09/07/2005 – Cette révélation essentielle change tout.

Homélie
– Cénacle de Genève, – dimanche 21 septembre 1969

La découverte, l’expérience du mystère de la sainte Trinité,

aurait pu délivrer Nietzsche de sa révolte contre le christianisme.

De quel homme parlons-nous ? On doit d’abord se poser la question : « De quel Dieu parlons-nous ? »

Avant de retranscrire ici, divisée en de nombreuses pages (ayant chacune un sens et pouvant porter un titre), une longue et passionnante conférence de Zundel, il faut placer l’homélie donnée le même jour au Cénacle de Genève, ce dimanche 21 septembre 1969. Elle constitue un prologue à cette conférence. Parce qu’on ne peut parler authentiquement de l’homme que dans la mesure où l’on a commencé à pénétrer dans le mystère trinitaire, mystère à l’image duquel l’homme a été créé et sauvé.

Cette homélie, plus encore peut-être que toute autre, ne peut être bien « assimilée » qu’après plusieurs lentes reprises.

« Vous vous rappelez le mot de Nietzsche :  » S’il y avait des dieux, comment supporterais-je de n’être pas dieu ? Il pourrait trouver sa délivrance et sa force dans cet évangile de la Trinité « Allez enseigner toutes les nations, les baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit ».

En effet, si Dieu était, comme le pense Nietzsche dans cette crise de révolte, si Dieu était une Puissance dont nous dépendons radicalement, qui nous impose sa volonté, sans être engagé d’aucune manière envers nous, si Dieu était cette réalité invulnérable totalement enfermée en elle-même, si Dieu était un être solitaire qui se repaissait éternellement de lui-même, si Dieu n’avait que soi, rapportant tout à soi, on ne comprendrait pas en effet pourquoi, n’ayant pas de différence qualitative avec nous, étant comme nous fixé dans un moi qui se repaît en lui-même, on ne comprendrait pas qu’il fût Dieu plutôt que nous-même !

Ce que N.S. nous apporte, cette révélation essentielle qui change tout, qui nous délivre essentiellement, c’est précisément cette confiance ineffable et inépuisable où nous apprenons par le témoignage de Jésus-Christ, que Dieu n’est pas un être solitaire, que Dieu dans son unicité peut s’adresser à un Autre, que Dieu est vraiment plus simple et plus immédiatement accessible, que Dieu est une communion d’Amour ! qu’il est une communion d’Amour, qu’il n’y a rien d’autre en Lui que l’Amour, qu’il se vide éternellement de lui-même : le Père dans le Fils, le Fils dans le Père et l’Esprit Saint dans l’un et l’autre, et que la Vie Divine ne fait que circuler comme un don éternel chaque personne en Dieu n’étant qu’une relation à l’autre dans une désappropriation totale d’elle-même, Dieu réalisant, dans le secret le plus intime de Lui-même, cette Pauvreté qui est la première béatitude, cette Pauvreté que Saint François a tant aimée, qu’il a chantée sur toute les routes de la terre parce qu’il savait que cette Pauvreté est le grand secret de Dieu.

Et ne fallait-il pas aujourd’hui précisément qu’elle monte vers Dieu à travers ce mystère de la Trinité Sainte, qu’elle monte vers Dieu, parce que Dieu est Trinité parce que Dieu est une communion d’amour, parce que Dieu n’a rien, parce qu’il donne tout, parce que justement Sa Divinité n’est pas autre chose que son dépouillement et sa pauvreté.

Et voilà que tout d’un coup s’ouvrent devant nous ces arguments inépuisables ! Nous ne sommes plus sous un joug, nous ne portons plus une servitude, nous ne sommes plus les sujets d’un souverain qui nous dominerait sans que nous ayons la possibilité d’une plus grande aspiration : Il ne nous domine que par son amour, Il est intérieur à nous-même, Il ne nous touche que par son amour, nous ne pouvons L’atteindre que par notre amour qui est en nous une respiration infinie, qui est en nous le champ illimité où notre liberté se révèle.

Et comme je ne cesse de le dire : jamais nous n’aurions pu ni découvrir cette faiblesse, ni y atteindre, et nous nous serions perdus sur des chemins qui ne mènent nulle part si nous n’avions pas rencontré ce visage de la Trinité, si nous n’avions pas compris que Dieu lui-même est l’infinie liberté parce que libre de soi, parce que n’ayant aucune attache à soi et que la liberté, c’est évidemment cela : c’est d’être coupé de toute adhérence à soi, de ne plus coller à soi, de ne plus se subir soi-même, mais faire de toute la vie un don dans un pur élan d’amour.

C’est cette rencontre avec la Trinité qui est le commencement d’un monde nouveau !

C’est cette rencontre avec la Trinité qui nous conduit au centre intime du Cœur, à ce Sanctuaire que nous sommes dans le plus intime de nous-même et où Dieu ne cesse jamais de nous attendre pour s’engager avec nous dans ce mariage d’amour dont parle Saint Paul dans son épitre aux Corinthiens :  » Je vous ai fiancés à un Epoux unique pour vous présenter au Christ comme une vierge pure. « 

Et c’est cela que nous voulons mettre au cœur de notre cœur de chrétiens : rendre grâce pour avoir eu le privilège immense de rencontrer le Seigneur, pour avoir appris du Seigneur qu’il est l’Amour et rien que l’Amour, pour avoir appris à travers le Seigneur les chemins de la liberté dans le dépouillement, la désappropriation et la pauvreté. Nous sommes entrés par le Christ dans cet immense espace intérieur à nous-même, où le monde se reconstitue et acquiert son vrai visage.

Nous voulons donc écouter au cours de cette liturgie cette confidence essentielle de la Trinité. Nous voulons pénétrer dans cette communion d’amour qui est l’éternité de Dieu en y retrouvant tous ceux qui nous ont précédés, tous ceux qui reposent dans le Christ, tous ceux que nous portons dans notre cœur, comme des vivants dans le Dieu vivant. Nous voulons rassembler tous ces aînés qui sont comblés de leur délivrance, nous voulons rassembler toute l’histoire, toute l’humanité, tout l’univers dans cette offrande qui doit consommer la Création, qui doit lui conférer sa dimension de liberté et d’amour en rassemblant tous les êtres autour de la Table du Seigneur.

Entrons dans cette dimension où le Christ va nous accueillir en portant notre offrande qui est tout l’univers, qui est toute l’histoire, qui est toute l’humanité. En rendant grâce pour toutes les créatures, parce que Dieu est Amour, parce que Dieu est Trinité, parce que Dieu est Pauvreté, parce que Dieu est Liberté, parce que c’est en Lui justement que nous pouvons accéder jusqu’à nous-même, et apprendre ce secret merveilleux que Jésus a inscrit à jamais au lavement des pieds : que la grandeur ne consiste pas à se mettre au-dessus, que la grandeur n’est pas à exiger, que la grandeur ne consiste pas à commander, que la grandeur pour être grandeur, consiste à se donner et que celui-là est le plus grand qui se donne le plus et que, si Dieu est infiniment grand, c’est justement parce qu’il est dans ce don de lui-même agenouillé éternellement devant ses créatures, au lavement des pieds. »