17/11/08 La découverte du mystère de la sainte Trinité, source de la plus grande jubilation.

Suite 3 de la 4ème conférence donnée par M. Zundel à l’abbaye de Timadeuc en avril 1973.

« Notre prise de conscience à nous est narcissique, elle retombe sans cesse sur ce « moi » possessif qui nous asphyxie, la prise de conscience en Dieu est essentiellement altruiste : elle va vers l’Autre, c’est pourquoi Dieu est Esprit. Justement l’Esprit, c’est l’être qui peut s’assumer, qui peut s’assumer virginalement, qui peut s’assumer sans coller à soi, qui peut s’assumer en se libérant de soi.

Voilà donc la liberté révélée dans son fondement éternel : Dieu est libre de soi ! Alors nous commençons à comprendre ce que signifie la liberté pour nous, elle se situe dans la même direction, il s’agit de décoller de nous-même, il s’agit de changer de « moi », il s’agit de devenir une pure offrande de nous. Alors on ne subit plus son être quand on s’en désapproprie totalement.*

Et voilà ce mot de désappropriation qui flambe sur tous les horizons, c‘est cela, la désappropriation fondamentale dans le brasier de l’éternelle Trinité, et c’est là notre unique espérance. Toute la vision pyramidale de la grandeur s’écroule ! il ne s’agit pas de dominer, de regar­der de haut en bas, d’avoir des sujets, de se faire une cour, d’occuper une situation ! Il s’agit de tout donner, en se donnant radicalement comme le fait Dieu Lui-même !

C’est un autre monde, c’est un autre univers, c’est un autre homme, c’est une autre échelle des valeurs ! Jésus est à genoux au lavement des pieds, c’est cela la grandeur ! du moins la grandeur selon Dieu, selon le Dieu qui Se révèle en Lui, le Dieu Trinité, la grandeur dans laquelle sa personnalité vit éternellement. Nous ne saurons jamais assez reconnaître la nouveauté de cette confidence. On peut dire que le Christ nous a délivrés de Dieu ! »

« Ah ! comme je comprends le cri de Nietzsche ! « s’il y avait des dieux, comment supporterais-je de n’être pas Dieu ? » En effet, si Dieu est un « Narcisse éternel », s’il est le grand capitaliste qui se repaît de Lui-même, s’il est une grandeur qui nous surplombe et nous limite, et nous menace, alors notre rêve serait de le basculer, de refuser le jeu ! il y aurait comme une espèce de viol de notre esprit à nous obliger à reconnaître cette grandeur qui limite la nôtre !

Mais voilà, tous ces phantasmes s’écroulent devant cette révélation adorable de la Trinité : Dieu ne nous surplombe plus, Il est au plus pro­fond de nous-même un appel à la liberté infinie. Parce qu’Il est liberté, Il ne peut être en nous que le ferment de notre libération, mais d’une libération entièrement imprévisible puisque nous sommes appelés, comme Lui, à faire le vide en nous, pour devenir un espace infini où Sa Vie pourra se répandre.

On n’a rien compris à tout cela ! On a défini les droits de l’homme en consacrant ce statu quo, en investissant l’homme tel qu’il est ! cet embryon, cette larve, qu’on a investi du droit inviolable qu’il est inca­pable de porter ! on n’a pas vu que ses droits concernaient l’être que nous avons à devenir, l’être qui est en avant de nous, l’être que nous avons à créer en nous en décollant de nous-même et en nous donnant totale­ment comme Dieu, à Dieu qui surgit en nous, comme Augustin l’a éprouvé, comme une éternelle offrande d’amour.

Les conséquences de cette révélation sont infinies ! sont infinies ! ce sont absolument toutes les valeurs, toutes les conceptions que l’homme ait jamais pu se forger, qui sont radicalement transformées par cette révélation trinitaire. On respire enfin, on respire ! On n’est pas sous le joug, on est appelé à devenir ce que Dieu est !

