10-18/02/2014 – Conférence – La crise de l’Eglise, extériorité de Dieu

1ère
conférence donnée par Maurice Zundel au Carmel de Matarieh (Le Caire) la semaine sainte de 1969. Inédit.

 

Zundel contesterait-il cette « vérité » que Dieu a nécessairement une certaine extériorité par rapport à l’homme ? Cette extériorité est une des raisons principales pour lesquelles il y a eu tant de contestations lors du concile Vatican II. La révolte que Zundel constate en 1969, suppose qu’on n’a pas découvert la religion des personnes, qu’on n’a pas découvert le Dieu intérieur, le Dieu crucifié qui établit entre Lui et nous un mariage d’Amour qui fait de nous des créateurs et qui nous a créés pour que nous soyons des Dieux. Et aujourd’hui ? Le changement désiré ne peut se faire que très lentement…

 

Avec la voix de Maurice Zundel qui nous permet d’entrer plus profondément dans le texte. Pour l’écoute, affichez immédiatement le texte complet en cliquant sur « lire la suite ».

 

Beaucoup d’événements se sont produits depuis que nous nous sommes quittés, et l’événement qui nous atteint le plus profondément, c’est évidemment la crise de l’Eglise.

 

Le nombre de religieux, de religieuses, de prêtres qui quittent leur vocation, qui abandonnent leur ministère, les contestations infinies, les discussions sans fin, les protestations officielles en quelque sorte qu’a suscitées l’Encyclique « Humanae vitae« , tout cela représente un climat nouveau, tout cela représente une mutation, un changement explosif puisqu’il se produit partout, et nous invite à nous interroger sur la cause de cette crise si immense et si douloureuse.

 

On a l’impression que l’Autorité – disons que le Pape – est impuissant : tout ce qu’il peut faire, c’est de crier sa foi, mais qu’il est absolument incapable d’imposer une ligne de conduite avec la certitude qu’il sera obéi.

 

On a l’impression que, pour éviter des schismes, il faut une très longue patience, il faut éviter toute condamnation, il faut s’adapter au maximum aux revendications qui sont émises partout. Mais cela ne nous donne pas encore la clé du problème.

 

Pourquoi cette crise a éclaté au lendemain du Concile ? C’est probablement d’abord que le Concile a reçu une publicité énorme, a été un événement journalistique de première grandeur. Le Concile a travaillé admirablement, le Concile a résumé des points de doctrine d’une manière parfaite. Mais ceci, c’est le travail intérieur du Concile : c’est le travail le plus essentiel, c’est celui qui demeure, mais pour le grand public le Concile a été un parlement, c’est-à-dire une assemblée où l’on discute, où l’on s’oppose, où l’on combat, où l’on dénonce, où l’on condamne l’Autorité, où les décisions se prennent à la majorité des voix et où ce qui a été décidé aujourd’hui pourrait être changé demain si la majorité se déplaçait.

 

Ah il semble que le Concile ait donné justement le spectacle de la contestation dans son apparence extérieure, dans les bruits qui circulaient, dans les anecdotes que les journalistes ont pu recueillir, dans les dénonciations extrêmement sévères de la Curie romaine par certains prélats, ces dénonciations qui étaient une véritable condamnation.

 

Il semble donc que, vu du dehors, le Concile ait été une invitation à la contestation, et comme il n’a condamné personne, heureusement d’ailleurs, on a donné l’impression que, on pouvait contester sans fin, sans encourir de condamnation.

 

Mais ce n’est là finalement que l’occasion de la crise et ce n’en est pas la raison profonde. La raison profonde est je pense, l’extériorité de Dieu. C’est une chose qui vous est bien connue : Dieu conçu comme extérieur à l’homme, Dieu conçu comme logeant dans un ciel supérieur à la terre et très, très éloigné de nous, Dieu représentant avant tout une autorité suprême qui peut imposer, qui peut condamner, qui peut juger, qui peut punir, enfin quelqu’un dont l’homme dépend essentiellement.

 

Cette conception est infiniment répandue ; nous allons voir pourquoi elle s’est répandue, mais nous pouvons tout de suite remarquer que elle est partagée – cette conception – et défendue par des hommes éminents, par des théologiens, par des exégètes, par des gens qui réfléchissent sur les problèmes essentiels et qui, tout en étant eux-mêmes des hommes spirituels, pensent que ce qu’il faut souligner, c’est justement la transcendance de Dieu, sa différence d’avec nous et notre dépendance radicale à son égard.

