13/07/2005 – Le seul vrai problème.


Conférence – Genève – 21 sept. 1969 (Suite, partie 4)

Avons-nous seulement commencé à comprendre

la grave importance de ce qui est dit ici ?

Une simple lecture ne peut suffire. Il faut avoir le temps de la reprendre.

Presque tous les mots seraient à souligner.

C’est ici la suite de la conférence donnée par Zundel à Genève en 1969.

Le seul vrai problème.

« Il faut bien nous rendre compte de là où est la plus profonde difficulté. Si tant de chrétiens aujourd’hui sont ébranlés, si tant de prêtres abandonnent, si tant de religieux ou de religieuses renoncent à leurs engagements, c’est qu’ils n’ont jamais rencontré la Présence Divine comme une libération, ils n’ont jamais vécu ce Visage imprimé dans nos cœurs, ils n’ont jamais pris conscience de ce Trésor incroyable remis entre nos mains.

Il est évident que, si on n’est pas libéré de soi, si on est encore esclave de son moi préfabriqué, on est imperméable au vrai Dieu ! Le Dieu dont on parle alors ne peut être qu’une caricature et une idole, et ceci en toute sincérité. Celui qui n’a pas rencontré le vrai Dieu, il n’est pas coupable de ne L’avoir pas rencontré mais il lui est impossible de faire comme s’il L’avait rencontré. II prendra des notions, il se servira de cette raison automatique, il alignera des démonstrations, il sera peut-être un merveilleux « expositeur » de la théologie et des conciles mais, pour son compte personnel, il sera vidé ! Ou plutôt il sera vide puisqu’ il ne sera pas comblé ! Et en face des revendications de son être passionnel, il sera ouvert à toutes les agressions.

Il faut bien comprendre que le témoignage, le témoignage sur Dieu, c’est la même chose que le témoignage sur l’homme : c’est un seul et même témoignage, et que, si nous ne sommes pas dans cet état de purification, dans cet état de désappropriation, tous les mots que nous prononcerons seront limités, ils seront obscurcis par nos propres ténèbres. Ils ne porteront pas la vie, même si ce sont les mots les plus sacrés, même s’ils sont empruntés à l’Evangile, même s’ils sont prononcés au cours de l’Eucharistie. Ils ne porteront pas la vie parce que nous ne sommes pas des vivants.

C’est là le seul problème, finalement : être des vivants en rencontrant le Vivant par excellence au plus intime de nous-même car c’est là que se dresse le véritable sanctuaire de la Divinité, c’est en nous.

Nous sommes, comme dit Saint Paul, « le Temple de l’Esprit Saint », nous sommes une cathédrale vivante où Dieu ne cesse de nous attendre, et il n’y a rien de plus sacré, bien sûr, que cette Eglise que nous sommes.

Tout le sacré dans les signes et même dans les sacrements, tout le sacré s’ordonne à ce Sacré que nous avons à devenir dans une consécration de tout nous-même à cette Présence Bienaimée qui est la respiration de notre liberté.

C’est pourquoi il y a, dans ce résultat d’une expérience où toute la vie se récapitule, il y a un appel urgent à la conversion, disons à cette nouvelle naissance, à cette victoire sur tous les déterminismes internes qui nous empêchent d’être humains.

Il est extrêmement grave de voir à quel point nous pouvons être les avocats de notre amour-propre, à quel point nous pouvons, dans nos rapports avec les autres, faire écran à toutes les valeurs essentielles par notre amour-propre.

II est stupéfiant de voir combien nous pouvons ressasser de vieilles querelles, rappeler des blessures qui nous ont été infligées, tout en croyant que nous sommes « chrétiens » II est évident que nous ne sommes pas chrétiens mais il y a une possibilité que nous le devenions, il y a un appel urgent à le devenir parce que, justement, le seul salut qui puisse être apporté à l’humanité, c’est celui-là : la libération de l’homme, la libération intérieure, la libération du déterminisme interne, libération qui va jusqu’à la racine de l’être, libération qui aboutit au don total à une valeur infinie qui est en chacun une attente éternelle mais qui ne peut être reconnue que dans un état de pureté, de virginité, de démission.

Si nous tenons ferme à cette expérience, si nous l’envisageons comme notre itinéraire, si nous revenons toujours à cette rencontre intérieure avec une Présence cachée au plus intime de nous, si nous essayons de Lui donner un espace, de ne pas L’éteindre comme dit Saint Paul, de ne pas La déformer, si nous essayons de La laisser transparaître, si nous comprenons qu’Elle nous est confiée, notre vie commencera à se transformer, elle prendra un sens tout neuf et c’est en effet cela qui constitue le stimulant suprême, c’est que cette Présence au fond de nous-même est désarmée.

S’il est vrai que nous ne pouvons être ni exister humainement sans entrer dans ce dialogue avec la Présence Adorable au plus intime de nous, il est vrai aussi, et nous pouvons l’expérimenter mille fois par jour, qu’elle ne peut rien contre nos distractions et notre vie superficielle, elle ne peut rien contre notre assujettissement à nos options passionnelles, elle peut être de plus en plus étouffée, obscurcie, déformée, caricaturée ! Aussi est-il évident que, si elle est remise entre nos mains, c’est à nous de la délivrer de nous-même, de la protéger contre nous-même, à nous de la sauver de nos limites et de nos ténèbres.

Et je crois que c’est cela, finalement, qui est le point d’arrivée et le point de départ. Dieu, si l’on désigne par ce mot cette Valeur, cette musique silencieuse, cette Présence qui ne fait jamais de bruit, cet Amour qui jamais ne s’impose, ce Dieu-là, ce Dieu qui est dedans alors que nous sommes dehors, ce Dieu évidemment nous est confié jusqu’à la mort de la Croix.

Et c’est là que la Croix prend tout son éclat et toute sa beauté, la Croix qui est justement l’échec de Dieu dans l’histoire humaine (1) Comme c’est merveilleux ! Dieu peut échouer parce qu’Il est ce qu’Il est ! Il peut échouer parce qu’il n’est que l’Amour, rien que l’Amour ! Et parce que l’Amour ne peut rien s’Il ne rencontre pas l’amour. Dieu ne peut se poser nulle part sinon dans l’intimité qui L’accueille, et, si Dieu ne peut se poser dans notre intimité si nous ne L’accueillons pas, Il n’a alors qu’une seule ressource, celle de l’Amour qui persévère malgré tous les refus, celle de mourir d’amour. »

(À suivre)

Note (1) : On ne comprend pas immédiatement que Zundel trouve merveilleux l’échec de Dieu ! C’est l’Amour de Dieu qui est merveilleux parce que, n’étant rien que l’Amour, il peut aller jusqu’à échouer ! Comme Il est parfait Amour Il ne peut pas contraindre, ce qui entraîne la possibilité d’un échec. Il y a une perfection de l’Amour dans ce qu’il peut échouer.