a cru exclusivement à sa mission comme la préparation à la Parousie immédiate.

Pour eux, Jésus s’est donné avec une ferveur admirable à la diffusion de ce message qui d’ailleurs était une erreur.

Jésus envisageait-il le Royaume comme un paradis où le vin coulerait abondamment

Prenez encore un autre aspect de la question : Jésus dit : « Je ne boirai plus du fruit de la vigne que le Royaume de Dieu ne soit accompli. » (Mt. 26:29)

Est-ce que Jésus s’imagine que le Royaume de Dieu est un lieu où l’on mange et où l’on boit ? Est-ce qu’il envisageait la vie éternelle comme un idéal matériel, comme un paradis où le vin coulerait abondamment ?

Prenez un autre texte, celui qui se rapporte au feu éternel : « Allez, maudits au feu éternel. » (Mt. 25:41) Est-ce que Jésus avait une conception matérielle de l’enfer où les corps seraient consumés éternellement ?

Il faut un autre regard, il faut se situer un peu au centre de ce mystère

Tant d’histoires différentes ont pu être tirées du même texte… il faut évidemment un autre regard, un climat de respect qui atteint une certaine intériorité de vie ; il faut se situer un peu au centre de ce mystère pour donner à ces stigmates leur signification véritable.

Suivant que l’on tombe sur l’un ou sur l’autre de ces textes, on est frappé de leur caractère incisif. Nous n’aimons pas beaucoup qu’on nous fasse remarquer la contradiction de ces textes. Il y a dans ces textes, une apparence de contradiction qui peut expliquer pourquoi tant d’histoires différentes ont pu être tirées du même texte. Ceci étant accordé, il ne faut pas oublier qu’il y a dans l’histoire une multitude de critères différents.

Il y a le critère analogique qui fait que, pour comprendre le phénomène que l’historien veut expliquer, il faut situer ce phénomène dans son ordre propre. Le reporter de journal qui suit une course cycliste, évidemment, n’appliquera pas à cet événement les mêmes critères que pour rapporter les états mystérieux, contemporains de Thérèse Neumann.

Pour s’approcher de ce phénomène, il faut évidemment un autre regard, un climat de respect qui atteint une certaine intériorité de vie ; il faut se situer un peu au centre de ce mystère pour donner à ces stigmates leur signification véritable.

Comprendre les événements en les situant dans leur ordre propre

L’histoire d’un saint se situe dans l’ordre de la vie intérieure et au plus haut degré, l’histoire du Christ, exige un critère intérieur.

Dès qu’on veut voir l’histoire dans son sens profond, qu’on veut donner une explication véritable des événements, pour les comprendre, il faut les situer dans leur ordre propre. Or, l’histoire d’un saint se situe dans l’ordre de la vie intérieure et au plus haut degré, l’histoire du Christ, exige un critère intérieur.

Tous les gestes, les remous, les phénomènes, sont des apparences ; pour comprendre le sens profond de ces mots, de ces remous, il faut se situer à l’intérieur, dans la vie de l’esprit, sentir ce que c’est que la sainteté. A partir de ce centre, on pourra remonter à la périphérie.

La croix, le sens même de la mission de Jésus

C’est à travers ce critère intérieur que nous comprendrons que le Christ nous est connu plus encore à travers le mouvement qu’il a suscité dans le monde par l’Église.

Vous savez bien que les textes chrétiens, tous les textes du Nouveau Testament sont postérieurs à l’existence de l’Église ; ils ont été écrits dans l’Église, par elle et pour elle. Ils constituent simplement une partie du témoignage à travers lequel nous pouvons voir Jésus.

Or il y a une certaine direction absolument paradoxale, invraisemblable, suivant laquelle s’est développé tout l’enseignement de l’Église touchant Jésus.

Toute la mission de Jésus est représentée par les Chrétiens dans le signe de la Croix, le mystère de la Croix en est la clef de voûte. Or, il n’y a pas de donnée plus contraire aux espérances d’Israël.

