15-21/10/2017 – Conférence – Eucharistie et Corps mystique

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15/10/2017 octobre 2017

ancienne publication: 24-27/03/2009

Conférence sur l’Eucharistie de Maurice Zundel donnée en 1953 aux religieuses de saint Augustin à Saint Maurice en Suisse. Publié dans « Avec Dieu dans le quotidien ». (11) Les titres sont ajoutés.

Résumé : Nous ne pouvons atteindre Jésus-Christ que si nous ouvrons notre cœur sans frontières et sans limite à toute l’humanité. L’Eucharistie est une présence communautaire. A la consécration, ce n’est pas l’humanité de Jésus qui se rend présente sur la terre alors qu’il est toujours présent, non seulement par sa divinité, mais par son humanité. C’est nous qui devenons présents à cette humanité. L’Eucharistie est ce foyer central, où toute l’humanité se met en votre cœur pour se planter en Son amour.

La cause essentielle de la présence réelle eucharistique est d’être la présence communautaire (1)

Agapè, charité et amour

Saint Ignace d’Antioche, qui vivait au commencement du deuxième siècle, écrivait à l’Église de Rome sur le chemin de son martyre, et il l’appelait, cette Église de Rome, la présidente de la charité, donc l’Église qui préside à la charité : l’Église romaine est au centre de ce mystère de charité qu’est l’Église, pour Ignace d’Antioche, l’Église est l’Agapè, la Charité.

C’est sûrement la plus grande manière de désigner l’Église que de l’appeler la Charité, l’Amour, et ce qui est magnifique, c’est que c’est précisément un martyr qui la désigne ainsi sur le chemin de son supplice, dans une lettre où il demande aux romains de ne pas intervenir en sa faveur. C’est cela qui est touchant, de voir que c’est ce martyr qui a trouvé cette appellation incomparable : l’Église, c’est l’Agapè, c’est l’Amour.

On donnait aussi ce nom d’Agapè au banquet de la communauté chrétienne qui se terminait par l’Eucharistie. Dans la 1ère épître aux Corinthiens, il en est question, et il semble que cet usage ait duré quelque peu et que les communautés se soient d’abord réunies pour manger ensemble, et que le terme suprême de ce banquet était l’Eucharistie, ce qui est tout naturel, puisque l’Eucharistie est le banquet de la communauté.

Il y a un rapport extrêmement étroit entre l’Église et l’Eucharistie, qui est la présence communautaire de Jésus.

Si on retrouve la même appellation pour l’Église et pour le banquet communautaire, c’est qu’il y a un rapport extrêmement étroit entre l’Église et l’Eucharistie, qui est en effet la présence communautaire de Jésus.

Une présence communautaire

Il est extrêmement important de développer ce thème pour bien marquer la place de la présence réelle dans le mystère de l’Église. Les catholiques se sont accrochés à la réalité de la présence réelle de Notre-Seigneur au Saint Sacrement et ils ont matérialisé cette présence contre les protestants qui, eux, étaient contre cette matérialisation et l’ont réduite à quelque chose de symbolique.

Des deux côtés, on a perdu de vue la cause essentielle de la présence réelle qui est d’être la présence communautaire. Cela veut dire que Notre-Seigneur ne pouvait être présent à l’humanité que sous forme d’une Église ! Cela veut dire que Notre-Seigneur est le second Adam, comme le dit saint Paul. Notre-Seigneur, en qui toute l’histoire se recommence et se récapitule, Notre-Seigneur qui est au centre de l’univers, Notre-Seigneur qui rallie en sa personne toute la création pour que l’univers entier ne soit qu’une seule personne en sa personne, ne pouvait justement donner comme rendez-vous à l’humanité que cette Église qui répond aux exigences de la communauté.

Le Christ est infiniment ouvert aux hommes comme Il est infiniment ouvert à Dieu… Il est Celui qui contient toute l’humanité dans son humanité.

Et c’est possible puisque le Christ est infiniment ouvert aux hommes comme Il est infiniment ouvert à Dieu, car vous savez qu’il y a dans l’Évangile cette double appellation : Jésus est à la fois le Fils de Dieu et le Fils de l’Homme, c’est-à-dire qu’il est l’Homme dans un sens unique. Homme, Il ne l’est pas comme nous, pour Lui c’est son nom propre, Il est Celui qui contient toute l’humanité dans sa personne parce qu’en Lui l’humanité n’a pas de frontières.

