12/07/08 La façon de la véritable évangélisation.

Suite
5 de la 1ère conférence de retraite de M. Zundel à la clinique Bois-Cerf en mai 1973. Inutile de redire l’importance capitale des propos qui suivent.

Reprise : « C’est pourquoi l’Evangile n’est pas une doctrine, l’Evangile n’est pas un système, l’Evangile n’est pas une Weltanschauung, une espèce de vision du monde philosophique ! l’Evangile, c’est la lumière même, dans la Personne de Jésus, de cette Pauvreté infinie où, dans la désappropriation de tout, le monde atteint enfin à la clarté. Le monde devient transparent à Dieu quand il cesse d’être possédé. Quand on veut le posséder, on est sûr de ne pas le connaître dans ses profondeurs ! c’est quand il devient une pure offrande d’amour qu’il révèle ses racines divines et resplendit dans toute sa beauté. Ceci est extrêmement important parce que l’évangélisation ne consistera pas à distribuer des notions. » (1)

Suite du texte : « Je me rappelle ce missionnaire d’autrefois qui me racontait qu’on achetait, on achetait les enfants par des cadeaux, on achetait les parents par une assistance matérielle et on amenait ainsi les enfants au catéchisme, et on les catéchisait en leur apprenant le catéchisme de France : Qu’est-ce que Dieu ? Qu’est-ce que la Trinité ? Qu’est-ce que Jésus Christ ? Et puis on leur donnait les sacrements, et puis on avait toute une paroisse de convertis ! Les parents ? Tant pis pour eux ! ils appartenaient à une génération qu’on ne pouvait plus atteindre, mais ceux qu’on cherchait à conqué­rir, c’étaient les enfants, par des appâts matériels.

Tout cela me parait assez pauvre comme conception de l’évangélisation ! il ne s’agit pas d’apporter à des enfants chinois ou japo­nais des notions, mais il s’agit de leur apporter Quelqu’un, de leur apporter une Présence, d’être au milieu d’eux le coeur de Dieu, il s’agit justement de les aider à découvrir un Dieu qu’ils portaient déjà en eux mais qu’ils ne pouvaient reconnaître que si une présence humaine Le laissait transparaître avec une évidence irréfragable.

Le missionnaire chrétien n’a pas à réfuter les erreurs des autres, c’est-à-dire n’a pas à les mettre dans leur tort, à leur dire : « Vous n’y avez rien compris ! Vous vous êtes trompés ! mais à faire sur­gir, au mieux de ce qu’ils sont, une Présence qui, tout à coup, met tout en place. Le culte de ce que nous appelons des idoles ne ressemble-t-il pas au culte que nous-mêmes nous avons des saintes images ?

Je me rappelle cet homme, qui était d’ailleurs génial et magnifique, qui me disait : « Nous sommes allés en Afrique Noire en supposant que les noirs étaient des idolâtres livrés aux plus basses supersti­tions, nous n’avons même pas essayé de comprendre ce que leurs rites signifiaient pour eux et quel était l’esprit de leurs sacrifices, c’était la première chose à faire ! » Et il était convaincu pour sa part, ayant été admis à filmer leurs sacrifices, qu’il y avait chez eux un sentiment religieux très authentique qu’il fallait respecter, éventuellement élargir et purifier, mais en apportant du dedans justement une Présence de lumière qui permette, sans violer la conscience, de découvrir en soi l’espace infini que le Christ ouvre en nous.

Il ne s’agit pas d’apporter des définitions, d’imprimer les demandes et les réponses d’un catéchisme ! il s’agit de faire surgir la vie elle-même, l’existence dans toute sa grandeur et dans toute sa noblesse, en apportant la Présence Unique qui la fait s’épanouir, tout est là.

Il y a un oecuménisme qui risque d’avorter si l’on cherche à se mettre d’accord sur ceci, sur cela, sur l’Eucharistie, le culte de la Vierge, sur la virginité de Marie et ainsi de suite, la question est beaucoup plus profonde : « De quel Dieu parlons-nous ? Les chrétiens sont-ils d’accord sur Dieu ? En ont-ils la même vision ? Leur foi s’enracine-t-elle au coeur de la Trinité, et la Trinité, la voient-ils justement comme l’expression d’une éternelle communion d’amour ? Voient-ils la Trinité comme la pauvreté, le dépouillement infini auquel nous sommes invités et auquel il nous faut parvenir si nous devons jamais nous libérer de nous-mêmes ? Comprennent-ils que l’entente se fait par le vide, par le dépouille­ment, par la désappropriation, par le fait que chacun surmonte ses limites ? Tout est là (2).

