15/11/08 Il ne faut surtout pas établir une sorte d’égalité entre l’Ancien et le Nouveau Testament.

Début de la 4ème conférence de M. Zundel à Timadeuc en avril 1973. Nous entrons ici dans l’un des enseignements magistraux de M. Zundel, encore peu connus et assimilés dans l’Eglise.

La révélation est un dialogue qui suppose une transformation dans l’homme qui en reçoit la révélation et ne peut bien la recevoir que s’il naît de nouveau … Le Nouveau Testament est réellement nouveau, d’une nouveauté incroyable, imprévisible, merveilleuse, que les chrétiens n’ont pas encore commencé à découvrir, et qui est le mystère de la sainte Trinité.

« La Révélation est un dialogue qui est proportionné à l’homme auquel elle s’adresse. Elle suppose en effet de la part des hommes, une récepti­vité qui peut croître et atteindre des niveaux différents; elle suppose en un mot une transformation dans l’homme qui reçoit cette révélation, comme c’est toujours le cas dans les relations interpersonnelles : l’intimité d’un être ne peut être reçue que par l’intimité d’un autre et dans la mesure où, justement, l’autre s’ouvre à la première pour l’accueillir. Notre-Seigneur d’ailleurs, nous en donne la preuve la plus évidente lorsqu’il reçoit Nicodème qui vient s’enquérir la nuit de sa doctrine, et qui le félicite sur les signes, ou à propos des signes qu’il accomplit. Notre-Seigneur lui coupe sa révérence en deux en lui disant : « Nul ne peut voir le Royaume de Dieu, – ou le Règne de Dieu – s’il ne naît de nouveau – ou s’il ne naît d »En-Haut ». Il faut naître ou renaître pour connaître !

Rien n’exprime plus profondément le caractère de dialogue de la révélation, que cet appel à une nouvelle naissance pour entrer dans les secrets de Dieu. D’ailleurs le barrage que posent spécialement les hommes de religion, les spécialistes de l’Ecriture qui passent leur temps à en scruter le texte, qui accumulent les commentaires, qui retiennent les opinions des Pères, ce que Notre-Seigneur leur demande, c’est précisément de dépasser la lettre, de voir le mouvement secret qui emporte la lettre au-delà d’elle-même, vers une plénitude à venir.

Le Pape Saint Grégoire illus­tre admirablement, dans le commentaire qu’il fait des disciples d’Emmaüs, ce commentaire si parfait, si profond, si intérieur et si bref, où S.Grégoire montre bien comment (dans le texte : que) Notre-Seigneur est apparu aux disciples d’Emmaüs : « Il leur est apparu au dehors selon qu’il était au-dedans à l’intérieur d’eux-mêmes. Ils parlaient de Lui, ils L’aimaient, mais ils doutaient; Il leur offre donc sa présence, mais Il ne leur manifeste pas son vrai visage, il faudra qu’ils mûrissent dans l’amour, il faudra qu’ils se transforment pour qu’ils Le reconnaissent à la fraction du pain après avoir pressé cet étranger d’accepter leur hospitalité. « C’est en accomplis­sant les préceptes, comme dit Saint Grégoire, qu’ils ont été illuminés, et non pas en les entendant ». Il est impossible de dire mieux que la révélation se proportionne au sujet qui la reçoit parce qu‘elle ne peut pas être reçue avec profit tant que le sujet n’est pas au niveau de la vérité qui lui est proposée. Ce qu’on remarque d’ailleurs dans toutes les situations.

Une femme m’avouait, qu’après quarante ans de vie commune, elle n’osait pas faire sa prière devant son mari – qui était d’ailleurs un brave homme – elle montrait qu’elle ne voulait pas exposer cette prière, qui était pour elle si précieuse et si indispensable, à un sourire, à une remarque sceptique, ou simplement à une gêne, parce qu’il n’était pas capable d’y entrer. C’était autrement qu’elle communiquait avec lui, à travers la vie quotidienne, à travers les gestes de dévouement et de tendresse dont elle était éminemment capable, mais il y avait une certaine zone où elle ne pouvait pas introduire son mari de force et du dehors, parce qu’il n’était pas encore prêt à accueillir cette confidence.

Ceci est très remarquable puisque, je vous l’ai déjà dit, nous sommes immédiatement préparés à trouver dans l’Ecriture des imperfections, des limites, des choses qui nous paraissent à nous intolérables, intolé­rables dans la lumière du Christ, intolérables dans le rayonnement de sa sainteté incomparable.

Nous pouvons comprendre évidemment que le prophète Jérémie, au chapître 17ème appelle la vengeance la plus sauvage contre ses ennemis, comme le fait d’ailleurs le psalmiste dans le psaume 137 « Super flumina Babylonis », ou 109 lorsqu’il demande la destruction de la maison de ses ennemis … »la ruine de sa famille … que ses enfants devien­nent orphelins … que rien ne soit laissé debout de ce qui lui appartient !… » nous comprenons ces sentiments de vengeance qui correspondent à un désir de justice qui n’est pas encore illuminé par la tragédie du calvaire, mais nous reconnaissons évidemment immédiatement l’Esprit de Dieu dans la prière de Notre-Seigneur pour ses bourreaux.

Il y a donc un progrès à envisager, et il ne faut pas s’immobiliser dans la lettre des Ecritures, et il ne faut pas surtout établir une sorte d’égalité entre l’Ancien Testament et le Nouveau Testament, comme le remarque le Père Lagrange (1) dans « La méthode historique ».