Nous, nous sommes un membre infime, un grain de poussière dans cette immense multitude ! Le Christ, au contraire, est Celui qui contient toute l’humanité dans son humanité. Il n’est pas un homme, Il est l’Homme, et c’est pourquoi, en Lui, « homme » est un nom propre.

L’Homme universel

Pour nous, être homme, c’est être un exemplaire sur ces deux milliards cinq cent millions d’hommes qui vivent maintenant sur la terre [en 1968]. Nous sommes un homme, tandis que Jésus-Christ est l’Homme. Il contient dans sa personne toute l’espèce humaine, toute l’histoire humaine.

Si Jésus-Christ est l’Homme avec cette puissance unique, c’est parce qu’il est ouvert du côté de Dieu d’une manière unique, c’est parce que son moi est Dieu.

S’il est l’Homme avec cette puissance unique, c’est parce qu’il est ouvert du côté de Dieu d’une manière unique, c’est parce que son moi est Dieu (2). Notre-Seigneur n’est pas l’homme d’un peuple, d’un temps, d’une époque, Il est l’Homme universel qui porte dans sa vie toute l’humanité, qui récapitule dans son histoire toute l’histoire, qui est le contrepoids d’amour qui équilibre toutes les fautes humaines.

À cause de cela, Notre-Seigneur ne peut que regarder toute l’humanité à la fois et assumer tous les hommes dans cette humanité, sans exclure personne. Et si nous voulons suivre Jésus-Christ, si nous voulons être ses disciples, nous devons entrer dans la catholicité de Jésus-Christ.

Jésus est catholique parce qu’il embrasse toute l’humanité, et si nous devenons ses disciples, si nous voulons être ce qu’Il est, nous ne pouvons aller à Lui qu’en embrassant avec Lui toute l’humanité, toute l’histoire et tout l’univers. Si nous voulons absorber Jésus- Christ dans notre vie, si nous voulons réduire Jésus-Christ aux rapports que nous avons avec Lui, Il devient une idole ! Le vrai Christ ouvert à toute l’humanité, qui porte toute l’histoire, nous ne pouvons l’atteindre que si nous ouvrons notre cœur sans frontières, sans limite à toute l’humanité.

Le rendez-vous que Jésus-Christ nous donne, c’est d’abord un rendez-vous communautaire, et c’est le sens de l’Eucharistie. C’est un rendez-vous communautaire où, si vous le voulez, le Christ dit aux hommes, comme à Madeleine qui voulait le toucher après sa résurrection : « Ne me touche pas, parce que tu ne peux pas me saisir. Si tu veux me saisir, il faut passer par l’universel et il faut passer par le mystère de l’Église, par la présence communautaire. Parce que si tu voulais me saisir avec tes mains, tu me réduirais à ta mesure et tu ferais de moi une idole. Si tu veux vraiment m’étreindre, il faut m’étreindre dans mon ouverture à toute l’humanité ! C’est alors que tu m’étreindras vraiment, quand ton cœur se sera ouvert et dilaté à la mesure du mien. »

L’Eucharistie instituée pour que nous soyons réellement présents à l’Humanité du Christ (3)

Il est présent, c’est nous qui sommes absents

Remarquez bien ceci : de même que l’Incarnation ne signifie pas que Dieu est descendu du ciel pour venir sur terre où Il n’existait pas, Dieu était déjà dans le monde, mais le monde ne le connaissait pas, de même que l’Incarnation signifie une humanité devenue infiniment présente à Dieu qui était, Lui, toujours présent à l’humanité, de même l’Eucharistie ne veut pas dire que Jésus-Christ Notre-Seigneur devient présent alors qu’il ne l’était pas ! Notre-Seigneur est toujours présent à l’humanité non seulement par sa divinité, mais par son humanité.

L’humanité de Notre-Seigneur est toujours présente à chacun de nous… c’est nous qui ne sommes pas présents à l’humanité de Notre-Seigneur.

Il faut dire davantage : l’humanité de Notre-Seigneur est toujours présente à chacun de nous. Il est la lumière qui éclaire tout homme, toute grâce nous vient par son humanité, par conséquent l’humanité de Notre-Seigneur ne cesse jamais de nous être présente, c’est nous qui ne sommes pas présents à l’humanité de Notre-Seigneur. (4)

Par conséquent, de même qu’en l’Incarnation de Jésus l’humanité est devenue présente à Dieu qui était toujours présent, de même, au moment de la consécration, ce n’est pas l’humanité de Jésus qui commence d’être présente sur la terre alors qu’il était déjà présent, c’est nous qui devenons présents à cette humanité.

