17/05/2011 – Dans nos ténèbres, nous tourner vers Marie, notre mère.

 

A Paris, en juin 1928. Cette instruction fut donnée chez les Bénédectines de la rue Monsieur. (La Mère Abbesse du quitter la communauté sous l’impulsion de l’Eveque de Versailles qui la jugeait trop traditionnaliste. Elle emmena avec elle, le document que nous vous proposons. A la mort de celle-çi, ce texte passa dans les mains d’une soeur qui le remit alors au Père de Boissière.) 

 

Etre catholique, quel programme dans ce mot Catholique, c’est-à-dire : universel. Tenir dans ses mains, porter dans son cœur, tout l’univers de la nature et de la grâce.

Qu’est-ce que l’homme ? Ce point imperceptible perdu dans l’espace, ce grain de matière, qu’un souffle entraîne, balaie, détruit ?

Non, car le monde physique tout entier prolonge notre corps qui lui emprunte sa subsistance. La terre nous engendre, comme l’indique ce beau mot de patrie : terre-père.

La lumière nous est un vêtement de gloire, les animaux nous servent. Les tempêtes marquent nos limites. Des milliers de soleils conditionnent notre vie physique. Nous dépendons de tout, mais tout dépend de nous.

C’est par nous, en effet, que l’univers prend conscience de lui-même, s’élève à la vie de l’esprit, offre à Dieu sa louange, dans cet immense Benedicite où toute créature fait entendre sa voix. C’est l’homme qui chante le Cantique du Soleil, que la Sainte Liturgie élargit immensément en faisant des créatures inanimées, des véhicules de grâce divine.

Qu’est-ce que l’homme encore ?

Un individu dont chacun s’oppose à ses semblables, comme un monde fermé, hostile impénétrable ?

Non, toute l’humanité comme un seul homme, depuis Adam jusqu’à la fin, d’un pôle à l’autre, de l’Orient à l’Occident, tous les hommes solidaires dans le temps et dans l’espace, dans le mal comme dans le bien, héritant des tra­vaux du passé, comme de ses fautes, préparant l’avenir, en lui léguant leur acquêt.

Cette dépendance, chaque groupement de peuple, chaque patrie, la rend sensible et l’état général de la civilisation en manifeste la qualité.

L’Eglise la confirme et l’élève infiniment en grou­pant tous les hommes dans une unité visible pour la recherche du bien suprême, pour la conquête de la vie divine.

Qu’est-ce que l’homme encore ?

Une espèce qui lutte pour sa vie physique, pour sa vie surnaturelle, sans pouvoir jamais se reposer dans la certitude d’un résultat définitif, sans jamais lever les yeux au-dessus de sa tâche écrasante ?

Non, car les morts marchent devant elle, ceux du moins qui se sont endormis dans le Christ.

Sa tète émerge dans le Ciel, son effort s’apaise dans ses membres glorifiés, dont elle reçoit à tout instant secours, honneur et gloire.

L’Eglise militante portée par l’Eglise triomphante, la face du Christ tournée vers elle, pour la conduire à la victoire : voilà l’homme dans la totalité de son être, dans l’inexprimable dignité de sa vocation, dans le mystère de son action.

Chacun de nos actes est un mystère essentiellement surnaturel, incompréhensible, impénétrable, imprévisible, sinon à Dieu seul.

Telle est la richesse, la beauté de la vie : proprement infinie. Mais telle est aussi sa complexité et tel son péril, proprement infinis.

La Croix est le pivot autour duquel doivent gra­viter en un rythme indéfectible tous les plans de notre être. Mais quelle Croix ?

Chacun a la sienne, qui est une parcelle de la Croix de Jésus. Faut-il la chercher, aller au-devant d’elle ? Je crois que c’est elle qui vient au-devant de nous.

Unique pour chacun, unique pour chaque moment, mystérieuse et reconnaissable seulement au regard de la Foi et qu’il faut saisir avec un infini respect, comme la tendre main de Dieu, qui écarte le voile de nos cœurs, qui dissipe les ténèbres du moi.

Tout rameau qui en moi porte du fruit, il l’émonde, pour qu’il porte encore plus de fruits. (Jn.15/2)

Une fidélité de tous les instants est ici requise, sous peine de fausser l’orientation de tout l’être et de donner, si j’ose dire, le coup de pouce à gauche ou à droi­te, dans une dangereuse exaltation de la nature ou dans une non moins dangereuse exaltation d’une grâce qui suffit aux efforts d’un commençant, mais qui ne suffirait pas à l’accom­plissement d’un acte héroïque qui ne nous est peut-être pas demandé. J’ai encore beaucoup de choses à vous dire, mais vous ne pourriez pas les porter. (J.16/I2)

Je pense à cette religieuse, qui pour mortifier ses sens, refusa durant tout un voyage, de contempler le paysage qui défilait devant ses yeux.

L’intention était certainement louable, mais si elle avait pu s’enrichir de toute la beauté que Dieu a ré­pandue dans les choses, si elle en avait fait le thème d’un psau­me de louange et d’action de grâces, n’eût-ce pas été un acte d’Amour aussi parfait ?`

Ainsi, constamment, la vie nous place en face de problèmes où nous risquons, avec des intentions ver­tueuses, de méconnaître les dons de Dieu, de simplifier mécaniquement les données du problème, de mutiler quelque aspect de notre être.

Que faire alors, dans cette impuissance de dire oui ou non, dans cet écartèlement d’une conscience acca­blée par ses richesses et par ses infirmités ? Que faire dans cet embarras ?

Se tourner vers celle dont la tendresse, pour tirer d’embarras les époux de Cana sut obtenir le formidable mi­racle, qui fut, selon saint Jean, le premier miracle de Jésus.

Se donner – chaque fois que la conscience hésite que la solution paraît introuvable, que la lumière sombre et que la force fléchit – les quinze secondes nécessaires pour faire jaillir cet appel de tout l’être :

Montrez que vous êtes ma mère

Le poète Péguy, ne pouvant, après sa conversion, assurer le Baptême à ses enfants, sans porter la guerre à son foyer, s’en allait à pied, de Paris à Chartres, remet­tre à la Sainte Vierge ses enfants : vous les sauverez, ils sont à vous, moi, je ne puis pas.

On lit dans les chroniques de Notre-Dame de Lausannet qu’à maintes reprises des soldats captifs de barons voisins, ayant réussi à user les fers qui scellaient leurs chaînes, se jetaient dans le vide, après s’être rendus à la Sainte Vierge et s’en venaient sains et saufs porter à la Cathédrale leurs chaînes en ex-voto.

Nous pouvons tous imiter ce geste, et remettant entre les mains de la Sainte Vierge, tous nos intérêts, ceux du temps comme ceux de l’éternité, nous rendre à sa discré­tion, nous engageant à ne rien faire sans elle, à nous lais­ser conduire et porter par elle, comme de tous petits enfants qui peuvent, tenue par leur mère, faire des choses qui les dépassent et qui sont pourtant leur oeuvre.                                                                                                        

Mère de Dieu, et mère des hommes,

O Vierge qui savez le prix de notre vie,

Gardez ce trésor dans votre coeur immaculé

et faites que pas une parcelle n’en soit perdue

Pour la gloire de votre Fils.

Je me rends à vous

Prenez-moi

Montrez que vous êtes ma mère.                                  Frère Benoît