 

Je pense à Pierre Grelot qui est professeur à l’Institut Catholique de Paris, qui a écrit un livre dont nous reparlerons sur le péché originel et qui, avec d’autres théologiens protestants ou catholiques, voient dans le péché originel le refus d’être une créature, le refus d’accepter sa condition et sa situation de créature, c’est-à-dire sa dépendance radicale à l’égard de Dieu. Et si des hommes de cette valeur, qui réfléchissent en plein 20ème siècle, qui sont informés de tous les progrès scientifiques, qui sont eux-mêmes des savants, si des hommes de cette valeur peuvent insister sur cette différence et voir dans la reconnaissance de notre condition de créature l’essentiel de nos rapports avec Dieu, en tout cas la condition sine qua non de nos justes rapports avec Dieu, on [ne] peut pas s’étonner que l’immense majorité des gens qui croient – qui croient croire, qui s’imaginent avoir la foi – fassent de Dieu précisément l’autorité suprême dont nous dépendons à tous égards.

 

Il y a d’ailleurs dans cette attitude un besoin de secours, un besoin de refuge, un besoin de s’appuyer sur quelqu’un, qui n’est pas négligeable, qui est digne de respect. Il est bien entendu que la faiblesse de l’homme, son énorme fragilité, les conditions tragiques dans lesquelles il peut se trouver font jaillir de son cœur cet appel vers un protecteur, vers une puissance capable de le délivrer et cette puissance qu’on suppose bonne et secourable est naturellement douée de la toute-puissance, c’est-à-dire qu’elle peut tout, à la différence de l’homme, et que tous les événements en dépendent.

 

C’est une des raisons qui perpétuent dans le monde des croyants, qui perpétuent justement, cette extériorité de Dieu, mais il y a une origine plus lointaine de cette situation qui est évidemment le fait que la religion a d’abord été un événement collectif.

 

Je ne sais pas si vous avez entendu dire que l’Albanie, ce tout petit pays, s’est proclamé il y a quelques mois le premier pays athée du monde, le premier état qui s’est déclaré athée depuis que le monde est monde. C’est donc un événement tout à fait récent : l’athéisme officiel d’un état date de quelques mois. Si l’histoire du monde date depuis un million ou un milliard cinq cent millions d’années, c’est très peu. Si le monde est aussi ancien que cela, si nous n’avons pas la moindre trace de l’histoire primitive dans des documents humains, nous pouvons constater cependant que la religion telle que nous pouvons le saisir est un événement collectif, un événement qui regarde un ensemble, une cité, une ville, une nation, un état, un royaume, un empire. Il semble en effet que soit la morale, soit la religion aient été d’abord des phénomènes collectifs.

 

Vous savez combien il est difficile de penser à la liberté, combien il est difficile de définir la liberté : c’est une chose à laquelle l’immense majorité des philosophes se sont attachés sans parvenir d’ailleurs à aucune solution. Donc il est difficile d’imaginer que les hommes primitifs aient réfléchi sur le problème de la liberté, mais il est facile de concevoir qu’ils aient senti très fort le danger de la liberté, qu’ils aient senti que, sans une règle ferme, les membres de la tribu, les membres du clan, les membres de la cité tomberaient dans l’anarchie la plus complète. On a connu la liberté beaucoup plus pour les dangers qu’elle renferme que pour la dignité qu’elle représente.

 

On a donc voulu encadrer cette liberté, la protéger contre elle-même, protéger la vie contre l’anarchie, et tout cela s’est fait spontanément en vertu de ces exigences mêmes de la vie qui veut durer, et qui pour durer, pour subsister, doit se protéger contre les dangers qu’elle renferme ; et il est sûr que la morale, je veux dire les règles, les règles que le groupe imposait à ses membres, ces règles, on les appuyait sur des croyances, on les appuyait sur un appel à des pouvoirs surnaturels.

 

On les a fondées finalement, sur l’intervention ou la présence de divinités. Ainsi l’individu était appelé à respecter la règle parce que, il y avait un témoin de la règle : la divinité, un témoin auquel il ne pouvait échapper, et un témoin qui était capable de le punir.

 

[Repère enregistrement audio : 14’ 45’’]

 

Si vous prenez l’histoire de la Grèce à la plus belle époque, vous voyez que Socrate, en l’an 399 avant Jésus-Christ, Socrate a été mis à mort entre autres parce qu’il n’honorait pas les dieux de la Cité. Socrate avait sa religion à lui, mais on trouvait qu’il était tiède et indifférent à l’égard des dieux de la Cité et que cela mettait la Cité en danger ! En effet, si la Cité offre un culte à Dieu, c’est que, elle a besoin de la protection des dieux. Si quelques citoyens se détachent du culte, refusent cet hommage aux dieux, ils peuvent déclencher ou déchaîner la colère des dieux et mettre en danger la Cité. Donc voilà la République la plus sage, la plus intelligente, qui met à mort un de ses plus grands citoyens, un de ses plus grands penseurs, parce que, il met en danger la Cité en refusant ou en négligeant d’honorer les dieux de la Cité.