Cela veut dire, en d’autres termes, que si l’humanité de Notre Seigneur nous accompagne toujours comme Il accompagnait les disciples d’Emmaüs sur le chemin, s’il est vrai qu’Il est toujours intérieur à nous-mêmes, il est vrai aussi que nous n’avons pas prise sur le Christ, que nos yeux sont fermés comme ceux des disciples d’Emmaüs, Il est présent, c’est nous qui sommes absents.

Le mystère de l’Eucharistie, c’est de nous ouvrir à cette présence et de la faire circuler en nous.

Le mystère de l’Eucharistie, c’est de nous ouvrir à cette présence et de la faire circuler en nous.

D’intimité à intimité

Si vous le voulez, pour prendre une comparaison très imparfaite et qu’il faudra oublier aussitôt, Notre-Seigneur est toujours présent par sa divinité et son humanité, comme sont présentes dans cette chapelle, sans qu’on les entende, les ondes radiophoniques, avec d’ailleurs toute la musique du monde émise par la radio : la consécration, c’est l’ouverture de la radio, qui permet de capter cette présence déjà donnée, mais sur laquelle nous n’avions pas prise.

Ne vous étonnez pas : l’intimité de l’âme, l’intimité d’un être, vous savez très bien qu’on ne peut l’atteindre avec ses mains. Si on vous donne la main pour sentir votre amitié, qu’est-ce que l’on sent dans votre main ? Est-ce que votre amitié est au bout du doigt ? Est-ce là que loge votre amitié ? Où est votre amitié ? Est-elle au bout de votre bras ? Ou bien est-elle au fond le plus intime de votre cœur de chair ?

Nous n’avons prise sur Notre Seigneur qui est l’amour, l’amour universel, que si notre cœur s’ouvre et devient un cœur sans frontières, comme le Cœur de Notre-Seigneur.

Si votre cœur de chair est le symbole de votre tendresse, vous savez très bien que votre amitié ne peut être saisie avec des mains et que votre amitié est là où est votre personne, là où est votre mystère, ce mystère que vous ne découvrez que lorsque vous êtes dans le dialogue de lumière et d’amour avec Dieu. Votre amitié, on ne peut la saisir qu’avec l’amitié. Celle qui vous aime vraiment avec sa propre intimité, elle entre en contact avec votre intimité, il faut donc que son cœur soit ouvert pour entendre le vôtre et, de même, nous n’avons prise sur Notre Seigneur qui est l’amour, l’amour universel, que si notre cœur s’ouvre et devient un cœur sans frontières, comme le Cœur de Notre-Seigneur.

Une humanité présente au Christ

Et justement, c’est ce que nous comprenons dans la liturgie. La consécration consiste à nous mettre dans la ligne de la catholicité. Nous venons au pied de la croix, nous réclamons Notre-Seigneur et nous disons au moment de la consécration sur le Corps du Christ ce que la Vierge disait lorsqu’elle le recevait dans ses bras : « Ceci est mon corps, ceci est mon sang. »

Nous nous identifions avec ce corps crucifié, nous nous identifions avec l’amour immolé, et alors le Christ peut nous atteindre, Il s’identifie avec nous, Il dit sur nous aussi : « Ceci est mon corps, ceci est mon sang », et nous sommes échangés avec Lui.

Ce qui est essentiel dans l’Eucharistie, c’est cette ouverture de l’humanité à Jésus-Christ dans le mystère de l’Église, où personne n’est exclu, afin que notre cœur ne limite pas le Christ, n’en fasse pas une idole.

L’Église, c’est nous avec Jésus, c’est nous devenus immenses, universels, comme Jésus, pour porter avec Jésus et en Lui toute l’humanité, tout l’univers… Il est absolument nécessaire d’envisager cette chaîne d’amour qui se constitue autour de Jésus.

L’Église, c’est nous avec Jésus, c’est nous devenus immenses, universels, comme Jésus, pour porter avec Jésus et en Lui toute l’humanité, tout l’univers.

Je ne sais si je me fais bien comprendre. L’Eucharistie, ce n’est pas une espèce de rite magique qui précipite Jésus sur la terre ! Au moment de la consécration jaillit le De profundis de l’Église qui s’offre à Lui, qui fait craquer toutes les limites, qui accepte de porter avec le Christ toute l’humanité et tout l’univers, en s’identifiant avec Lui, en disant : « Ceci est mon corps, ceci est mon sang. »

Le Christ est vraiment au milieu de nous tandis que nous sommes à sa table et que nous communions à Lui en communiant les uns aux autres. Il est absolument nécessaire d’envisager cette chaîne d’amour qui se constitue autour de Jésus, c’est toute l’humanité qui devient présente au Christ qui, Lui, est éternellement présent, et qui nous demande, pour l’atteindre, de ne pas le saisir avec nos mains, mais de le saisir par la communauté, dans la communauté, au nom de la communauté, avec un cœur universel qui fait qu’en nous donnant à Lui, nous nous donnons, en Lui, au monde entier.