Toute la mission de Jésus est représentée par les Chrétiens dans le signe de la Croix, le mystère de la Croix en est la clef de voûte. Or, il n’y a pas de donnée plus contraire aux espérances d’Israël. Il n’y a pas non plus de donnée qui représente plus vitalement le sens même de la mission de Jésus. S’il était une chose que ce milieu était incapable d’inventer, une chose reçue de lui, une chose revêtue de sa personne, c’est sans aucun doute le signe de la Croix : toute cette folie où saint Paul voyait le paradoxe de son apostolat : « Je ne sais qu’une seule chose, c’est Jésus et Jésus crucifié. » (1 Cor. 2:2)

Nous tenons là, quelque chose d’absolument fondamental : la mission du Christ inséparable de l’Église.

C’est ce qui fait que les textes eux-mêmes dont nous disposons et qui émanent de cette société sont pleins de sa vie. Nous sommes là au centre d’une donnée simple, ce qui est au cœur de ces textes, au cœur de cette Église, c’est le mystère de la Croix.

L’accomplissement divin à un degré infini et imprévisible

Or, que représente le mystère de la Croix, sinon la négation de toutes les espérances d’Israël ?

Il suffit de lire les Psaumes pour entrer dans le climat d’Israël qui est une chose magnifique. Toutes les conceptions michelangelesques, tout ce tumulte, toute cette puissance, tout cela n’est qu’un reflet de la piété judaïque qui voyait en Dieu, la Toute-Puissance, parce que Dieu est avant tout, pour eux, le Dieu de majesté, le Dieu qui foudroie la création. Et quand le psalmiste veut louer Dieu, il dira qu’Il n’a pas laissé s’accomplir toute sa colère et qu’il a retenu le bras de sa fureur. Il conçoit que Dieu peut briser et anéantir sa créature parce qu’il est le Dieu Tout-Puissant.

Cette conception est titanesque, immense, magnifique a donné naissance aux accents de la piété la plus sincère et la plus authentique. Mais elle peut tellement s’ouvrir à autre chose.

Quelle distance entre ce climat, entre cette conception de Dieu, entre cette attitude de l’âme devant Dieu et celle de saint François d’Assise ! Quel abîme entre les deux montagnes : le Sinaï et l’Alverne…

Nous tenons ici le centre, justement, de cette nouveauté mystérieuse que le Christ a engagée dans le monde.

Si l’on dit que Jésus est juif et qu’il a accompli les Prophètes, c’est vraiment dans un sens tellement éminent, qu’on pourrait, tout aussi bien, dire qu’il renie toute l’histoire d’Israël, toutes les conceptions du judaïsme. Il se situe tellement plus haut que toutes les conceptions humaines.

Israël, courbé sur ses Prophètes,… a été incapables de voir en Jésus l’accomplissement des Prophètes. Il les accomplissait, oui, mais en esprit, à une hauteur infinie, telle que la foi seule puisse, en faisant le raccord entre la donnée matérielle, ouverte sur le Christ, et l’accomplissement par le Christ de cet élan immatériel.

Ceci est tellement vrai qu’Israël, courbé sur ses Prophètes, que tous ses docteurs, tous ses prêtres entourés de phylactères et portant les textes sacrés, ont été incapables de voir en lui l’accomplissement des Prophètes. Il les accomplissait, oui, mais en esprit, à une hauteur infinie, telle que la foi seule puisse, en faisant le raccord entre la donnée matérielle, ouverte sur le Christ et l’accomplissement par le Christ de cet élan immatériel.

Il en est l’accomplissement divin à un degré infini et imprévisible.

Concevoir un Dieu faible est comme une folie

Nous commençons à entrer par-là, dans ce drame de Jésus, nous comprenons, nous devinons, quelle nécessité va s’imposer au Sauveur lorsqu’il devra lâcher ce grand secret de la faiblesse de Dieu.

Comment faire entendre à ces gens, sans paraître blasphémer que rien de ce qu’ils attendent ne s’accomplira, que le Royaume de Dieu ne viendra pas comme un miracle, qu’il ne sera pas l’accomplissement miraculeux où l’homme recevra toutes faites les choses d’en haut ? Comment dire cela sans se les annihiler ? Comment trouver leur audience ? Comment attirer leur confiance en venant leur apporter le contraire de ce qu’ils attendaient ?