 

L’Empereur Marc Aurèle, au 2ème siècle après Jésus-Christ, qui est un philosophe, un penseur, un homme qui fait son examen de conscience tous les jours, dont nous avons le journal, dont nous avons les pensées, Marc Aurèle laissera persécuter les chrétiens, ces gens opiniâtres, qui ont la tête dure, qui ne savent pas reconnaître les nécessités politiques de l’Empire, qui a besoin du culte de l’Empereur et de Rome pour maintenir son unité. Donc ce penseur bienveillant laissera persécuter les chrétiens parce que l’unité de l’Empire romain exige un culte adressé à l’Empereur et à la ville de Rome, parce que tous les peuples dont est composé l’Empire sont tellement divers qu’ils n’ont aucun lien les uns avec les autres. Le seul lien qui peut les rassembler est un lien religieux.

 

Vous savez en outre que, lorsque l’Empire devient chrétien avec Constantin, le premier soin de Constantin c’est de faire des évêques des magistrats, de faire des évêques des employés de son administration, de les surveiller, de les rassembler en concile, de diriger ces conciles, d’en imposer les décrets et les décisions, et c’est ce que feront tous les empereurs byzantins à l’égard de tous les conciles oecuméniques, c’est-à-dire que les empereurs chrétiens demanderont à la religion chrétienne le même service que les empereurs païens demandaient au paganisme : ils demanderont que la religion chrétienne devienne le symbole, le signe et le ferment de l’unité de l’empire ; et c’est pourquoi ils persécuteront les hérétiques ou ils persécuteront les orthodoxes quand eux-mêmes seront hérétiques, parce qu’ils voudront que l’empire n’ait qu’une seule religion.

 

Charlemagne en Occident établira l’unité de son Empire sur le catholicisme romain : il imposera ce catholicisme, il convertira de force les Saxons, quitte à les faire mourir lorsqu’ils ne jeûnent pas en Carême, et il en sera ainsi de tous les royaumes chrétiens qui succéderont à Charlemagne en Occident, et de l’Empire byzantin jusqu’à sa chute en 1453. Les rois persécuteront les hérétiques parce que, ils rompent l’unité du royaume et l’Eglise les encouragera d’ailleurs à le faire. Louis XIV chassera les protestants de France pour affirmer l’unité du royaume, tandis que les princes protestants excluront le catholicisme de leurs états de la même manière.

 

Donc, nous voyons clairement que, la religion a été un facteur collectif, un événement collectif concernant un peuple, un ensemble beaucoup plus que des personnes, j’entends la personne comme un royaume intérieur, la personne comme un secret inviolable, la personne comme une valeur infinie.

 

Il y a un autre trait qui va nous aider à mieux comprendre la crise et ce trait est singulièrement bouleversant : c’est que, à mesure que le pouvoir civil, le pouvoir des empereurs et des rois se faisait plus absolu, s’appuyait davantage sur la divinité pour affirmer son inviolabilité. Il y avait à Constantinople n’est-ce pas, un véritable culte de l’empereur : le palais royal était comme une église où l’Empereur était adoré, je ne dis pas au sens où les empereurs païens l’étaient, mais il est évident que l’Empereur recevait une gloire telle que le patriarche était peu de chose en face de l’empereur.

 

Eh bien justement, ce qui est arrivé, c’est que les pontifes, les papes en particulier, vu leur situation en Occident, [ont pris une puissance redoutable]. Vous savez que l’Empire romain s’est effondré en Occident vers 444 (1) : en déplaçant la capitale de l’Empire de Rome à Constantinople, Constantin a fait un vide en Occident, il a ouvert l’Occident à l’invasion des barbares. Les barbares ont saccagé l’Empire romain d’Occident et qu’y avait-il en présence des barbares, qui pouvait encore lever le drapeau de la civilisation romaine, qui pouvait encore d’une certaine manière être une voix qui représentât le cri des peuples ? C’était le Pape, le Pape ou les Evêques, le Pape et les Evêques qui deviennent et qui deviendront toujours davantage des puissances temporelles.

 

Rappelez-vous que Théodose, empereur romain chrétien, qui a imposé le christianisme à l’Empire (2), qui a interdit le paganisme définitivement vers 387, Théodose a été arrêté à l’entrée de la cathédrale de Milan par saint Ambroise, qui lui interdit d’entrer dans la cathédrale parce qu’il avait massacré les Thessaloniciens.

 

Donc, un évêque comme Ambroise avait assez d’autorité pour imposer à un empereur tout-puissant comme Théodose de faire pénitence avant de, d’entrer dans l’église qu’il aurait souillée s’il ne s’était pas purifié. Et nous verrons au Moyen Age, vers l’an 1066 (3) ou à peu près, un pape comme saint Grégoire VII obliger l’empereur d’Allemagne, Henri IV, à venir dans la neige, à Canossa, implorer son pardon et l’absolution de l’excommunication qu’il encourut pour avoir voulu déposer le Pape.