« Sans s’en apercevoir, dit-il, à force d’exagérer l’importance doctrinale de l’Ancien Testament par rapport à nous, la perfection de la Loi des Juifs, l’étendue de leurs vues sur la Trinité et l’Incarnation, on tombe précisément dans l’écueil que l’on veut éviter, de l’évolution naturelle. Certes, on ne l’entend pas ainsi, on insiste fortement et outre mesure sur l’intensité de l’action divine et on supprime toute ligne de démarcation entre le judaïsme et le christianisme. Par la Révélation de Jésus, la vie religieuse de l’humanité entre dans une phase vraiment nouvelle. Le Judaïsme (…) refuse d’accepter cette conclusion de son histoire, parce qu’elle n’en est pas non plus l’aboutissement naturel. C’est une intervention de Dieu qui fait des choses nouvelles. Ce qui étonna les chrétiens, ce qui leur parut divin, ce fut précisément que les prophéties s’étaient accomplies en Jésus d’une façon toute différente de celle qu’on pouvait prévoir. Ce qui nous importe le plus ici (…), c’est le témoignage de Jésus Lui-même apportant au monde une doctrine qui allait le transformer. Car si Jésus n’avait eu qu’à faire la synthèse des idées courantes, les Juifs l’auraient docilement suivi. Et, pour cela, il n’était même pas besoin d’un prophète ! Mais Jésus, justement, n’est pas le dernier anneau d’une chaîne, Il est la fleur qui se dégage tout à coup de la plante qui la tenait cachée, et, quand elle s’est épanouie, l’arbre meurt. »

Il faut donc admettre cette progression : le Nouveau Testament est réellement nouveau, d’une nouveauté incroyable, imprévisible, merveilleuse, que les chrétiens n’ont pas encore commencé à découvrir !

Notre Seigneur demandait précisément aux docteurs de la Loi de dépasser la lettre, de s’ouvrir à une manifestation encore inconnue, à une manifestation totalement imprévisible, et, pour aller tout de suite au coeur du problème, pour atteindre la perle du Royaume, il faut nous placer précisément devant la nouveauté essentiel­le de la Nouvelle Alliance. Cette nouveauté essentielle, c’est la révélation du mystère de la sainte Trinité.

Rien n’est nouveau, rien n’est boule­versant, rien n’est merveilleux, rien n’est actuel, rien ne nous touche davantage, rien n’éclaire tous nos problèmes, comme la Révélation de la Très Sainte Trinité ! Notre problème est insoluble, je ne cesse de le répéter, il est insoluble parce que le donné qui le constitue, nous ne l’avons pas choisi : nous le subissons; et comme nous ne voyons pas comment nous choisir ainsi que nous sommes invités à le faire, nous ne voyons pas comment nous choisir, ni dans quelle direction. L’homme, en fait, parmi tous les êtres vivants, est amené à l’existence sans le savoir et sans le vouloir, il est pourvu d’une nature qu’il n’a pas choisie, ayant reçu une hérédité qu’il n’a pas choisie davantage étant placé dans un milieu qu’il subit, quand il s’éveille à la conscience de soi il sait très bien qu’il n’y est pour rien : il existe mais il n’y est pour rien ! et cependant parce qu’il est homme il a une initiative à prendre, c’est là la différence entre l’homme et l’animal, c’est que, si nous sommes comme des animaux d’abord un faisceau de déterminismes, si nous sommes pétris de besoins, si nous sommes enracinés dans le sol, si nous dépendons de tout l’univers, si nous ne pouvons pas subsister un instant sans emprunt, comme tous les vivants qui doivent se nourrir et respirer, nous sommes ouverts ! nos instincts ne nous portent pas jusqu’ au bout, nous avons une initiative à prendre, qui se traduit précisément dans ce sentiment d’inviolabilité sur lequel je me suis si longuement étendu, sur ce sentiment de dignité que l’homme préfère affirmer jusqu’à mourir plutôt que d’y renoncer.

Les hommes se battront pour affirmer leur inviolabilité, ils s’entretueront pour affirmer leur dignité, mais ils sont absolument incapables de la fonder. Le sentiment de valeur qui nous meut, qui est d’après Hesnard – un grand psychanalyste – le sentiment le plus profond, l’instinct le plus primitif : valoir et se faire valoir, ce senti­ment de valeur, nous sommes totalement incapables de l’asseoir sur un fonde­ment intelligible ! Nous sommes captifs de notre « moi », nous sommes « dedans », nous nous identifions avec lui, et pourtant nous le subissons, c’est notre captivité la plus terrible, et apparemment, la plus insurmontable.

Cette vocation de grandeur, nous ne pouvons y renoncer, car quiconque renonce à la grandeur renonce à exister ! la vie n’a pas de sens, elle n’est pas une aventure qui mérite d’être vécue si elle ne débouche pas sur un horizon merveilleux. Chacun porte en soi ce désir d’atteindre à la grandeur. Alexandre le Grand, pour faire parler de lui a consumé sa vie en s’exposant à tous les dangers, et finalement il s’est éteint à l’âge de 33 ans, ayant conquis une grande partie du monde, pour le laisser d’ailleurs à ses successeurs ! » (à suivre)

Note (1) Le Père Lagrange a été pratiquement le fondateur et créateur, et la cheville ouvrière, de l’école biblique de Jérusalem qui a joué dans l’Eglise, dès le début du 20ème siècle un rôle capital, tout à fait novateur, dans l’exégèse biblique, à la suite, mais n’en prenant pas la place, du travail antérieur accompli par les protestants.