Votre communion, c’est toujours la communion de toute l’Église, de toute l’humanité, de tout l’Univers… (5)

La communion a l’ampleur universelle d’un foyer d’amour

La consécration, l’Eucharistie, c’est vraiment, au sens où le disait Ignace d’Antioche, l’Amour. C’est, dans le langage de saint Jean de la Croix, la vive flamme d’amour où se rencontrent le Cœur de Jésus-Christ et le cœur de l’Église. Ceci est absolument capital, parce que l’Eucharistie n’est jamais quelque chose de privé.

La Messe est toujours universelle. Communier, c’est s’ouvrir infiniment à l’amour du Christ en s’ouvrant sans limite à l’humanité, en sorte que toute communion, c’est une lumière pour tous les hommes. La communion a cette ampleur universelle, elle atteint le monde entier, sinon elle est une pure magie qui fait de Jésus une idole.

Vous comprendrez ceci si vous vous imaginez que, dans l’Église, si cela était possible, il n’y eût plus une seule personne qui aimât, au moins une seule qui ne fût tout refus, blasphème, haine ! Imaginez que la Messe soit célébrée dans une humanité où plus personne, y compris le prêtre qui célèbre, n’aimât le Christ : la Messe serait un blasphème, parce qu’on tenterait de saisir le Christ matériellement ! On le réduirait à une espèce d’idole qui obéit à une parole magique, alors que l’Eucharistie, c’est saisir le Christ avec son Cœur, c’est s’ouvrir à son amour. La Messe n’est légitime que s’il y a quelque part un cœur aimant qui l’appelle. Heureusement, il y aura toujours dans l’Église au moins une âme qui sera le foyer de toutes les Messes qui se célèbrent et qui permettra à cette présence de luire comme un foyer d’amour.

S’il n’y avait plus d’amour, la Messe serait une abomination. Il s’ensuit d’ailleurs, comme saint Thomas l’a précisément dit, que, dans l’Eucharistie, il n’y a pas de présence locale, autrement dit, que dans l’Eucharistie il n’est pas possible de saisir Jésus avec ses mains. Ce que nous saisissons, ce sont les apparences, ce que nous mettons dans notre bouche, ce sont les espèces du pain et du vin.

La communion, une identification mystérieuse avec l’existence universelle de Jésus

Nous n’avons pas de contact physique avec le Christ, nous n’avons avec le Christ que ce contact semblable à celui que nous avons avec nos amis, c’est ce contact que nous avons avec le Christ, en sorte qu’en mangeant les espèces physiquement, nous nous nourrissons spirituellement de la personne de Jésus. (6)

C’est pourquoi, saint Thomas affirmait qu’il est impossible de voir, avec les yeux de la chair, dans l’Eucharistie le Christ, que toutes les visions qui se sont groupées autour de l’Eucharistie sont des visions, non pas des apparitions objectives de Jésus, car, si c’est vrai que l’Eucharistie est le foyer de la présence réelle, ce n’est pas une présence que l’on puisse saisir avec les mains. (6)

Il y a donc dans l’Eucharistie le foyer de l’universel amour, la vive flamme d’amour, où le cœur de l’Église rencontre le Cœur de Jésus, à condition, justement, que nos cœurs soient ouverts universellement et que nous ne réduisions pas le Christ à un petit bon Dieu fabriqué à notre usage, que nous puissions mettre dans notre poche.

La communion est quelque chose d’universel, et la manducation, c’est ce signe qui représente une autre manducation, une identification mystérieuse qui s’accomplit au plus profond de nous-mêmes, si nous sommes accordés avec l’existence universelle de Jésus.

Votre communion, c’est toujours la communion de toute l’Église, de toute l’humanité, de tout l’univers, et c’est pourquoi vous pouvez venir communier si vous n’avez aucun sentiment sensible, parce que votre communion est celle de l’Église tout entière.

Il est capital de donner à la présence eucharistique toute sa grandeur pour que nous ne limitions pas cette présence à une espèce d’idolâtrie.

Une transformation de nous-mêmes en Jésus-Christ pour que notre vie soit charité

Assister au Saint Sacrifice, c’est pour agrandir notre cœur aux dimensions du Cœur du Christ et porter en notre amour toute l’humanité.

