06/07/2005 – Cela provoque des désastres invraisemblables.

06/07/2005
– Cela provoque des désastres invraisemblables.

Abbaye de Timadeuc – 1973.

Au cœur du problème humain dans la tragédie « Macbeth. »

Une immense erreur quant à l’homme.

Rien n’est plus fort et universel que le sentiment de notre inviolabilité.

Se faire homme : une merveilleuse aventure à courir !

Je crois qu’aucun tragique n’a jamais exprimé avec plus de force, que ne l’a fait Shakespeare dans la tragédie de « Macbeth », l’impossibilité pour l’homme d’accéder à lui-même, d’entrer dans son âme sans s’en être rendu digne. Et nous voyons justement, avec une entière clarté, à la lumière de cette tragédie, cette inviolabilité que l’homme invoque contre les autres, et qui est une prise de conscience si puissante, si irréfragable, si certaine : c’est le « roc » en quelque sorte, de l’expérience humaine. S’il est vrai que l’homme refuse l’esclavage, s’il est vrai qu’il ne peut reconnaître comme sienne une action dont il n’est pas la source et l’origine, il est tout aussi vrai que, livré à lui-même, remis à sa solitude, il est complètement incapable de définir cette dignité, de la fonder, et de savoir pourquoi il est inviolable aux autres. Et Shakespeare vient de nous montrer qu’il est inviolable pour soi-même.

Nous voilà donc au cœur du problème humain. Si on peut être d’accord là-dessus, on a un point de départ bien assuré, et je crois que tout le monde peut être d’accord sur cette expérience. Un homme qui n’aurait pas le sentiment de son inviolabilité, ne serait pas encore un homme, je veux dire : il ne serait même pas encore au seuil de son humanité. Mais cette expérience, et c’est ce qu’il fallait d’abord reconnaître, cette expérience n’est qu’un commencement; il ne suffit pas de la vivre pour savoir « qui » est l’homme, pour savoir qui l’on est, et pour trouver une direction ferme à la conduite de sa vie. C’est pourquoi, dans un certain sens, on peut dire que : l’homme n’existe pas.

Dans un petit livre, je me suis posé cette question : « L’Homme existe-t-il ?  » Et c’est en effet la question préalable : l’homme existe-t-il ? Il existe évidemment comme un animal, il existe comme un donné, il existe comme un être préfabriqué, comme une punaise et un scorpion, mais : existe-t-il comme une dignité, existe-t-il comme une valeur, existe-t-il ?

Existe-t-il comme un bien universel ? Tant de biologistes nous ressassent, nous rebattent les oreilles en nous disant : « l’homme est un animal comme les autres ». Eh bien, celui qui souscrit à cette proposition, s’il y souscrit sans réserve, il nie tout simplement l’existence de l’homme.

« L’Homme existe-t-il? » Je pense que l’on peut dire : l’homme peut exister : il peut exister, il est un candidat à l’existence; il a à se faire exister, il a à se faire homme; mais il n’est pas donné comme tel. Le petit garçon qui oppose son « non » aux injonctions de sa mère, et qui désormais ne priera plus contre sa mère, pour affirmer contre elle son indépendance et son inviolabilité, ce petit garçon n’a absolument rien fait pour motiver son refus, absolument rien fait pour fonder son inviolabilité. Mais sans doute, puisqu’il fait cette expérience, c’est que cette inviolabilité est en lui une vocation : il a à se rendre inviolable, il a à se faire homme, il a à conquérir sa dignité, comme il a à conquérir, sa liberté, sa personnalité et son immortalité.

Il y a une immense erreur justement, c’est de croire que l’homme existe, qu’il existe, que c’est fait… que c’est fait. On a défini les Droits de l’Homme de manière magnifique, sur le papier, et on les a attribués tels quels à un « homme » qui ne s’est pas encore réalisé. Cela provoque des désastres invraisemblables, puisqu’on prétend respecter une liberté qui ne s’est pas encore trouvée et qui est totalement incapable de se définir.

Voilà, me semble-t-il, un premier jalon posé; il nous entraînera très loin dans la découverte de notre humanité, et par conséquent dans la découverte du Dieu qui nous habite. Mais il était important – il est important – que nous nous mettions d’accord sur cette expérience initiale de l’Homme, qui est le sentiment admirable de son inviolabilité. Je pense que rien n’est plus fort, rien n’est plus évident, rien n’est plus universel.

C’est là que commence proprement l’expérience de l’homme, c’est quand l’homme refuse d’être un instrument ! Alors du même coup il revendique d’être la source et l’origine de ses actes, alors il commence à s’éveiller à sa véritable dimension, il commence à entrer dans la merveilleuse aventure que nous avons à courir, et qui peut se résumer en un mot : SE FAIRE HOMME ! »

Maurice Zundel, à l’abbaye de Timadeuc en 1973.