Car enfin, concevoir que Dieu puisse être faible et que le Messie doit terminer sa carrière en mourant comme un bandit, c’est de la folie. Et pour mesurer la folie de cette conception, nous avons le critère de l’attitude de saint Pierre.

Si Dieu est le Dieu de faiblesse et si le Messie est vaincu, il faut renoncer à l’espérance de tout Israël… C’est pourtant cela, le cœur de l’Évangile, le centre du message de Jésus, toute la nouveauté de sa Révélation.

Voilà un homme qui est l’ami du Christ, la pierre sur laquelle va être fondée son Église, l’homme de la fidélité, l’homme passionné qui brûle d’amour. Eh bien ! Cet homme va flancher, renier son maître, parce que c’est l’écroulement de toute sa vie, l’espérance de tout Israël à laquelle il faut renoncer, si Dieu est le Dieu de faiblesse et si le Messie est vaincu.

Il ne le connaît pas, et c’est tellement la vérité : il ne le connaissait qu’à travers la perspective de ses espérances ; il l’a vu comme celui qui réaliserait, qui sauverait Israël et ferait asseoir ses disciples comme des ministres, sur douze trônes.

Quand il le voit emprisonné, il ne le connaît plus.

Si un tel homme n’a pas reconnu le Christ au moment où il fallait changer de vision, où il fallait adopter la religion de la miséricorde ; si à ce moment-là, Pierre a renié Jésus, que devaient être les autres ? Leur situation, leur attitude, leur scandale ?

On imagine la pensée du grand prêtre qui n’était pas un homme de grande foi, plus attaché à ses bénéfices qu’à la loi divine, mais enfin qui croyait aux Prophètes et avait médité de la Loi de Moïse ; pour lui, le suprême blasphème serait de douter de la victoire de Dieu.

C’est pourtant cela, le cœur de l’Évangile, le centre du message de Jésus, toute la nouveauté de sa Révélation.

La fidélité de Dieu pour Israël

Dieu est un Dieu de faiblesse, un Dieu que chacun de nous peut tuer ; rien n’est plus facile car il ne peut pas se défendre. Il peut donner la vie, il ne peut pas inventer la mort ; il peut mourir d’amour, il ne peut pas faire périr.

Revenons à ces textes difficiles.

Est-ce que Dieu – parce qu’il est fidèle à lui-même, fidèle à son Amour – est-ce que Dieu ne se devait pas à lui-même d’être fidèle à Israël ? Est-ce que Jésus n’a pas fait une tentative pour convertir Israël, pour qu’Israël soit le missionnaire de l’Église ?

Car enfin, toute l’histoire d’Israël avait le sens d’une mission : garder le foyer de la religion, de la véritable croyance au vrai Dieu qui est Esprit ; et toutes ses observances en étaient comme les protectrices : ne pas manger sans s’être lavé les mains… n’est-ce pas pour empêcher Israël de se mettre à table avec les païens, afin de garder pure leur foi, comme la lumière des nations ?

Au moment de la venue du Messie, est-ce que la fidélité de Dieu ne sera pas de demander à ce peuple de devenir le missionnaire des nations. ?

Et alors, au moment de la venue du Messie, est-ce que la fidélité de Dieu ne sera pas de demander à ce peuple de devenir le missionnaire des nations ? Et c’est quand Israël refusera d’entrer dans ce plan d’Amour, quand, au lieu de voir dans ce séparatisme le sceau même d’une mission universelle – séparé comme un prêtre, afin d’être le missionnaire des nations, quand Israël verra dans cette séparation un monopole seulement et renoncera à sa vocation, c’est alors que Dieu sera délié de ses promesses : rejeté par son peuple, condamné par lui.

Jésus a accompli sa mission, travaillant à faire d’Israël le missionnaire des nations

Rappelons-nous ce que nous disions des diverses sciences de l’âme de Jésus. Cette donnée si précieuse : qu’il y a en Jésus, non seulement une connaissance béatifique qui permet à son âme d’homme de plonger dans les abîmes de Dieu ; non seulement une science prophétique qui fait de lui le Docteur de toutes les nations, mais une science expérimentale qu’il puise dans le spectacle des choses, dans une connaissance quotidienne des êtres.