Quand nous assistons au Saint Sacrifice, c’est toujours pour agrandir notre cœur aux dimensions du Cœur du Christ et porter en notre amour toute l’humanité, autrement Jésus serait une idole qu’on porte dans sa poche.

Mais quand nous portons l’Eucharistie, le Christ n’est pas transporté. Quand nous mangeons l’hostie, le Christ n’est pas mangé. Tout cela, ce sont les signes de quelque chose qui dépasse tous les mots, il s’agit d’une transformation de nous-mêmes en Jésus-Christ où tous ces signes ne veulent dire qu’une seule chose : la charité du Christ nous transformant en Lui-même, pour que notre vie soit charité.

Tout cela est infiniment profond, infiniment pur et demeure une exigence universelle. Si, devant l’Eucharistie, nous n’avons pas cette impression d’exigence universelle, alors nous voulons comme matérialiser, saisir le Christ avec nos mains, et nous le réduisons à être une idole, alors que nous ne pouvons Le saisir qu’avec notre cœur et si notre cœur devient universel.

II est impossible devant cette présentation que n’importe qui puisse faire la moindre objection si nous ramenons le Christ à cette immensité.

La réalité de la présence de Notre-Seigneur, c’est la réalité la plus formidable qui soit, mais qui demande que nous grandissions pour l’atteindre et que notre cœur se fasse aussi vaste que le sien.

La réalité de la présence de Notre-Seigneur, c’est la réalité la plus formidable qui soit, mais qui demande que nous grandissions pour l’atteindre et que notre cœur se fasse aussi vaste que le sien.

Être soi-même une présence

Combien d’âmes communient chaque jour et cela ne conduit à rien ! Toute leur journée se passe en papotages, en petites histoires, etc. On a communié tous les jours, cela ne veut rien dire. Communier, c’est entrer dans la catholicité, c’est capital, il s’agit de savoir si nous sommes des idolâtres ou si nous sommes dans la religion de l’esprit ! C’est de l’idolâtrie de mettre le Christ dans sa poche. C’est vrai, si nous répondons aux avances du Christ, avec un cœur à sa dimension.

Il y a dans l’Eucharistie une formidable exigence, et quand nous entrons dans une église et que nous voyons la petite lampe du sanctuaire qui indique Sa présence, nous pouvons dire : « oui, c’est vrai dans la mesure où je suis moi-même une présence réelle à toute l’Église, à tout l’univers. »

Le sens de l’Eucharistie : nous allons à la rencontre de la Croix et nous devenons le corps et le sang du Christ… (7)

Le vrai tabernacle c’est un cœur qui n’a pas de frontière

À quoi cela sert-il que Jésus soit dans des tabernacles de bois si nous n’en vivons pas ? Les vrais tabernacles, c’est nous-mêmes.

Il faut que le Bon Dieu soit dans notre cœur, qu’il vive en nous, que nous soyons nous-mêmes des tabernacles. À quoi cela sert-il que Jésus soit dans des tabernacles de bois si nous n’en vivons pas ? Les vrais tabernacles, c’est nous-mêmes.

Pour moi, le sens de l’Eucharistie est beaucoup plus celui d’une action telle qu’elle s’accomplit à la Messe, où nous allons à la rencontre de la croix et où nous devenons le corps et le sang du Christ, que celui d’une espèce d’exposition que nous faisons du Saint Sacrement (8). L’exposition du Saint Sacrement n’a de sens que si elle est le renouvellement de notre donation de nous-mêmes qui nous permet de devenir universels.

Catholique veut dire : je suis donné à chacun, je suis le débiteur de tous, celui dont chacun peut demander la vie, parce que je suis l’Église. Mon cœur n’a pas de frontières, voilà ce que c’est que d’être catholique : mon cœur n’a pas de frontières, et chacun est chez lui dans mon cœur.

Quand vous lisez le journal et que vous voyez des accidents, des morts, tous les morts sont vos morts ! Toutes les nouvelles du journal sont les nouvelles de votre famille. Quand vous lisez le Courrier (9) et que vous vous demandez : « Est-ce que j’ai le droit de lire le journal ? », je crois bien sûr que vous en avez le droit, parce que c’est le journal de la famille humaine, ce sont les nouvelles que vous êtes chargées de porter dans votre cœur, parce que le monde entier est votre famille.

Tout cela est à vous, c’est à vous ! Vous en êtes chargées, et votre communion a ce sens de répandre l’amour et la charité du Christ sur le monde qui ne peut vivre que par le Christ.