On comprend l’enthousiasme de Saint François quand il découvre la pauvreté comme l’Absolu, c’est-à-dire comme Dieu Lui-même. Il ne l’a pas dit, il n’aurait pas d’ailleurs été entendu une seconde ! Il aurait immédiatement été condamné s’il avait parlé de Dieu comme de la pauvreté par essence ! Mais l’essentiel, c’est qu’il l’ait vécu. Il est le premier chrétien peut-être qui ait identifié Dieu avec la Pauvreté. Il a compris que la première béatitude, c’était celle de Dieu ! Que la joie de Dieu, c’est celle du don absolu, que Dieu ne peut rien perdre parce qu’il a tout perdu éternellement ! Car ce Père n’a rien que d’être une révélation à son Fils, comme dit le Père de Régnon, repris par le Père Garrigou :

 » Où trouver ici le moindre égoïsme ? Le « moi » n’est plus qu’une

 » relation subsistante à Celui qui est aimé, Il ne s’approprie plus rien :

 » tout l’égoïsme du Père est de donner sa nature infiniment parfaite

 » à son Fils, en ne retenant pour Lui que sa relation de paternité,

 » par laquelle Il se rapporte encore essentiellement à son Fils. Tout

 » l’égoïsme du Fils et de l’Esprit-Saint est de Se rapporter l’Un à

 » l’Autre, et au Père dont ils procèdent. Ces trois Personnes divines,

 » essentiellement relation l’une à l’autre, constituent l’exemplaire

 » éminent de la vie de Charité.

On nous disait quand nous étions enfants, qu’il s’agissait d’un rébus métaphysique, qu’on n’y comprendrait jamais rien, qu’il ne fallait pas essayer, que « c’était comme ça » que Dieu l’a révélé ! … Comme c’était rétrécir la Révélation !

Mais toute lumière nous vient de là ! Toute lumière sur nous, sur le monde, sur la création, sur le bien, sur le mal, sur la vérité, sur l’Amour, toute lumière nous vient de ce buisson ardent qui brûle au Coeur de Dieu. Et justement, l’impuissance où nous sommes de nous libérer de nous-même, le narcissisme de notre prise de conscience, nous ouvrent à une jubilation sans fin, quand nous rencontrons enfin une prise de conscience essentiellement altruiste, où le regard est toute la Personne, et où le regard est tout entier regard vers l’Autre, et où l’Amour est totalement désapproprié dans une aspiration vers l’Autre !

C’est tellement beau ! tellement merveilleux ! tellement nouveau ! que chaque matin je jubile en pensant que « c’est comme ça » ! C’est vraiment cela, Dieu, le Père, le Fils et le Saint-Esprit, un Coeur et rien qu’un Coeur ! l’Amour, et rien que l’Amour, qui nous appelle à être ce qu’il est, puisque nous avons à « devenir parfaits comme notre Père céleste est parfait ». » (fin de la 4ème conférence)

Note : Zundel jubile ! Et nous, du moins moi, pas ! Pourquoi ? Essayons du moins de dire notre jubilation, même si nous ne la ressentons pas, parce que nous désirons la ressentir, parce que nous devrions la ressentir si nous avions seulement commencé à entrer dans cet immense mystère ! et pour que notre jubilation soit communicative ! le monde a tellement besoin de cette jubilation capable en tout homme, au moins un instant, de résoudre l’insoluble problème que nous sommes, insoluble jusqu’à cette révélation de la Trinité, celui contre lequel les hommes butent même avec la meilleure volonté !

Nous ne pouvons la ressentir et faire ressentir que dans la mesure de notre désappropriation de nous-même !

Maître de l’impossible, apprends-nous le don total de nous-même ! infiniment difficile comme infiniment facile !

Seigneur, que notre joie ne s’arrête plus à ce qui chaque jour peut nous apporter un peu de bonheur ! qu’elle commence au moins à s’assimiler, à faire sienne la joie éternelle du Père, du Fils et de l’Esprit dans leur parfaite désappropriation et parfaite attention à l’Autre ! Joie qui transcende toute imagination humaine mais peut, un instant, devenir nôtre !