18-20/05/2011 – La joie de donner.

Aux
enfants, à Lausanne, entre 1960 et 1962.      

 

 Avec la voix de Maurice Zundel qui nous permet d’entrer plus profondément dans le texte:

   

         Il y a à Paris une oeuvre qu’on appelle l’œuvre des orphelins d’Auteuil. Elle a été fondée par le Père Brottier, un assomptionniste, pour donner un métier – en particulier – donner un métier aux enfants pauvres de manière à leur assurer une existence libre et digne.

         Cette oeuvre s’est développée, heureusement, et il fallait construire de nouveaux bâtiments. Et le directeur avait besoin d’une somme très impor­tante : il lui fallait immédiatement cinq millions. Il avait, il avait naturellement adressé un appel à tous ceux qui s’intéressaient aux apprentis et aux orphelins, et l’argent ne venait pas !

         Et, un jour, se présente, au parloir, une mendiante, une femme en loques qui paraissait tellement misérable que le Frère hésita à la faire entrer. Elle demandait à voir, précisément, le Supérieur de la Maison. Le Supérieur se fit quelque peu attendre et, finalement, il rejoignit la mendiante qui lui dit : Mon Père, vous avez demandé cinq millions, les voilà.

         Cette mendiante avait mendié toute sa vie. Elle avait vécu dans la misère. Elle avait mis de côté cet argent et maintenant, d’un seul coup, elle donnait tout. Et il y avait sur son visage un tel bonheur que, pour la première fois de sa vie, elle apprenait, en effet, la joie de donner – jusqu’ici elle avait reçu, elle avait été humiliée, par sa faute d’ailleurs, elle aurait pu faire autre chose – et maintenant, elle apprenait ce merveilleux bonheur qui est la joie de donner.                                 

         La joie de donner ! Si nous pensons au bonheur de Dieu, je pense que c’est ainsi qu’il faut nous représenter le bonheur de Dieu … c’est la joie de donner.                                                    

         Il y avait une maman qui voulait m’expliquer pourquoi elle aimait son enfant. C’est difficile parce que l’amour est une chose tellement mystérieusequ’aucune parole ne peut dire ! Mais elle me disait, et c’était magnifique : Au fond, si nous les aimons tant, nos petits poupons, c’est parce que ils ont tellement besoin de nous. Du matin au soir, du soir au matin, le jour et la nuit, ils nous réclament, il faut que nous soyons auprès d’eux et il n’y a pas un instant où nous n’ayons à donner.

         Elle aussi, cette maman, découvrait que le miracle de l’amour maternel, c’était la joie du don.

         Il y avait à l’hôpital une infirmière, très dévouée, qui avait soigné une malade qui était presque à la mort, et l’infirmière sans compter sa peine, ni son temps, était toujours auprès d’elle dans tous ses moments où elle n’était pas occupée par d’autres malades ! Elle le faisait de si bon cœur et avec un sourire tellement amical, que pour la malade, l’entrée de l’infirmière dans sa chambre, c’était le soleil qui venait à sa rencontre. Finalement, la malade guérit, et, comme elle était riche – l’infirmière ne le savait pas – elle lui donna un billet de mille francs. Quand l’infirmière reçut cet argent, elle se mit à pleurer elle dit : Mais, je croyais que vous étiez devenue mon amie ! Ce n’était pas de l’argent qu’elle attendait, c’était l’amitié parce que tout ce qu’elle avait fait, elle l’avait fait dans l’amitié et pour la joie du don.                                                                        

         Un homme, qui avait perdu sa femme, n’avait qu’un seul trésor au monde, c’était sa petite fille, une petite fille qu’il adorait, qui était tout pour lui. Et, un jour, sa petite fille se tua aux balançoires. Elle monta si haut que, finalement, elle fit une chute et elle se tua. Le père fut si révolté qu’il voulut se tuer. Et comme il était monté au sommet d’une tour pour se jeter en bas, il découvrit un autre homme, également désespéré, qui voulait se tuer également. Alors quand il vit l’autre prendre son élan pour se jeter dans le vide, il le rattrapa et, en le sauvant, il oublia de se tuer. Il finit par y renoncer, parce qu’il avait trouvé dans la charité, dans le don qu’il venait de faire, une raison de vivre.