L’Eucharistie est ce foyer central où toute l’humanité se met en votre cœur pour se planter en Son amour. À la transsubstantiation, le pain et le vin deviennent une relation mystérieuse avec cette présence qui est déjà là.

L’Eucharistie est ce foyer central, où toute l’humanité se met en votre cœur pour se planter en Son amour. Ce qui se passe à la transsubstantiation, c’est que le pain et le vin deviennent une relation mystérieuse avec cette présence qui est déjà là, mais que nous ne pouvons pas saisir.

Notre-Seigneur est le soleil de l’humanité, mais c’est un soleil qu’aucun visage ne peut voir. Il y a donc dans l’Eucharistie un appel, un cri d’amour de l’Église vers le Seigneur et du Seigneur vers son Église, et c’est là que le mot Église a vraiment un sens, il a ce sens merveilleux que l’Église, c’est vous.

La petite paysanne de la Suisse allemande

Vous vous souvenez de cette femme dont je vous ai déjà parlé, qui était une petite paysanne de la Suisse allemande, très douée, très intelligente, et qui avait perdu ses parents en bas âge. Elle ne les avait pas connus et avait été élevée par des religieuses en Suisse allemande, comme on était élevé à cette époque – il y a à peu près un siècle [donc au milieu du 19èmesiècle] – où les pensionnats étaient des cages, où il y avait plus de coups de bâton que de gâteaux, où le Bon Dieu était un personnage surtout craint. Cette petite fille avait encaissé le Bon Dieu en quelque sorte comme les coups qu’elle recevait et elle n’avait pas pour Lui un amour extraordinaire.

Quand elle sortit de l’orphelinat, on la mit en apprentissage dans une fabrique de chapeaux, et cette jeune fille, qui était très belle, fit la rencontre d’un jeune homme qui lui fit la cour et lui dit : « Je t’aime ! » Elle n’avait jamais entendu ce mot-là parce qu’elle n’avait jamais connu sa mère. Elle se jeta dans cette déclaration comme dans une promesse de bonheur, elle épousa ce garçon.

Elle s’aperçut tout de suite que ce garçon qu’elle avait épousé était un ivrogne dont le vin était mauvais et qui la battait comme plâtre. Cette jeune fille, qui avait donné tout son cœur à son foyer, qui ne savait pas ce que c’était qu’une maison, qui s’était dit : « Je serai chez moi. J’aurai un foyer », s’aperçoit que son foyer, ce sont les insultes, les coups.

C’est dans ce drame qu’elle commence à se retourner vers Dieu. Elle se donne à Dieu magnifiquement, totalement, parce qu’il n’y a plus que Dieu pour elle. Son mari, qui n’est pas un sot, comprend, il comprend que sa femme a trouvé quelque part un Visage, iI est jaloux de ce Dieu qui devient son centre et son tout ! Il ne peut pas le lui enlever, mais il va se venger en l’empêchant de garder son enfant. Il va empêcher cette femme de donner à son enfant son goût du Dieu qu’elle a retrouvé, il empêchera la mère de communiquer le secret d’amour dont elle vit, il voudra lui enlever le seul être qu’elle aurait pu donner à Dieu.

Elle le donne alors à Dieu dans le secret de son cœur. Elle entre vraiment dans un silence d’hostie et elle ne demande plus rien. Son ménage est parfaitement tenu, elle arrive à équilibrer son budget en travaillant naturellement de son côté.

Son garçon a grandi, toujours soustrait à l’influence de sa mère, jusqu’à ce qu’il ait trente ans et au-delà. Et naturellement, parce qu’il ne savait pas l’appel qui retentissait dans son cœur, il ne fit rien de sa vie. Il ne freinait aucune de ses passions et s’y abandonnait sans contrôle. Quand il n’avait plus rien, il revenait à sa mère et cette mère payait les dettes de son fils, l’habillait, puis il recommençait sa vie de désordre.

À la fin, après trente ans de cette vie et plus, il revient, tuberculeux. Les sanatoriums ne veulent même plus de lui, et c’est alors que se situe ce dialogue, dont je vous ai déjà parlé, le dialogue de cette femme devant ce fils condamné à mort, ce dialogue merveilleux où elle demande à Dieu une seule chose : qu’il ne meure pas sans un regard vers Lui. Elle ne demande rien pour elle, mais elle demande que cette vie ne s’achève pas sans un regard vers Dieu.