 

Nous assistons à une chose extrêmement naturelle, mais redoutable en ses conséquences, c’est que le pouvoir ecclésiastique, en Occident en particulier, étant donné les circonstances, étant donné le vide qu’a fait le déplacement de la capitale de Rome à Constantinople, étant donné les incursions et les invasions des barbares, étant donné la situation morale des Pontifes, étant donné qu’ils sont les seuls à pouvoir se faire les avocats des populations et les défendre moralement, le Pape va prendre une situation de plus en plus prépondérante, et il ne verra d’autre moyen de tenir en échec, de s’apposer à la puissance des empereurs et des rois que d’être lui-même un monarque.

 

Au temps de Charlemagne, cela sera accompli : le Pape devient un monarque, il devient un roi, il deviendra le roi des rois : il portera une triple couronne, pas seulement une couronne, mais une triple couronne, il obligera l’empereur lui-même à conduire sa mule, son cheval. Alors que lui, le Pape, est monté sur son cheval, c’est l’empereur, comme un serviteur, qui le conduira pour manifester justement la subordination, la soumission du pouvoir temporel au pouvoir spirituel et le Pape Boniface VIII, vers 1300, proclamera que le Pape porte les deux glaives, le glaive spirituel et le glaive temporel, que toute créature est soumise à la juridiction du pontife romain.

 

Donc la religion va prendre dans les symboles, dans les signes, dans les honneurs qu’on lui rend, qu’on rend au pontife, dans l’autorité qu’elle exerce, cette autorité qui permettra au Pape Alexandre VI de donner l’Amérique aux Espagnols, le Pape étant devenu l’arbitre du monde, étant devenu le souverain des souverains, le roi des rois. Et tout cela bien entendu, entraîne cette conséquence, et se fonde d’ailleurs sur ce principe que Dieu est le souverain des souverains, que l’Autorité divine est le fondement de toute autorité, que les rois tiennent leur autorité de Dieu indirectement et médiatement, tandis que les pontifes tiennent leur autorité de Dieu directement , et puisqu’ils représentent Dieu d’une manière directe, et explicite et formelle, qu’ils sont envoyés pour régir tous les peuples et les conduire au salut.

 

L’Autorité des pontifes est suprême, elle est absolue, elle est indiscutable, elle s’impose à toute créature et seule l’Eglise est en état de définir les limites de son pouvoir.

 

Vous voyez la situation, et si vous la voyez dans sa réalité historique, vous comprendrez que cette lutte peut être inévitable entre le pouvoir absolu des empereurs et le pouvoir absolu des papes ; cette lutte inévitable, peut-être que il n’y a pas d’autre moyen de sauvegarder ce qui pouvait être sauvegardé de l’indépendance de la vie spirituelle, mais vous ne pouvez pas ne pas comprendre que une telle situation ne faisait que confirmer dans les esprits l’idée que Dieu est un pouvoir, une puissance extérieure dont l’on dépend absolument dans tout ce que l’on fait, dans tout ce que l’on pense, dans tout ce que l’on aime, puisque on doit non seulement faire, mais on doit croire encore, et que il n’y a rien dans l’homme qui échappe à cette autorité suprême représentée finalement par l’Eglise avec sa juridiction universelle, avec son inquisition avec les tortures qu’elle peut imposer ou faire imposer pour la sauvegarde de la vérité.

 

[Repère enregistrement audio : 30’ 00’’]

 

Alors vous ne pouvez pas vous étonner qu’une tradition aussi vieille que l’humanité, aussi vieille que l’histoire, qui était confirmée par l’Eglise, qui était affirmée par elle, qui était défendue par elle, qui s’est incarnée dans des symboles, comme vous voyez le Pape à Rome sur la sedia, porté sur les épaules des hommes – d’hommes enfin – et dominant la foule comme un souverain suprême, vous avez le symbole le plus parlant de cette extériorité de Dieu.

 

Dieu est un pouvoir, extérieur à l’homme, c’est un pouvoir redoutable ; c’est un pouvoir bienveillant si vous le voulez, c’est un pouvoir miséricordieux, mais c’est un pouvoir dont nous dépendons radicalement.

 

La première attitude de l’homme, j’entends la seule attitude légitime de l’homme, c’est de reconnaître sa condition de créature et de se soumettre à la volonté divine. Le péché des péchés, la faute essentielle, c’est de refuser cette condition de créature et de reconnaître sa dépendance à l’égard du Créateur.