En nous plaçant à ce point de vue, du plan expérimental et sachant que sa science béatifique et prophétique sont en dehors du temps, ne pouvons-nous pas penser que sa connaissance expérimentale qui se développe dans la durée, qu’à ce point de vue, Jésus a accompli sa mission, s’est laissé instruire par sa mission, et que pour sa part il a accompli cette mystérieuse fidélité de Dieu en travaillant à faire d’Israël, le missionnaire des nations, tout en sachant d’ailleurs, mais ceci de sa science béatifique, que tout cela serait un échec.

Il y a certains devoirs que nous avons à accomplir quand même, tout en sachant que le résultat ne nous en sera pas connu.

Jésus a été le missionnaire d’Israël…. afin qu’Israël devienne le missionnaire des nations.

Jésus a été le missionnaire d’Israël. Il n’y a pas eu d’infidélité du côté de Dieu, mais du côté de l’homme.

Jésus ira jusqu’au bout de la promesse, jalousement fidèle à être missionnaire d’Israël, afin qu’Israël devienne le missionnaire des nations.

Une perspective universaliste

Quand on regarde les textes, on voit que, parlant de la fin des temps, il est dit : il faut que cet Évangile soit prêché à toutes les nations. La perspective universaliste perce à chaque instant dans les paraboles. Il y a là deux courants : celui du devoir à la fidélité auquel Jésus ne manquera pas et le courant des pressentiments, de la prescience trop certaine : à savoir que son peuple le trahira et le condamnera.

Et de même, lorsqu’on regarde les textes de la Parousie, on voit que Jésus dit dans saint Mathieu, en parlant de cette mystérieuse catastrophe qui mettra fin à Jérusalem, il dit : « Et il en sera comme des jours de Noé : l’un sera pris et l’autre laissé et de deux femmes, l’une sera prise et l’autre laissée. » (Mt. 24:37-41)

S’il s’agissait de la perspective de la fin des temps, il est évident que personne ne serait laissé. Au fond, il faut voir ces textes parce qu’ils sont l’Église avec le mystère de la Croix et la Révélation de la faiblesse de Dieu.

Si Jésus parle de la vision du Royaume de Dieu avec des images empruntées à la vie, il est naturel qu’il en parle sous cette forme, puisqu’il va instituer son sacrement sous la forme du pain et du vin, afin de nous faire prendre conscience que le Royaume de Dieu fait partie du mystère de la Croix et que la royauté de Jésus est au-dedans de nous et que nous ne sommes ouverts à ce Royaume qu’après avoir été crucifiés avec lui.

Jésus ne pouvait tout dire, il s’est servi des paroles mêmes qui étaient en usage dans le peuple. Il a repris cette notion du Royaume de Dieu, en lui donnant un accent nouveau.

Il faut atteindre le fond du texte et ne pas en rester aux mots. Il n’est pas besoin de la prendre dans une autre perspective que celle-ci, à savoir : comme un mouvement vers une révélation plus parfaite ! Jésus ne pouvait tout dire, il s’est servi des paroles mêmes qui étaient en usage dans le peuple. Il a repris cette notion du Royaume de Dieu, en lui donnant un accent nouveau. Il a repris aussi certaines notions courantes de la justice, non pas pour nous dire : ce sera comme ça, mais pour nous dire : le Jugement consistera dans les rapports que vous aurez eus avec le prochain.

L’accent de ce chapitre : « Allez maudits au feu éternel », n’est pas à mettre sur le mot : « maudits », mais l’accent tout entier est sur la charité qui sera le critère en fonction duquel chacun sera jugé.

Dans l’outre usée des mots, le vin nouveau de l’Évangile

Ce sera toujours en fonction du critère intérieur qu’est la révélation centrale du Christianisme… Non pas une parole prise dans un livre, mais un sacrement qui contient l’éternelle Parole de Dieu, qui doit être entendue du dedans, dans l’agenouillement de la foi, prise comme une personne : la personne même de Dieu crucifié.

En un mot, ce sera toujours en fonction du critère intérieur qu’est la révélation centrale du Christianisme, qu’il faudra saisir la révélation des textes dont chacun est un sacrement ; non pas une parole prise dans un livre, mais un sacrement qui contient l’éternelle Parole de Dieu, qui doit être entendue du dedans, dans l’agenouillement de la foi, prise comme une personne : la personne même de Dieu crucifié.