Elle ne dit rien. Elle le veille jour et nuit dans un silence héroïque. Et c’est alors que ce fils rencontre un prêtre qui observe le même silence que sa mère. Un jour, le fils lui raconte toute sa vie et lui dit : « C’est vrai, je n’ai jamais eu de religion, mais maintenant je veux avoir la religion de ma mère. » Et il disait à sa mère : « Maman, si tu m’avais parlé de Dieu, je ne me serais jamais converti. Parce que tu ne m’en as jamais parlé, j’ai compris, en toi, à travers toi. »

La Mère-Église

Il avait deviné le visage de Dieu, le silence de Dieu, car il l’avait senti dans le silence de sa mère, et cette femme a sauvé son fils sans rien dire, simplement parce qu’elle était devenue l’ostensoir de Jésus (10). Elle avait demandé que son fils mourût le jour de la Toussaint, et il mourut ce jour-là. Elle l’a vraiment rendu au Seigneur, sans rien demander pour elle.

Eh bien ! Cette femme que je vénère comme une sainte, elle me fait penser à cette Mère Église (10) ! Elle ne savait pas, elle ne connaissait pas sa grandeur, elle ne voyait pas comme elle était grande, magnifique, héroïque !

Son fils a eu le bonheur de voir le Christ transparaître sur le visage de sa mère. Il a vu le visage du Christ sur la figure de sa mère.

Si nous communions, c’est pour être transformés en la présence réelle, pour être nous-mêmes une présence réelle…, c’est chacune [chacun] de vous qui êtes le ciboire, l’ostensoir et l’église.

Voilà ce qui nous est proposé : être la Mère-Église. Ce n’est pas se croire obligé de parler d’elle toute la journée, c’est avoir communié à cette présence, car si nous communions, c’est pour être transformés en la présence réelle, pour être nous-mêmes une présence réelle, parce que les véritables tabernacles, les véritables ciboires, c’est nous-mêmes ! C’est chacune de vous qui êtes le ciboire, l’ostensoir et l’église.

Cette présence qui ne fait jamais de bruit, c’est la seule présence qui soit efficace, c’est ce que les hommes attendent, ils attendent que nous soyons la Mère-Église et qu’ils puissent retrouver en nous le visage de l’éternel amour, ce visage du Christ qui ne peut pas se donner à l’un en excluant les autres.

Puisque l’Eucharistie, c’est nous, c’est vous, la définition de notre vie, de votre vie, le programme de toute votre vie, ce à l’égard de quoi tout est moyen, notre vocation, voilà ce que c’est : être la Mère-Église, être Agapè, être Amour (10).


Notes du Père Debains

(1) Cela veut dire que, si le Seigneur est réellement présent en l’Eucharistie, il y est en tant que présent à la communauté de l’humanité entière. Et quand nous recevons le Christ dans la communion, nous le recevons dans sa relation à l’humanité entière, qui donc est, d’une certaine manière, réellement présente en nous, et en elle l’Église entière. Et nous communions pour l’Église entière, et pour la communauté de tous les hommes.

(2) Le but de l’incarnation divine est, au niveau de chaque homme, que son moi aussi soit Dieu, que, lorsqu’il dit je ou moi, ce soit le Moi de Dieu qui s’exprime, que ce soit Dieu lui-même qui s’exprime en et par lui, et que, de ce fait, il œuvre à l’unification de l’humanité entière.

(3) Au moment de la consécration nous avons, comme la Vierge Marie, à nous identifier avec l’Amour immolé… Alors nous sommes échangés avec Lui.
La consécration consiste à nous mettre dans la ligne de la catholicité. Nous venons au pied de la croix, nous réclamons Notre-Seigneur et nous disons au moment de la consécration sur le Corps du Christ ce que la Vierge disait lorsqu’elle le recevait dans ses bras : « Ceci est mon corps, ceci est mon sang. » Nous nous identifions avec ce corps crucifié, nous nous identifions avec l’amour immolé, et alors le Christ peut nous atteindre, Il s’identifie avec nous, Il dit sur nous aussi : « Ceci est mon corps, ceci est mon sang », et nous sommes échangés avec Lui.