 

Il est évident que lorsque, cette idée du créateur s’affaiblit, lorsque la science entreprend d’expliquer le monde par des causes naturelles, par le hasard, par des énergies purement matérielles, moins la science a besoin de Dieu, plus cette idée de la puissance de Dieu s’affaiblit ; moins l’intervention de Dieu apparaît comme nécessaire, et comme d’autre part, la morale faiblit dans les mêmes proportions, comme les hommes veulent s’émanciper de toute discipline, comme ils revendiquent une entière autonomie dans tous les domaines et notamment dans le domaine sexuel, l’anarchie morale, l’indifférence de la science à l’égard de toute création divine, puisque les explications scientifiques se situent sur un tout autre terrain, le communisme avec sa propagande, le communisme chinois en particulier, avec sa propagande, certains mouvements scientifiques, ceux qui s’occupent des « machines à penser« , les ordinateurs, la cybernétique, d’autres mouvements psychologiques qui expliquent l’homme par les structures qu’il subit inconsciemment, tout un concours d’éléments, soit moraux, tout un concours de révoltes d’inspiration communiste ou matérialiste, tout un concours de pensées scientifiques qui n’ont pas besoin d’invoquer la Présence divine, tout un désir d’échapper à la tutelle des autorités, tout cela a fini par explorer dans les contestations dont nous sommes témoins, au nom précisément de cette contestation fondamentale : le refus d’un Dieu pouvoir, le refus d’un Dieu puissant, le refus d’un Dieu autorité, dans une remise en question de tout.

 

Vous avez des jeunes prêtres qui se sont mariés, qui ont rompu avec une tradition millénaire et qui ont déclaré que c’était là un geste prophétique, que, ils ne faisaient que devancer l’avenir, et que, ils voyaient dans leur geste, un geste de libération pour les autres. Ils ont été applaudis d’ailleurs par des confrères et il n’y a pas à s’en étonner, puisque, un très grand nombre de prêtres, de religieux, de religieuses, se révoltent, avec raison d’ailleurs, contre la conception d’un Dieu pouvoir, contre la conception d’un Dieu extérieur, contre la conception d’un Dieu qui exige la soumission. C’est cela, n’est-ce pas, qui est le ferment de toutes ces révoltes.

 

Le Concile n’a pas éclairé, que je sache, ce point. Il a dit des choses admirables sur la vie contemplative, sur la chasteté, sur le mariage, sur la charité et la justice, il a composé de véritables traités de théologie – excellents – mais il n’a pas remis en question le problème essentiel qui est le problème de Dieu : de quel Dieu parlons-nous et à quel homme… De quel Dieu parlons-nous et à quel homme ?

 

Le Concile a admis à priori que Dieu est l’Autorité suprême, que la Révélation venant de Dieu a la même autorité que Dieu, que les créatures doivent donc un hommage absolu et inconditionnel à Dieu et à sa Révélation, et bien entendu que, cet hommage ne peut pas être imposé. Mais enfin, il met en question le salut de l’homme et quiconque veut échapper aux sanctions éternelles ne peut que se soumettre aux décrets divins, qu’ils soient des décrets concernant la vie pratique, la morale ou des décrets concernant l’intelligence, c’est-à-dire la foi.

 

Et c’est ça l’ambiguïté fondamentale que je peux symboliser de la façon la plus concrète dans l’attitude du Père Garrigou-Lagrange qui nous enseignait la prédétermination physique, qui nous répétait que Dieu étant la Cause Première, n’apprend rien de personne, sait tout par lui-même, qu’il connaît donc par lui-même les damnés et les élus, parce qu’il a choisi les uns et pas les autres, que il ne saurait aimer que soi, qu’il rapporte tout à soi, qu’il est soi seul le motif de toute son activité dans l’univers, que la Rédemption a pour motif finalement l’amour de Dieu pour lui-même, et qui dans sa chambre, me montrant un mauvais chromo(4) de la Vierge de Lourdes me disait : « ça, c’est pour la sensibilité. »

 

Eh bien évidemment, voilà un homme qui représentait l’ambiguïté dans laquelle nous mourons : ces principes absolus, rigides, gouvernaient son intelligence ; sa sensibilité avait besoin d’autre chose et il recourait à la Sainte Vierge comme à la miséricorde, pour échapper au caractère effroyable de la justice de Dieu. Eh bien, c’est une caricature si vous voulez, de la situation actuelle, mais nous sommes dans cette ambiguïté.

 

Il y a toute une théologie de l’Absolu, représentée par des hommes éminents – je viens de nommer Pierre Grelot, professeur à l’Institut Catholique de Paris, sur le péché originel – il y a toute une tradition qui s’impose, qui est symbolisée par les signes, par la crosse, par la mitre, par l’anneau, par la tiare, par la sedia gestatoria, par les habitudes romaines de gouvernement, par tous les décrets qui ont été enregistrés au cours de l’histoire, par tous les anathèmes contenus dans le livre de Denzinger – qui les a tous recueillis à travers tous les conciles de l’histoire. Il y a cela, puis il y a d’autre part le Sacré Cœur, il y a les apparitions de la Sainte Vierge, il y a un désir de fuir ce Dieu terrible, d’échapper à sa toute-puissance et de rencontrer simplement un Amour.