Si on isole ces textes, si on les extrapole, si on les tire hors de la personne de Jésus, ils perdent toute valeur, ils deviennent une matière dont on pourra tout tirer, sauf l’Évangile de Jésus.

Nous savons bien quelle captivité effroyable dut être la langue humaine pour Jésus : dans l’outre usée des mots, il fallait jeter le vin nouveau de l’Évangile qui faisait tout éclater.

Nous sentons que nous ne nous trompons pas lorsque nous remontons vers ces textes à travers le mystère essentiel, au centre de la prédication, lorsque nous les faisons vibrer au contact même du cœur de Jésus.

Il a fallu qu’il supporte le langage humain, qu’il s’en serve, qu’il le remue pour le faire craquer et le faire vibrer à toute la Lumière contenue dans la Parole de Dieu.

Sa puissance c’est l’amour

Le Sacré-Cœur exprime la même chose que la Croix dans un langage tellement simple et humain… Tout le Christianisme n’est qu’un mystère d’Amour si Dieu n’est qu’un Cœur.

Et que cette Révélation soit bien la Révélation centrale, nous en avons un autre critère dans l’évolution même de la pensée chrétienne dans l’Église, et dans cette dernière expression du mystère de Jésus, qui est la révélation du Sacré-Cœur.

Le Sacré-Cœur exprime la même chose que la Croix dans un langage tellement simple et humain, tellement émouvant qu’il faudrait être obstiné pour ne pas comprendre que tout le Christianisme n’est qu’un mystère d’Amour si Dieu n’est qu’un Cœur.

Nous comprenons qu’il n’y a pas de révélation plus véritable que la Croix de Jésus en laquelle est la vie et la Résurrection.

Il faut que nous revenions, pour nous y plonger, dans cette révélation de la Croix et de la faiblesse de Dieu.

Jésus a pu nous révéler cette faiblesse, parce qu’il en est solidaire, qu’il l’a portée dans sa chair jusqu’à la mort.

La notion du Dieu de puissance est la négation du Dieu d’Amour. Il fallait passer de l’une à l’autre et c’est cela qui marque la limite entre les deux Testaments : le Dieu de puissance et le Dieu de faiblesse.

On aurait pu peut-être, avant Jésus, abuser de ce secret de Dieu, parce que ces deux conceptions ne peuvent s’accorder : la notion du Dieu de puissance est la négation du Dieu d’Amour. Il fallait passer de l’une à l’autre et c’est cela qui marque la limite entre les deux Testaments : le Dieu de puissance et le Dieu de faiblesse.

Sans doute n’est-ce pas, nous ne jouons pas sur les mots ; quand nous parlons de la faiblesse de Dieu, c’est aussi comme de la suprême manifestation de sa puissance dans l’ordre de la sainteté. Il n’a pas d’autre puissance que celle de l’Amour.

Dieu ne peut de ce que ne peut l’Amour. C’est cela sa puissance.

Pour donner sa vie pour ses créatures, il faut être Dieu

Nous, notre misère est que nous pouvons ne pas aimer, nous pouvons anéantir les êtres que nous n’aimons pas ; Dieu ne peut pas, parce qu’Il est la vie et la Lumière et qu’il n’est qu’un Cœur. Il peut étendre les bras et mourir, il est si facile de le tuer. Il ne faut pas être un grand génie pour prendre saint François d’Assise et pour le jeter dans le fossé ; il suffit d’être méchant.

Pour chanter le « Cantique du Soleil » il faut être saint François, pour recevoir les stigmates il faut être saint François. Pour donner sa vie pour ses créatures, il faut être Dieu ; il n’y a que lui qui soit capable de cela.

Alors, toute la religion prend une figure humaine. La vertu ne sera plus l’accomplissement de la Loi ; la vertu sera un rapport d’amour avec une personne. Le péché ne sera pas une transgression de la Loi, mais une blessure d’amour infligée à une personne : une blessure dans son cœur, la crucifixion d’un Dieu, la mort d’un Dieu.

Ça change tout. Et on comprend que saint Paul portant ce message ait pu parler de la « folie de la Croix ».