(4) Puisque nous ne sommes pas présents à cette humanité du Christ, la consécration va avoir pour effet, non pas de la rendre présente à nous, elle l’est toujours, mais de nous rendre présents à elle. Cela n’est pas facile à saisir et l’on comprend que les sœurs de saint Augustin ne l’aient pas bien compris, du moins immédiatement, pas plus que nous d’ailleurs. Si je comprends bien, Zundel est préoccupé ici bien davantage de notre présence réelle à l’humanité du Christ, beaucoup plus que de la présence réelle du Christ à nous qui est permanente et en tout homme. Il va presque jusqu’à dire que l’Eucharistie est le sacrement de la présence réelle de l’homme à l’humanité du Christ, cette Humanité s’étant faite la nourriture de l’homme, en cela signifiant que l’homme doit aller jusqu’à la recevoir dans son intérieur, se rendant ainsi intimement présent à elle. Si la communion, la manducation du corps du Christ, est le but immédiat de l’institution de l’Eucharistie, on commence à comprendre la pensée zundélienne comme quoi l’Eucharistie est d’abord le sacrement qui opère la présence réelle de l’homme à l’humanité du Christ.
Le lire n’est pas l’assimiler ! Et le lisant, sans bien le comprendre, je pense à la nécessité un jour de la célébration de « la longue Messe », (ou de la Messe qui prend son temps) durant laquelle, le plus simplement possible, on redira ou entendra souvent toutes ces « choses » proprement mystiques, avec des refrains tout simples indéfiniment repris…

(5) Il y a le danger d’un culte idolâtrique de l’Eucharistie. Toute communion atteint le monde entier, sinon elle est une pure magie qui fait de Jésus une idole.

(6) Tout cela est difficile à saisir et je m’exprime avec réserves. Je pense que ce sont surtout ces expressions qui ont fait que les sœurs de saint Augustin ont douté de l’orthodoxie de Zundel. Elles opposent une façon de comprendre la présence réelle qui est courante dans l’Église : on pense qu’on reçoit la chair même du Seigneur quand on communie, en réalité c’est le corps spirituel du Christ ressuscité (particulièrement accordé, si l’on peut dire, à sa relation à l’humanité entière) que nous recevons. La présence réelle eucharistique, c’est la présence d’un corps spirituel, qu’on ne peut donc pas saisir avec les mains, et « la manducation de ce corps représente une identification mystérieuse qui s’accomplit au plus profond de nous-même si nous sommes accordés avec l’existence universelle de Jésus ». Nous nous identifions à l’Amour immolé du Seigneur pour le salut de l’humanité entière.

(7) Votre communion a ce sens de répandre l’amour et la charité du Christ sur le monde qui ne peut vivre que par le Christ. L’Eucharistie est ce foyer central où toute l’humanité se met dans votre cœur pour se planter dans Son Amour…

(8) C’est certainement dans cette mentalité que les jésuites ont instauré dans leur Église de la rue de Sèvres à Paris « la Messe qui prend son temps », et que j’ai appelée « la longue Messe ».

(9) Journal catholique de Genève (note gestionnaire du site).

(10) Être la Mère-Église signifie être pour l’Église ce que cette sainte femme, cette sainte mère, a été pour son fils. Il s’agit de devenir par toute notre vie, par notre façon d’aimer universellement autant que particulièrement, ce que cette mère a été pour son fils, l’ostensoir de Dieu.

À lire encore en note une précision : Dieu n’est pas présent partout. Puisqu’Il est un pur dedans, Il ne peut être réellement présent que là où il y a une intériorité, là où il y a un dedans, ou bien là où il y a une orientation vers le dedans (ce qui est le cas de la création entière !)
En fait, toute l’histoire de l’évolution tend vers la possible apparition de créatures ayant un dedans comme l’est l’homme créé à l’image et selon la ressemblance de notre Dieu. Même l’hostie consacrée ne devient l’hôte de la présence réelle divine que parce qu’elle est destinée au dedans de l’homme, elle n’a pas d’autre sens.
Jésus n’institue l’Eucharistie que pour cette habitation nouvelle de Dieu en l’homme, en et par l’incarnation divine. Elle n’a donc de sens qu’en relation à cette intériorité de l’homme qu’elle veut sans cesse approfondir, pour l’édification et l’accomplissement du Corps mystique du Christ appelé à faire vivre en lui, comme membres de ce Corps, tous les hommes. Certes la création toute entière est marquée par le péché de l’origine qui affecte tout homme dès le premier instant de son existence, mais dès ce premier instant l’homme par la grâce du Christ incarné est orienté vers la conversion – libre à l’homme de la rendre effective – et normalement la réception du baptême, et des sacrements de l’initiation chrétienne, consacrent cette conversion.

TRCUS (11) Livre « Avec Dieu dans le quotidien. Retraite à des religieuses »

 Publié par les Editions Saint-Augustin – Saint-Maurice (Suisse). Présentation Marc Donzé. Parution : septembre 2008. 269 pages.

 ISBN : 978-2-88011-453-4