 

Il est évident que la Semaine Sainte nous le rend sensible : si Dieu meurt pour nous, si Dieu donne sa vie pour chacun de nous, le centre de la Révélation de Dieu en Jésus-Christ, le centre de l’Evangile, ce n’est pas la puissance de Dieu, c’est son impuissance. Le centre de l’Evangile, c’est l’échec de Dieu dans l’histoire : Dieu respecte tellement la liberté humaine que, il ne peut la conquérir qu’en donnant sa propre vie. Pasternak, ce grand écrivain russe, dans un livre que vous connaissez, qui s’appelle le Docteur Jivago, a deux pages étonnantes, bouleversantes, magnifiques, qui concernent la très Sainte Vierge d’ailleurs, à partir du Mystère de l’Annonciation et il est là comme inspiré. Il dit : « Jusqu’ici il y avait les empires, il y avait le piétinement des peuples, il y avait la ruée des armées, il y a ces grands mouvements d’ensemble ! Et maintenant, dans le silence de l’Annonciation, il n’y a plus que des PERSONNES : Dieu devient le Dieu des personnes, le Dieu du secret, le Dieu du silence, le Dieu de la solitude, le Dieu de chacun, le Dieu qui parle au cœur de chacun, sans bruit, le Dieu qui établit son royaume dans l’intimité de chacun » ; et il oppose ce Dieu des personnes à ce Dieu des peuples, à ce Dieu des empires. Il a touché l’essentiel, en effet. C’est cela qui est tout neuf : en Jésus-Christ, il n’y a plus de peuple élu, il n’y a plus d’empire, il n’y a plus que des personnes. Chacune attend dans le secret le plus profond d’elle-même, chacune révélée à elle-même par le sang du Christ qui est versé pour elle, chacune pesant dans la balance de Dieu autant que le sang du Seigneur.

 

C’est un autre visage de Dieu, un Dieu qui échoue, un Dieu qui est vaincu, un Dieu qui est condamné, un Dieu qui est crucifié, un Dieu dont le message est l’Evangile et, précisément, cette annonce de la Crucifixion. « Pour nous, nous prêchons le Christ crucifié, scandale pour les juifs et folie pour les gentils » (1 Cor 1,23) C’est cela l’immense nouveauté que l’on n’a pas comprise adéquatement, que l’on n’a pas comprise jusqu’au fond et c’est pourquoi on a perpétué cette ambiguïté, inévitablement d’ailleurs, sur le plan de l’histoire : soit les apôtres qui avaient l’habitude de penser à un peuple élu et qui se trouvaient dans un empire, l’Empire romain, dominé par une religion officielle, païenne, mais religion quand même, soit les empereurs chrétiens – et les papes et les évêques – soit les empereurs chrétiens personne n’a songé à émanciper la religion de l’Empire et cette ambiguïté s’est maintenue constamment, la religion chrétienne a continué d’être la religion des peuples, imposée aux peuples, imposé par les empereurs : il n’y a pas un peuple qui n’ait été converti par la force. Les Français sont devenus chrétiens par le fait du roi de France, les Anglais sont devenus chrétiens par le fait du roi d’Angleterre, les Hongrois sont devenus chrétiens par le fait du roi de Hongrie, les Russes sont devenus chrétiens par le fait du roi de Russie.

 

[Repère enregistrement audio : 45’ 00’’]

 

La religion était la religion des peuples, la religion des princes, la religion du pouvoir. Elle était en même temps la religion des âmes, la religion des personnes, mais pour l’ensemble des gens, c’était la religion des peuples. La plupart des gens n’avaient pas une religion personnelle ; enfin, ils l’avaient mais partiellement, petitement : la religion pour eux était avant tout une affaire publique.

 

Elle suppose que, on n’a pas découvert la religion des personnes, qu’on n’a pas découvert le Dieu intérieur, le Dieu crucifié, le Dieu livré aux hommes, le Dieu qui est remis entre nos mains, le Dieu qui abolit toute dépendance entre lui et nous, qui établit entre lui et nous un mariage d’amour, qui a fait de nous des créateurs et qui nous a créés pour que nous soyons des dieux.

 

Créer un être libre, c’est créer un Dieu, finalement, puisque c’est s’interdire d’intervenir, c’est faire de lui l’arbitre de l’univers. Jamais cette dignité de l’homme n’a été promulguée, n’a été révélée avec autant de puissance, je veux dire avec autant d’évidence que sur la Croix de notre Seigneur.