Quel autre mot caractériserait cette mission que ce mot de folie ?

La religion est ce que Dieu peut attendre de nous

Notre religion n’est pas ce que nous pourrons attendre de Dieu, mais ce que Dieu pourra attendre de nous. Cela nous situe dans la vraie Lumière de notre vie chrétienne. Au fond, la grande pureté, c’est de ne plus se regarder soi-même, mais Dieu.

Alors, tout va être changé parce que désormais, la religion ne sera pas ce que nous pouvons attendre de Dieu, elle ne sera pas une protection contre la menace de Dieu. Il n’y a pas de menace de la part de Dieu ; Dieu a tout donné et se donne toujours.

La religion est ce que Dieu peut attendre de nous.

C’est nous qui sommes une menace pour lui : « Jérusalem, combien de fois ai-je voulu rassembler tes enfants comme la poule rassemble ses petits à l’ombre de ses ailes, et tu ne l’as pas voulu. » (Mt. 23:37)

« Il est venu chez les siens, et les siens ne l’ont pas reçu » (Jn. 1:11). « Et le Jugement est : que la Lumière est venue dans le monde et les hommes ont mieux aimé les ténèbres ! »

« O vous tous qui passez, voyez s’il est une douleur semblable à la mienne ? » (Lam. 1:12)

Alors, ceux-là seuls se jugent qui se séparent de lui et qui le condamnent, qui le crucifient. Ce n’est pas lui qui les juge, il ne juge personne, il baisse les yeux devant la femme adultère, il baisse les yeux au sacrement de l’autel, il baisse les yeux devant l’iniquité de ses bourreaux. Il ne veut pas juger nos péchés ; nos péchés le tuent. Il n’a pas besoin de les juger, il les sent en lui, il est atteint au cœur.

C’est cela, c’est dans cette direction qu’il faut chercher Dieu. Notre religion n’est pas ce que nous pourrons attendre de Dieu, mais ce que Dieu pourra attendre de nous.

Cela nous situe dans la vraie Lumière de notre vie chrétienne. Au fond, la grande pureté, c’est de ne plus se regarder soi-même, mais Dieu.

Il faut le regarder, le regarder sans cesse

Un seul péché nous sépare de Jésus, une seule source de faiblesse c’est d’être distraits de sa Présence.

Le grand affranchissement, c’est de ne pas être inquiet pour soi, ni de son salut ; la grande liberté c’est d’être soucieux de la gloire de Dieu, de l’accomplissement de son règne, de sa délivrance de cette captivité où il est enchaîné.

Quand une âme commence à s’inquiéter de Dieu, qu’elle commence à devenir mère de Dieu, à ce moment là, elle entre vraiment dans la foi chrétienne.

Je crois qu’il n’y a pas d’autre chose à faire ou à savoir sinon que Jésus est Jésus crucifié.

Lorsque nous avons des difficultés – et nous en avons tous – lorsque nous sommes environnées de tentations, lorsque nous sombrons sous le poids de nos péchés, tout cela vient de ce que nous n’avons pas regardé Jésus.

Un seul péché nous sépare de lui, une seule source de faiblesse c’est d’être distraits de sa Présence. Dès que nous nous tournons vers nous, nous retombons en notre moi et c’est le péché. La faute essentielle et unique, c’est que nous nous sommes détournés de lui, nous avons cessé de regarder son visage, quitté le refuge de son cœur, nous sommes retombés en nous.

Il faut le regarder, le regarder sans cesse. Quand nous avons cheminé sans penser à lui, il faut revenir à ce signe de la Croix qui est le catéchisme de l’Eglise. Et l’Eglise a semé du signe de la Croix, les routes de la terre parce que c’est la suprême révélation du jugement de Dieu par l’homme. C’est la seule purification.

Tant que Dieu est un maître, nous nous révoltons ; quand il est victime de la douleur, quand il succombe au péché de l’homme, alors quelque chose en nous s’ouvre, tressaille, se donne et commence à compatir, et c’est à cette compassion pour la Passion du Christ que commence la religion chrétienne.

« Jésus sera en agonie jusqu’à la fin du monde. »

« Jésus appelle les hommes et n’en a pas été exaucé. »