Le Christ ne nous demande pas d’adhérer à un système du monde, il nous demande d’adhérer à ce qu’Il est, d’entrer dans sa pauvreté, de nous laisser emporter avec lui dans la vague infinie qui jette éternellement le Fils dans le sein du Père ! Il n’y a pas de christianisme en dehors de cela et ce christianisme n’a pas besoin de s’exprimer autrement qu’en étant totalement vécu.

Il est à craindre justement que l’œcuménisme, en burinant les formules, en essayant de les ajuster les unes aux autres, s’occupe finalement de problèmes périphériques et n’aille pas au centre qui nous met totalement en question : sommes-nous d’accord d’être totalement désappropriés de nous-mêmes (2) ? Sommes-nous d’accord de faire le vide en nous pour accueillir tout l’univers ? Sommes-nous d’accord de nous mettre à genoux au lavement des pieds pour être au service de toute l’humanité et de tout l’univers ? C’est cela qui est la question.

Notre Seigneur est l’oecuménisme en personne (2). L’oecuménisme est inscrit dans Sa structure justement parce que son humanité n’a pas de frontières. Quand on dit : le Christ est juif, je proteste de toutes mes forces. Le Christ n’est pas juif, Il est le second Adam, Il n’appartient à aucune nation, il est né virginalement, il n’est pas né de la chair et du sang, il est né comme le principe d’une création entièrement nouvelle, il est, par Sa structure même, universel, présent à toutes les races, à toutes les nations, à tous les peuples, à tous les individus, à toutes les consciences, intérieur à chacun de nous ! C’est le sens même de Sa désappropriation et c’est pourquoi il sera chargé de la rédemption. Il aura à faire contrepoids par le don de lui-même à tous les refus d’amour parce qu’il est identifié totalement à toute l’histoire humaine.

C’est cela, justement, qui est prodigieux et magnifique, c’est que l’union de Notre Seigneur avec la divinité en la personnalité du Verbe, cette union indépassable où la communication de Dieu à la Création atteint le sommet, est aussi, du même coup et avec la même ampleur, une identification de Notre Seigneur avec tous les hommes qui ont jamais vécu et qui vivront jamais, justement parce que la racine de cette union hypostatique qui constitue l’Incarnation, c’est le dépouillement absolu. (3)

Ce qui nous empêche de communiquer avec les autres, c’est notre esprit de possession : nous les voulons pour nous, nous les voulons à nous au lieu de vouloir être un espace illimité où ils pourront respirer l’air de leur patrie divine (3). Nous nous asphyxions mutuelle­ment par nos limites parce qu’étant à l’étroit en nous-mêmes, nous sommes incapables de devenir un espace pour les autres.

Notre Seigneur ne connaît pas ces handicaps ni ces difficultés parce que, justement, son humanité ne s’appartient aucunement, comme elle ne peut rien posséder, pas même elle-même, puisqu’elle est suspendue au Verbe de Dieu qui est son vrai moi. » (à suivre)

Note (1). Contrairement peut-être aux apparences tout ceci peut sans doute s’appliquer aussi, mutatis mutandis, à l’évangélisation en France, même encore aujourd’hui, quand on voit comment sont faits nos catéchismes et la catéchisation, souvent assurée par de braves personnes pleines de bonne volonté, mais soucieuses surtout, elles ne peuvent pas faire autrement, d’enseigner ce qu’elles trouvent dans les livres qui leur sont fournis et qu’elles ont entre les mains.

Note (2). Relisez ces lignes avec attention, on a certainement là la clé du véritable œcuménisme. Ce n’est pas un hasard si beaucoup de « zundéliens » sont protestants.

Note (3). Le véritable oecuménisme nous contraint donc à changer la façon de notre relation avec les autres. « Seigneur, apprends-nous comment devenir cet espace illimité où les autres pourront respirer l’air de leur patrie divine. »