 

La puissance de Dieu, c’est la puissance d’aimer, d’aimer jusqu’à la folie de la Croix. Dieu n’a pas d’autre puissance que la puissance de son Amour, la puissance de l’Amour qu’il est. Et c’est pourquoi Dieu est remis entre nos mains, chacun de nous peut le remettre en question, chacun de nous peut décider du destin, du sort de Dieu dans l’histoire et dans l’univers : Dieu sera dans l’histoire ce que nous en ferons, car il ne peut pas entrer dans l’histoire autrement qu’à travers les personnes, à travers la liberté humaine, et si la liberté humaine se refuse, Dieu est en agonie jusqu’à la fin du monde, comme dit Pascal. Il est crucifié, il est recrucifié autant que l’homme refuse de se livrer totalement à cet Amour.

 

Vous sentez donc l’immense ambiguïté dont relève cette crise, le refus du pouvoir, le refus de dépendre, le refus de s’assujettir, le sens de la grandeur, la volonté de s’affirmer, la volonté d’être un créateur, toutes choses qui sont bonnes, toutes choses qui viennent de l’Evangile, à condition que, on ait compris, qu’on ait vécu, qu’on ait reconnu l’humilité de Dieu.

 

Car justement la grandeur que Jésus nous révèle, la grandeur humaine qu’il nous communique, c’est une grandeur d’amour, c’est donc une grandeur d’humilité. Au lavement des pieds, il nous apprend que la suprême grandeur et la suprême humilité, c’est la même chose, que la seule grandeur est de donner, de tout donner, et vous le voyez bien si la révolte actuelle – qui prendrait un autre visage – si les contestations actuelles revendiquaient cette grandeur-là, cette grandeur d’amour et d’humilité, cette grandeur agenouillée, cette grandeur silencieuse, cette grandeur authentique qui est la grandeur même de Dieu. Mais ce serait la réforme la plus bénie, la plus sacrée, la plus merveilleuse que nous puissions désirer !

 

Mais précisément, parce que l’ambiguïté règne partout, parce qu’on se révolte contre la puissance vue dans l’extériorité, contre la puissance vue comme une autorité qui s’impose, alors la révolte, l’affirmation de la grandeur humaine prend un aspect de déchaînement, de rébellion, de refus de toute vie spirituelle, de revendication de toute liberté instinctuelle parce que beaucoup de religieux, de religieuses, de prêtres n’ont jamais connu le vrai Dieu : ils ont rencontré le Dieu autorité, ils le refusent à bon droit, avec raison. Ils n’ont pas rencontré l’autre, le Dieu intérieur, le Dieu silencieux, le Dieu tout Amour, le Dieu victime, le Dieu crucifié.

 

Il faut donc comprendre cette crise comme la conséquence d’une très longue ambiguïté, d’une union extrêmement profonde, étroite, entre un Dieu toute-puissance, un Dieu dont nous dépendons radicalement et un Dieu intérieur, un Dieu symbolisé et révélé, si vous le voulez, dans le Sacré Cœur.

 

Or, la plupart des théologiens ou des pseudo-théologiens, je veux dire la plupart des clercs, la plupart des prêtres qui ont des études sommaires de théologie ont retenu surtout de Dieu des définitions rigoureuses qui constituent un cadre dans lequel il faut absolument entrer, ils n’ont pas été entraînés à l’expérience mystique d’un mariage spirituel avec Dieu.

 

S’ils étaient épris de Dieu, si Dieu était leur grande passion, ils auraient pu revendiquer une réforme avec une autorité beaucoup plus grande, mais sous une forme silencieuse. Ils auraient évité de scandaliser les faibles, de scandaliser les humbles, ils auraient évité ces revendications bruyantes parce que ils auraient voulu sauver Dieu d’abord, sauver la vie intérieure, sauver ce secret d’amour qui se murmure au fond de nos cœurs sous l’inspiration de l’Esprit saint.

 

Mais il ne faut pas jeter la pierre. Il est normal que cinquante jésuites à la fois sortent de la Compagnie au Canada si, ils n’ont pas rencontré Dieu. Il est normal que des centaines de moines quittent leurs monastères s’ils n’ont pas rencontré Dieu. Il est normal qu’un moine que je connais et que j’aime se lamente qu’il ait perdu cinquante ans de sa vie dans le célibat parce que, il n’a pas rencontré Dieu.

 

Il est clair qu’on ne peut donner sa vie, toute sa vie qu’à l’Amour, et que on ne peut accomplir ce don que si on est passionné de Dieu, que si on l’a vu comme purement intérieur, comme purement silencieux, comme caché au fond de nos cœurs, comme celui qui nous attend et qui mourra pour nous plutôt que de nous contraindre et de nous forcer.

 

Tout se résume dans ce mot : ambiguïté fondamentale, aussi vieille que le monde, ambiguïté sur Dieu : de quel Dieu parlons-nous et à quel homme ? Par bonheur, notre Seigneur nous a donné dans cette Semaine Sainte – je veux dire dans tous les mystères que nous sommes appelés à vivre durant cette Semaine Sainte – notre Seigneur nous a donné la clé de la Révélation dans cet échec de Dieu vaincu et affirmant dans cette défaite la toute-puissance de l’Amour.