         Cette joie du don, c’est celle, celle-là même qui nous rassemble, aujourd’hui. Vous êtes ici, nous sommes tous ici, pour apprendre la joie du don. On nous dit – et on a tort de nous dire – que la messe est une obligation sous peine de péché mortel. Il faudrait nous dire bien plutôt : La messe est une occasion merveilleuse d’entrer dans la joie du don, car on y vient ensemble, on y vient pour les autres on y vient pour former une chaîne d’amour, on y vient pour apprendre à se donner.

         Est-ce que vous pensez, mes chers enfants, vous pensez que Dieu a plaisir à voir des mendiants devant lui ? Non ! Vous pensez que Dieu se complait à entendre nos accusations quand nous nous donnons pour des criminels, quand nous ne cessons de faire des actes de contrition en oubliant de faire des actes d’amour ? Je pense que Dieu n’a aucune joie à notre humi­liation : s’il aime notre humilité, il n’aime pas notre humiliation ! S’il aime notre générosité, il ne veut pas voir en nous des mendiants puisque il veut faire de nous ses fils !                            

         Voyons, vous avez des parents, des parents qui vous aiment, des parents qui se dévouent pour vous, le jour et la nuit. Est-ce que vos parents vous demandent autre chose que votre amour votre affection ? Est-ce que vos parents ont du plaisir à ce que vous vous accusiez du mal que vous avez commis, il y a cinq ans, et que vous vous en accusiez, aujourd’hui et tous les jours de votre vie ? Mais non ! Quand vos parents vous pardonnent, ils vous pardonnent et c’est fini, on n’en parle plus. Et ce qu’ils veulent entre eux et vous,c’est une amitié confiante et joyeuse. Eh
bien ! Dieu est bien plus votre père et votre mère que vos parents, et ce qu’il veut entre vous et lui, c’est une amitié confiante et généreuse.

         Vous pouvez vous donner. Vous pouvez donner quelque chose à Dieu. Vous pouvez donner à Dieu quelque chose qu’il attend éternellement. Vous pouvez lui donner quelque chose que Jésus a demandé à ses apôtres, le soir du Jeudi Saint, en se mettant à genoux devant eux. Et ce que Dieu attend de vous, c’est uniquement cela, votre coeur, votre confiance, votre générosité, votre amitié.

         Il y avait une petite fille qui s’appelait Nelly du Dieu Saint, du moins c’est ainsi qu’on l’a appelée. Une petite irlandaise qui est morte à quatre ans et demi ou cinq ans. Et cette petite fille avait tellement bien compris l’amour de Dieu et que Dieu lui demandait son coeur, qu’elle a demandé, avec tout l’élan de son amour, de communier. Elle a fait sa première communion à quatre ans et demi, avec une ferveur incroyable. Et il y avait en elle tant de lumière, du fait de la présence de Dieu, que tous ceux qui l’entouraient ont eu l’impression de la sainteté, et qu’on l’a appelée Nelly du Dieu Saint.                                                                                                         

         Vous n’êtes pas ici, mes bien chers enfants, pour mendier quelque chose ! Vous êtes ici pour donner quelque chose, pour donner votre coeur, pour vous donner vous-même.

         C’est merveilleux que Dieu ne puisse pas être autre chose que notre ami, qu’il ne puisse pas, qu’il ne veuille pas faire de nous ses serviteurs et que lui, qui est tout coeur et qui est tout amour, ne nous demande jamais autre chose que notre coeur et notre amour.                                          

         Alors nous voulons balayer, une fois pour toutes, cette idée que nous sommes les serviteurs de Dieu. Nous voulons être debout devant Dieu, avec la fierté joyeuse de ceux qui sont ses enfants et nous irons vers lui désormais comme à un ami. Et quand nous le prierons, nous ne chercherons pas dans un livre des mots tout faits. Nous essaierons de lui parler comme on parle à un ami, comme on parle à son papa et à sa maman, comme on parle à l’être qu’on aime le mieux au monde, avec tout l’élan de notre coeur.

         Ce sera tellement merveilleux, notre religion, quand elle ne sera plus ce service ennuyeux où on répète des mots tout faits, où on ressasse ses vieux péchés où on ne cesse pas d’être un mendiant devant Dieu. Comme notre religion sera belle quand nous comprendrons que Dieu est amour, et qu’il faut l’aimer, en aimant les autres pour l’amour de lui, afin que, tous ensemble, nous formions, autour de Jésus, cette grande chaîne d’amour qui doit changer le monde et en faire une grande famille de frères.