 

Car comment douter de l’Amour si Dieu est pareillement entre nos mains qu’il accepte d’être condamné et crucifié plutôt que de contraindre notre liberté ?

 

Personne ne veut notre grandeur plus passionnément que Dieu et l’on peut dire que la Passion de Jésus, c’est la passion de Dieu pour l’homme. Seule cette passion de Dieu pour l’homme peut éveiller la passion de l’homme, la passion de l’homme pour Dieu.

 

C’est dans cette passion que nous sommes invités à entrer nous-même, cette passion de l’homme pour Dieu, et justement les monastères contemplatifs ont un rôle de premier plan à exercer dans cette crise si douloureuse, si déchirante qu’il ne faut pas envenimer en refusant de la comprendre, qu’il ne faut pas envenimer en la condamnant, mais qu’il faut vivre en la portant, qu’il faut vivre dans la compassion, qu’il faut vivre dans la pénitence, qu’il faut vivre surtout dans une continuelle offrande d’amour.

 

Jamais l’Eglise n’a eu tant besoin d’âmes contemplatives, d’âmes silencieuses, d’âmes crucifiées, d’âmes pénitentes, d’âmes silencieuses encore une fois, d’âmes cachées dans le Mystère de Jésus, d’âmes qui assument l’humanité et l’univers, d’âmes qui acceptent d’être en agonie jusqu’à la fin du monde avec l’Amour infini.

 

Et puisque les bruits vous en parviennent, les bruits de cette crise, puisque vous avez l’occasion de lire les rapports journalistiques, qui au jour le jour, relèvent les manifestations de cette crise, vous ne pouvez pas demeurer étrangers – ou étrangères plutôt – à cette situation : elle est un immense appel, un immense appel à la sainteté. Une seule âme qui se donne à fond – puisque nous sommes dans le règne des personnes et non pas dans le règne des peuples – une seule âme qui se donne à fond, c’est une victoire infinie de Dieu, une victoire infinie de l’Amour, et plus nous entendons tous les bruits de cette contestation, plus nous sommes appelés à nous cacher dans le cœur de Dieu, plus nous sommes invités à entrer dans le silence, plus nous sommes invités à devenir pauvres de nous-même.

 

N’oublions pas que, au 13ème siècle, qui est le siècle de la scolastique, le siècle de l’Inquisition, le siècle des croisades, un homme est apparu, saint François d’Assise, un homme dans sa pauvreté, un homme dans son silence, un homme dans son amour brûlant qui a allumé une lumière qui ne s’éteindra jamais.

 

Il n’y a aucune raison de penser que dans notre siècle une telle lumière ne puisse se lever. Jamais l’histoire ne l’a davantage exigé, jamais les problèmes n’ont été plus à vifs, jamais les contestations n’ont été plus profondes, jamais il n’a été demandé aux hommes d’une manière plus radicale de renoncer à l’ambiguïté. Il faut choisir notre Dieu : Puissance ou Amour. Il faut choisir la liberté ou la dépendance. Il faut choisir ce mariage d’amour ou l’assujettissement de l’esclave.

 

Il n’y a aucun doute que ce que notre Seigneur nous demande, c’est ce qu’il nous offre, c’est de faire une seule vie – je veux dire une seule vie avec lui – de nous identifier avec lui et de faire de notre vie simplement le sacrement silencieux de la sienne.

 

Alors, sans ajouter des arguments aux arguments, si nous entrons à fond dans cet appel de Notre Seigneur, il y aura quelque chose de changé, parce que il y a une circulation invisible de la grâce et de l’amour et qu’une âme qui est vraie, une âme qui est authentique, est présente au monde entier.

 

Nous allons nous enfoncer dans l’épaisseur, comme dit saint Jean de la Croix, nous enfoncer dans cette nuit mystique, nous enfoncer dans cette contemplation, nous mettre à l’écoute de la musique silencieuse et demander à la très Sainte Vierge – qui se tient debout au pied de la Croix, qui est la Mère de l’Eglise et qui doit être tellement déchirée par ces contestations – demandons à notre Sainte Vierge d’imprimer dans nos cœurs les blessures du Crucifié afin qu’il ressuscite en nous et que nous soyons Alléluia des pieds à la tête.

 

Notes

(1) Plutôt vers 476.

(2) L’Edit de Thessalonique de Théodose 1er en 380 rend le christianisme religion officielle et condamne les religions païennes.

(3) Lors de la querelle des investitures, évocation de l’épisode de la pénitence de Canossa : le pape Grégoire VII reçu le souverain germanique Henri IV après un déplacement difficile en plein hiver, le 28 janvier 1077 et leva l’excommunication qui pesait sur lui.

(4) chromolithographie : image en couleurs obtenue par impressions successives.

 

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